Le procès d’Ahmad al-Mahdi s’est ouvert lundi 22 août devant la Cour pénale internationale(CPI). Il doit durer au moins une semaine. Déjà, le jihadistes accusé de crime de guerre a plaidé coupable à la lecture des chefs d’inculpation. Ce qui est inédit dans l’histoire de la CPI. Al Madhi a demandé pardon au peuple malien pour la destruction des mausolées classés au Patrimoine mondial de l’humanité à Tombouctou tandis que ses complices jouissent de tous les privilèges dus à des rois antiques.
Ce procès d’Ahmad Al-Mahdi à deux vitesses devrait s’élargir à ses collaborateurs et complices qui n’ont jamais caché leur intention de tout arracher sur leur passage en commettant des exactions de toutes sortes. Mais que fait-on aujourd’hui des droits des victimes de la loi islamique qui était appliquée dans le septentrion malien ?
Pour les crimes les plus graves commis dans le nord du Mali, meurtres, viols, amputations, mariages forcés, l’impunité reste la règle générale au nom d’une paix qui semble illusoire. Ahmad Al Faqi est utilisé en bouc émissaire d’une situation dont il n’est guère seul responsable. Les odieux crimes commis sur les populations seraient laissés dans les oubliettes par un manque de volonté affiché du gouvernement en donnant plus de prérogatives à la réconciliation et à la paix qu’à la justice.
Toute tentative d’arriver à la paix et à la réconciliation nationale sans la justice qui doit prévaloir est vouée à l’échec. La crise multidimensionnelle qui secoue le Mali depuis 2012 est la résultante des velléités obscurantiste des mentors d’Ahmad al Faqi. Pour faire un nouveau champ, le cultivateur se débarrasse des ordures, de même pour asseoir la cohésion sociale et finir avec les considérations intertribales et communautaires, il faut une vraie justice.
Vouloir panser une plaie sans en enlever les pus, est peine perdue. Malheureusement on n’en parlera pas à La Haye, durant le procès d’Al-Mahdi, où il ne sera question que de la destruction des mausolées. Au bureau du procureur de la CPI, on admet ne pas avoir suffisamment d’éléments pour élargir les charges à d’autres crimes.
« On n’est pas près d’en parler à Bamako non plus : au Mali, un procès pour les crimes commis en 2012 dans le Nord est aujourd’hui illusoire. « Toutes les procédures sont au point mort », déplore Me Moctar Mariko, le président d’honneur de l’Association Malienne des Droits de l’Homme, qui est également le coordinateur d’un collectif de treize avocats qui se sont emparés de ces dossiers. » Commente-t-on dans Jeune Afrique.
Manque de volonté politique
Lundi soir sur les ondes de la VOA, Thierno Hadi Thiam Guide spirituel de la secte Quadriya disait ceci : « Si Al Faqi demande pardon aux maliens, c’est une bonne chose. L’islam est une religion de pardon. Le Dieu des musulmans reste ouvert au repentir. Ne faisons pas d’amalgame. Nous sommes dans un Etat de droit. Le pardon ? Oui ! Mais quel sort doit-il être réservé aux droits de ceux qui ont été amputés, violés, volés, tués, terrorisés… ? »
« Il faut que les hommes à qui Dieu a confié les destinées du pays aujourd’hui, sachent qu’en toute chose, la justice doit prévaloir. Mais on constate un réel manque de volonté politique de la part des autorités pour concrétiser cela. Aucune paix ne survivra sans la justice. Donc au lieu qu’elles se précipitent sur la question de réconciliation, elles doivent prendre la courageuse décision de juger et de punir ceux qui sont rendus coupables des crimes les plus odieux et qui se pavanent partout à Bamako » a-t-il ajouté.
Des plaintes ont été déposées devant la justice malienne. Mais faute de moyens et surtout de volonté politique, le tout dans un contexte défavorable (la sécurité des magistrats n’est toujours pas assurée dans le Nord), les investigations piétinent.
Les cas de violences sexuelles subies à Gao et Tombouctou ne sont pas près d’aboutir. « Les juges en charge de l’instruction sont à côté de la plaque, constate un avocat. Ils demandent aux victimes d’identifier leurs agresseurs. Mais si on porte plainte contre X, c’est justement parce qu’elles en sont incapables. La plupart de leurs bourreaux étaient enturbannés » écrivait Rémi Carayol.
Sur cette liste, figurent Ahmad Al-Mahdi, mais aussi Ag Alfousseyni Houka (dit « Houka Houka »), qui officia en tant que juge islamique, Sanda Ould Boumama (« Abou Mohamed »), un des lieutenants d’Iyad, ou encore Mohamed Ag Mosa (« Hammar Mosa »), le très redouté chef du « Centre d’application du convenable et de l’interdiction du blâmable », la milice qui a fait régner la terreur à Tombouctou durant l’occupation.
Le mea-culpa est-il sincère ?
Certains de ces hommes ont été entendus par la justice, tout comme les victimes. Mais l’enquête n’avance pas. « Sur les quinze, tous sont libres sauf Al-Mahdi, note Me Mariko. Certains jouent un rôle dans le processus de paix. D’autres ont même été libérés après avoir été incarcéré un moment, souvent pour des raisons politiques ».
C’est le cas d’Houka Houka, libéré en août 2014 par les autorités maliennes dans le cadre des négociations avec les groupes armés, et de Boumama, que les autorités mauritaniennes ont subitement relâché en août 2015 en dépit du mandat d’arrêt international émis par la justice malienne. Al Faqi serait-il lâché par ses complices et à qui aura valu ce remord ?
« Je demande pardon aux maliens et je leur demande de me considérer comme un fils s’étant égaré de son chemin », a déclaré al-Madhi après avoir plaidé coupable de crime de guerre à l’entame de son procès. Un djihadiste combat avec une conviction aveugle de Dieu et il serait incroyable jusqu’à ce jour de croire en celui-ci lorsqu’il dit regretter ses actes. En tout cas la sincérité de la demande de pardon de l’ancien milicien djihadiste est à vérifier car sa conversion n’est pas pour demain.
« Je me tiens devant vous dans cette enceinte, plein de remords et de regrets : je suis fort contrit de mes actes et de tous ces préjudices que cela a causé à mes êtres chers, à mes frères et à ma mère patrie, la République du Mali, et aux membres de l’humanité aux quatre coins du monde », a-t-il poursuivi devant la Cour. Voilà encore un voile qu’Al Faqi veut mettre à la face des juges, des maliens et du monde entier afin de bénéficier d’un allègement de peine.
En tout état de cause, pour la cohésion sociale et l’honneur des victimes d’Al Faqi, le droit doit être dit, a averti El Hadj Tierno Hadi Tiam.
Sinaly M Daou
Source: Le Soft