Le rebondissement de l’affaire dite de «l’avion présidentiel et des équipements militaires est en passe de soulever plus de questionnements qu’elle n’apporte à la clarté de l’épisode le plus énigmatique de l’ère IBK. En cause, l’incarcération sans ménagement ni discernement d’agneaux sacrificiels, tandis que pour d’autres gros acteurs cités dans la même affaire la procédure est enlisée dans les dédales d’un mécanisme tributaire des intérêts et du jeu politiques.
Du coup, la démarche de la partie poursuivante consacre l’émiettement d’un dossier pourtant indissociable à tous points de vue et dans lequel la soustraction de principaux présumés rend peu plausible la manifestation de la vérité sur les faits évoqués dans l’acte d’accusation. La porte est du coup grande ouverte pour l’injustice qu’on prétend conjurer par la lutte contre la délinquance financière. De quoi ouvrir une brèche aux avocats de l’ancien ministre Mahamadou Camara, de son codétenu Nouhoum Kouma, ainsi que d’autres coïnculpés dans le cadre du lièvre levé par le Pole économique et financier. Par-delà le très discutable privilège de juridiction dont ils se prévalent pour les uns, les autres réclament l’annulation ni plus ni moins de la procédure. En vertu notamment de la portée juridique des verdicts précédemment prononcés dans ledit dossier mais aussi de la non-pertinence des arguments qui sous-tendent la levée de son classement par le même parquet. Mais il n’en fallait pas autant pour ameuter les différentes tendances de la magistrature. Piquée dans leur orgueil corporatiste, elles se sont levées comme un seul homme pour voler au secours dudit parquet, le combler de sollicitudes et le rassurer d’un soutien indéfectible, au détour d’un besoin de protection contre de soi-disant interférences du plus haut sommet de l’Etat dans l’affaire et, partant, contre les atteintes de celui-ci à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
«La détention du sieur Camara a fortement déplu au plus haut sommet de l’Etat», peut-on lire dans le communiqué ayant sanctionné la rencontre entre le procureur Kassogué du Pole économique et les deux syndicats de la magistrature – dont la démarche a tout l’air d’une orchestration. En atteste pour le moins leur anticipation très peu artistique sur le dénouement qu’attendaient les avocats de la défense d’une requête encore pendante devant la la Chambre d’Accusation et que la corporation des magistrats a déjà tranchée en relevant dans le même communiqué qu’elle tient d’une «interprétation biaisée de l’article 116» du Code de procédure pénale en rapport avec le privilège de juridiction accordé aux ministres. L’ancien ministre Camara, mentionnent-ils, est détenu pour un acte posé pendant qu’il ne jouissait que du seul rang de ministre sans les prérogatives alors qu’il est question de privilège accordé aux catégories de personnes ayant à la fois rang et prérogatives du titre en question.
Avec la mobilisation du ban et de l’arrière-ban et une magistrature vent debout pour la circonstance, il est loisible de comprendre, en définitive, que la détention des Sieurs Mahamadou Camara et Nouhoum Kouma recèle des enjeux très déterminants dans le devenir du dossier, après son réchauffage au forceps par le Pole économique et financier. Il n’est guère exclu, en clair, à en juger tant par la taille lilliputienne des éléments d’inculpation que par la rigueur infligée aux intéressés, qu’ils font figure de détenus peu ordinaires voire de détenus par défaut. À peine ne se présentent-ils comme des otages du parquet pour les besoins de quelque dessein inavouable, et pour cause : l’un n’est poursuivi que pour la signature, à la place du président de la République, d’une lettre de recommandation au profit de Sidi Mohamed Kaniassy (l’ancien conseiller d’IBK) aux fins de négocier au nom de l’Etat auprès des fournisseurs d’équipements militaires, l’autre n’a visiblement commis de péché que d’avoir pris part à la livraison de la commande au nom de son frère aîné. Si le second semble payer pour son frère aîné Amadou Baïba Kouma, le représentant de GUO-Star, l’autre fait manifestement les frais de l’impossibilité pour la justice d’accéder directement au président de la République dont il fut le Directeur de cabinet et sous les ordres duquel le mandat décerné à M. Kagnassy a été dument signé. Et le chef de l’Etat n’ayant jamais contesté ou récusé l’acte administratif en question, on est en droit d’en déduire que sa personne n’est pas moins visée que celui de son ancien collaborateur par la bourrasque judiciaire déclenchée par le ministre de la Justice en personne. C’est sur les instructions du Garde des Sceaux, en effet, que le brûlant dossier a été attisé et c’est avec son onction et sa bénédiction, selon toute vraisemblance, que la magistrature s’érige en sentinelle corporatiste contre l’Exécutif qu’elle taxe d’ingérence malencontreuse dans le dossier.
Ce n’est pas la première fois que la magistrature sous Malick Coulibaly s’illustre par une gênante stigmatisation du pouvoir. Une posture similaire l’avait caractérisée lors de l’interpellation de l’Imam Mahmoud Dicko au Tribunal de la Commune V, à la suite de laquelle l’Exécutif fut pris à partie d’avoir œuvré pour soustraire le leader religieux à ses obligations de justiciable. Quant à la fixation des mêmes syndicats sur le dossier des équipements militaires et de l’avion présidentiel, elle est probablement sous-tendue par le dessein beaucoup plus vicieux d’étendre la procédure au plus haut sommet de l’Etat. À défaut de pouvoir profiter de Mahamadou Camara pour déboucher sur une procédure de haute trahison contre IBK, une détention prolongée de l’ancien Directeur de cabinet est un filon irremplaçable pour embarrasser Koulouba par d’ennuyeux coups de projecteurs sur la lettre de recommandation ayant déclenché les deux affaires.
A KEÏTA
Source: Le TÉMOIN