Ci-dessous une déclaration produite par les représentants légaux l’affaire Procureur c. AL Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mohmoud suite à la décision du parquet de renoncer à un appel initialement annoncé pour des crimes commis par le mis en cause.
Aujourd’hui 17 décembre 2024, le Procureur a déposé un acte par lequel il renonce à son appel visant en particulier l’acquittement sur les crimes sexuels et de genre, dans les termes suivants :
Le Procureur note que M. AL Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mohmoud demande pardon à tous ceux qu’il a blessés et à toutes les victimes de Tombouctou pendant la période allant de mai 2012 à janvier 2013, dont les souffrances ont été exposées dans le jugement et la décision sur la peine.
Les Représentants légaux des victimes, expriment, au nom des 2.196 victimes qu’ils représentent, leur profonde déception et amertume face à la décision du Procureur.
Ils rappellent qu’en date du 18 septembre 2024, le Procureur a déposé son acte d’appel 3 et procédé conformément à une intention claire de déposer son mémoire dans les délais fixé par la Chambre, soit le 18 décembre prochain.
Au jour de l’adoption du jugement portant condamnation de Mr. Al-Hassan le Procureur a exprimé sa gratitude et son admiration aux groupes de victimes et aux organisations de la société civile pour l’intérêt accordé à la procédure, leur résilience, leur engagement et leur partenariat qui a permis de parcourir ensemble ce chemin vers la justice
Dans son acte d’appel, le Procureur a indiqué qu’il entend en particulier viser l’acquittement total de M. Al Hassan pour certains crimes sexistes – à savoir d’autres actes inhumains sous la forme de mariages forcés et d’actes connexes d’esclavage sexuel (chefs d’accusation 8 à 10) et de viols (chefs d’accusation 11 à 12) – mais aussi sur son acquittement partiel pour certains autres crimes sexistes : traitements cruels, d’autres actes inhumains, d’atteintes à la dignité de la personne, de condamnation sans procès équitable et persécution en raison du sexe (chefs d’accusation 2, 4 à 6,
13).
Le Procureur insiste sur le fait que la dimension sexiste des accusations, qui touche en particulier les femmes et les filles de Tombouctou, a toujours été au cœur de la vision de l’Accusation dans cette affaire5. Ayant attentivement examiné le jugement, les standards d’appel en matière d’erreur de droit ou de faits, et les particularités propres à la décision, il a procédé dans ce qu’il a indiqué être au bénéfice de toutes les parties impliquées dans les procédures, et avant tout les victimes et communautés affectées.
Aujourd’hui le Procureur communique une décision qui apparaît avoir été nourrie par des facteurs nouveaux, étrangers à l’analyse pourtant approfondie et mesurée présentée dans l’acte d’appel. Il prend appui sur des excuses opportunistes et dont la sincérité n’est pas évidente au vu du dossier et des différentes déclarations faites jusque-là par Mr. Al-Hassan.
De retour d’une mission à Tombouctou, Me Fidel Nsita Luvengika, un des Représentants légaux des victimes, a pu constater l’ampleur du traumatisme vécu par la population de Tombouctou qui jusqu’à ce jour évoque douloureusement et de façon très précise les souffrances vécues sous l’occupation djihadiste et le rôle joué par Mr Al-Hassan dont les actes et les comportements restent très clairement
inscrits dans la mémoire des victimes.
Les victimes rencontrées, hommes et femmes confondus, ont évoqué auprès du Représentant légal l’importance des crimes sexuels et de genre, et leurs attentes de l’appel. Ils ont exprimé pour un grand nombre le caractère prématuré d’éventuelles excuses et une part non négligeable des victimes concernées s’est opposée au retour de Mr. Al-Hassan à Tombouctou.
Les discussions qui se sont tenues également avec toutes les parties intervenantes de la société civile et les autorités administratives et religieuses de la ville de Tombouctou ont confirmé une situation complexe et de grandes attentes sur l’issue de l’appel.
Après avoir exprimé un message clair sur l’importance d’une action cohérente sur la poursuite des crimes sexuels et de genre, le Procureur laisse aujourd’hui le processus de justice non fini, créant des frustrations et une rupture totale de confiance dans un système de justice dans lequel il a demandé aux victimes de croire et s’engager.
Par ce revirement, le Bureau du Procureur se met donc ouvertement en porte à faux tant des engagements pris auprès des victimes dans le dossier, que de ses propos et même des engagements pris auprès de l’ensemble des victimes et de tous les intervenants dans l’activité de la Cour.
En effet, lors de l’adoption en décembre 2022 de son nouveau document de politique générale de son Bureau à propos du crime de persécution liée au genre, le Procureur affirmait que le lancement de cette initiative était « une étape importante vers la réalisation de mon engagement à répondre plus systématiquement et plus efficacement aux crimes sexuels et liés au genre [nous soulignons]». Il insistait sur l’obligation de rendre des comptes concernant les crimes de persécution liée au genre et faisait part de « son engagement à dûment rendre compte de faits de cette nature »7 et affirmait « sa détermination à en apporter la preuve dans toutes les affaires qu’il [traiterait] à l’avenir »8 et veillerait personnellement à la bonne mise en œuvre de cette politique.
Il apparaît aujourd’hui que l’action du Procureur se situe à rebours des engagements pris et sur lesquels il a indiqué définir sa politique de poursuite.
Nous estimons enfin que par cette renonciation, c’est toute la légitimité de l’action de la Cour qui est touchée dans une région où cette dernière a précisément des difficultés à justifier de son action et de son apports au système de justice y compris sous l’angle de la complémentarité.
Les Représentants légaux réitèrent l’importance de la participation des victimes au processus de justice comme une forme de réparation et dont elle est indissociable. Ils anticipent les difficultés qui apparaîtront dans l’acceptation par les victimes d’une procédure de réparation dont seront absents des crimes dont chacun s’accorde à dire qu’il ont fait la particularité du régime qui a soumis Tombouctou à la terreur en 2012 et 2013 et dont le traumatisme ne peut être mis de côté.
Fait à Bamako, Bruxelles et Paris, le 17 décembre 2024.
Les Représentants légaux des victimes