À 17 ans, Agna Konaté est apprentie Sotrama, une profession largement dominée par les hommes et les préjugés.
Si vous êtes un habitué du trajet Railda-Lafiabougou koda, en pleine capitale malienne, vous avez certainement vu ou connu Agna Konaté. Grande de taille, physique d’athlète, teint noir. A 17 ans, elle est parmi les rares adolescentes, qui font le métier rude d’apprenties Sotrama dans la capitale malienne. Ce « métier d’homme », considéré par ailleurs comme le refuge de voyous et autres accros aux stupéfiants, passionne Agna. Depuis deux ans, elle est accrochée au portail de ces bêtes vertes comme un margouillat (Le vert, c’est la couleur code unique des Sotrama, le moyen de transport le plus accessible et le plus prisé à Bamako, ndlr).
Ses parents, vivant dans un pays voisin, étaient d’abord réticents vis-à-vis de ce choix de métier. En effet, au Mali le métier d’apprenti Sotrama est considéré comme une malédiction, une espèce de péché d’Israël que tout le monde repousse. Il n’est pas rare d’entendre des mères implorer les divinités afin que leurs progénitures soient épargnées du sort d’apprenti Sotrama.
Malgré les préjugés, Agna a réussi à convaincre ses parents, qui, d’ailleurs, ne mettent pas des cloisons étanches entre les différents corps de métiers. Pour eux, estime-t-elle, « tous les métiers se valent ». Ce qu’ils détestent par contre, ce sont les « bêtises ».
Perte des valeurs fondamentales
Or, des bêtises ou dérapages, il n’en manque pas dans le domaine des transports en général au Mali, où l’absence de normes sinon leurs violations n’inquiète presque personne. Cet état de fait, Agna, qui a achevé le cycle primaire comme beaucoup de jeunes filles maliennes le ramène au problème d’éducation, à la démission parentale et à la perte des valeurs fondamentales dans la société. Elle se défend tout de même de jeter l’opprobre sur toute la profession à cause des mauvaises graines.
Sa passion et son sérieux pour ce « métier d’homme » lui valent l’estime de son patron et le respect des passagers. Entre passagers et apprentis Sotrama, la courtoisie est un sentiment bien rare. « J’ai de bonnes relations avec mes passagers. Beaucoup m’encouragent », confie l’adolescente. «Parmi les filles qui opèrent sur notre ligne, Agna se distingue par son sérieux et son amour du métier. Contrairement à d’autres collègues, elle ne se drogue pas, ne fume pas », témoigne un membre du bureau syndical des chauffeurs de Lafiabougou.
Pour Fanta, une passagère fidèle, la jeune apprentie « prenti moussoni », comme elle est désignée le long du trajet, se comporte bien avec ses clients. Des éloges partagés par son employeur Balla Mariko. Après deux ans de collaboration, le jeune chauffeur ne se sépare plus de son assistante. Agna est pour lui une source de sécurité. En fin de journée, il ne se fait plus de soucis pour ses recettes.
Déclassifier les métiers
Avec une rémunération journalière variant entre 3000 et 5000 FCFA, Agna Konaté vit aujourd’hui de son métier et fait la fierté de ses proches ainsi que de son entourage. Son désir le plus ardent : obtenir son permis de conduire et s’installer à son propre compte. En attendant, elle invite à déclassifier les métiers selon les sexes : « Il n’y a pas de métiers dédiés aux hommes et d’autres aux femmes. Ils sont valables pour tous », conclut-elle. Un avis que je partage amplement.