Poulets congelés frelatés, viande d’âne vendue comme du bœuf ou du mouton, pommes de terre de mauvaise qualité, étiquettes mensongères sur les canettes de boissons ou riz en plastique tout récemment, comme partout dans le monde, le consommateur malien s’interroge et s’inquiète sur la qualité de son alimentation.
Les polémiques se succèdent et poussent à se demander ce qui se trouve réellement dans nos assiettes. D’où viennent ces produits, comment sont-ils contrôlés et finalement, dans quelles conditions sont-ils consommés ? Des questions à la louche, décortiquées avec des représentants des consommateurs, comme des responsables de structures publiques, ou des commerçants.
Pour Mme Cissé Fady Touré, il est clair que le point de départ des interrogations est le changement des habitudes alimentaires des Maliens. « Il y a 30 ans, le Malien mangeait mieux car ne consommait pas les nombreux arômes et bouillons d’assaisonnement qui inondent le marché de nos jours », assure la nutritionniste, professeur à la Faculté de médecine de Bamako. L’introduction de ces ingrédients dans notre quotidien est pour beaucoup dans la perte des notions d’équilibre alimentaire et nutritionnel. Manger en qualité plutôt qu’en quantité n’est pas la préoccupation de la majorité, qui cherche le moins cher pour satisfaire ses besoins. Ce n’est pas une raison, rétorque la nutritionniste, qui estime qu’on peut se nourrir correctement à moindre coût, si l’on sait choisir ses produits. Cet argument est-il encore valable ? Les Maliens savent-il vraiment à quoi ils ont affaire quand ils achètent de quoi préparer leur nourriture ?
L’intensification de l’agriculture (culture et élevage) a imposé un rythme difficile à soutenir sans utilisation d’intrants chimiques (engrais, pesticides, etc), et sans impacter considérablement la rentabilité. Que ce soit un verre de lait frais, du pain, une omelette à base d’œufs frais, ou encore de la mangue, ces produits figurant en bonne place dans notre quotidien alimentaire et considérés comme bons pour notre santé, n’ont généralement plus rien de naturel. De plus, la paupérisation des campagnes et l’explosion démographique dans les villes ont fait croître la demande de produits de première nécessité, à bas coût. L’importation massive est venue répondre à ce besoin. Le directeur national adjoint du commerce, de la concurrence et de la consommation (DGCCC), Boucadary Doumbia, le confirme, la grande majorité des produits consommés au Mali viennent de l’extérieur. « D’après les dernières statistiques qui datent de 2008, 70 % de la consommation malienne vient des produits importés ». Au marché Dabanani, les grossistes attestent de cet état de fait. Affourou Koïta importe du riz de Thaïlande ou de Chine, en fonction du prix, fait venir de l’huile de Côte d’Ivoire ou de la farine du Sénégal. Selon lui, les produits reçus sont généralement de bonne qualité, même s’il reconnaît qu’il y peut y avoir mieux à un prix plus élevé. « Mais ce sera difficilement vendable ici », explique-t-il. À ceux qui dénoncent l’importation de riz, souvent décrié comme de mauvaise qualité, le commerçant rétorque qu’il n’a pas le choix. Le Mali cultive en effet du riz de très bonne qualité mais ce dernier est exporté dans sa quasi-totalité, faisant des petites quantités qui restent, une denrée rare et donc chère. Contrairement au riz, la viande consommée est locale car son importation est prohibée. L’abattage des bovins dont la viande est destinée à la consommation doit se faire exclusivement dans des lieux conçus à cet effet, c’est à dire les abattoirs frigorifiques. Ce qui n’est pas toujours le cas. On déplore en effet, malgré les contrôles et surtout la sensibilisation sur les risques sanitaires que ce genre de pratiques fait courir à la population, l’existence à Bamako et dans de nombreuses autres villes, de lieux d’abattage clandestins d’animaux dont la qualité sanitaire n’est pas avérée, mais aussi l’abattage d’animaux dont la viande n’est pas forcément propre à la consommation. C’est le cas du scandale des abattoirs clandestins d’âne, dont la viande s’est retrouvée sur de nombreux marchés maliens.
Consommateur influencé Autant de sujets d’inquiétude pour l’Association des consommateurs du Mali (ASCOMA). Mme Coulibaly Salimata Diarra, sa présidente, pointe également du doigt « l’usage abusif de l’engrais et autres produits qui rendent difficile la conservation des fruits et légumes, ainsi que l’utilisation disproportionnée des antibiotiques dans l’élevage moderne de volaille, un problème crucial puisque leur consommation a des effets néfastes sur notre organisme ». Une rencontre sur ce thème avait d’ailleurs été initiée en 2016 par l’ASCOMA, mais n’a été suivie d’aucune mesure véritable. Lamine Kaba, chauffeur de taxi, déplore lui aussi que « la nourriture que nous consommons contient trop de produits dont on ne connait pas la composition. Les femmes les utilisent juste à cause de la publicité qu’on en fait ». Le chantier pour l’ASCOMA est donc l’éducation des consommateurs au choix des bons produits. Un défi encore très loin d’être relevé, tant l’ignorance ou l’inobservance des règles minimum d’hygiène et de conservation est encore la norme. Selon la directrice générale de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments (ANSSA), qui a pour mission d’assurer la coordination de toutes les actions liées à la sécurité sanitaire des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, le Dr Oumou S. Maïga, « le gros problème de la consommation des Maliens réside dans la conservation des produits alimentaires, ce qui provoque la présence de bactéries telles que la salmonelle dans les aliments crus ou insuffisamment cuits, ou des aliments laissés sans réfrigération durant plusieurs heures. C’est aussi le cas de l’aflatoxine dans la pâte d’arachide vendue sur nos différents marchés. Cette bactérie résiste même à l’eau de javel et peut causer de nombreuses maladies, dont la plus courante est la fièvre typhoïde ».
Contrôle accru Il y a quelques années, lors d’un contrôle sanitaire effectué par différentes structures, dont l’ASCOMA, seul le Takoula, beignet sous forme de pain fait à base de mil ou de riz cuit à la vapeur, s’était avéré un aliment sain au Mali. Cette confidence de la présidente de l’Association des consommateurs fait froid dans le dos. « Tous les produits alimentaires qui doivent être commercialisés au Mali doivent passer par l’ANSSA qui en examine les échantillons à travers 4 laboratoires : le laboratoire chimique, le laboratoire de microtoxine, le laboratoire des pesticides et celui des micro bactéries », explique cependant le Dr Oumou S Maiga. « Il est difficile de garantir à 100% la fiabilité dans le contrôle des produits importés » reconnait Boucadry Doumbia, directeur national adjoint à la DNCCC. Sa structure s’occupe de vérifier tout produit qui entre sur le territoire malien, destiné à la commercialisation. « C’est possible que des produits soient importés sans autorisation, à l’insu des autorités. Nul ne peut affirmer contrôler ses frontières à 100% », poursuit notre interlocuteur. « Les services techniques de contrôle doivent être plus exigeants », s’emporte Mme Coulibaly Salimata Diarra, présidente de l’ASCOMA.
Une raison qui a poussé l’ANSSA à prioriser cette année, des investigations sur les produits de grande consommation à travers le contrôle des unités de sachet d’eau, d’huileries et de cubes alimentaires, qui inondent le marché, mais aussi renforcer les capacités et les mesures d’accompagnement sur les bonnes pratiques agricoles, d’hygiène et de transformation. « Nous avons tout un arsenal juridique qui nous permet d’assainir nos marchés, mais pour cela la population doit rester alerte », exhorte M. Doumbia, dont la structure, suite à la polémique du riz en plastique qui a défrayé la chronique ces dernières semaines, a saisi 25 tonnes de produits suspectés pour analyse au niveau du Laboratoire national de la santé. Les résultats sont encore attendus.
Pour que le consommateur malien prenne le contrôle de son assiette, il faut, selon Mme Coulibaly de l’ASCOMA, « booster la production locale et subventionner l’élevage comme cela se fait pour la pisciculture depuis quelques années ». Associer une agriculture locale mieux contrôlée à des vérifications plus strictes et une meilleure information des consommateurs, voilà aux dires de tous les acteurs, la recette pour y parvenir.
Source: journaldumali