Voici l’intégralité du discours du président Ibrahim Boubacar Keïta.
Mes chers Compatriotes ; Maliens de l’intérieur et de l’extérieur ; Chers Hôtes et Amis du Mali,
En m’adressant à vous en cet instant solennel, je ne suis pas en train de sacrifier à un simple rituel, ou de m’acquitter d’un devoir contraignant. Au contraire, c’est tout un privilège pour moi. Celui de vous parler, de parler avec vous, femmes, hommes, jeunes et vieux de cette nation ouverte, cette nation conviviale mais cette nation solide de ses principes autant qu’elle exige de tous le respect qu’elle voue à chacun. En cette heure chargée de symboles, je réaffirme donc ma fierté à interagir avec le pays, conscient que je ne pourrai jamais lui rendre qu’une infime partie de la considération qu’il m’a toujours portée, qu’il continue de me porter, et qu’il m’appartient de consolider chaque jour un peu plus, chaque jour un peu mieux.
En sachant le risque et le poids des erreurs, et des erreurs hélas il y en aura car inhérentes à l’homme. Et en sachant aussi les écueils sur la route, ceux que pose la nature des choses, et ceux que posent les mains, et ils sont nombreux. Contre toutes ces pesanteurs, il faudra agir avec la force de la conviction, armé de la détermination qui soutient les grands desseins, pas les desseins égoïstes non, mais l’ambition de servir le Mali, tout le Mali et rien que le Mali. Ma foi en l’avenir de ce pays reste inébranlable. Comment peut-il en être autrement ? Car ce pays auquel nous devons tous avoir la fierté d’appartenir découle d’un pari patiemment gagné sur le temps et sur l’adversité. Car il a été forgé dans un moule qui a brassé les apports les plus divers, porteurs de l’Histoire majestueuse qui hier, donna Tombouctou avant qu’aujourd’hui d’autres ne soient.
C’est pourquoi, notre itinéraire en tant que nation a toujours fait mentir les Cassandre qui n’ont cessé de nous prédire l’apocalypse pour finir par constater par eux-mêmes que le pays est debout sous le soleil, debout dans le vent, debout envers et contre tout. Tel est, malgré la péjoration continue du climat, l’agriculteur malien qui cultive pour sa subsistance et pour celle des autres. Tel est l’éleveur malien qui a réussi les brassages les plus féconds de bovins, de caprins, d’ovins. Tel est le pêcheur malien qui connaît les moindres recoins des fleuves et des mares. Tel est le négociant malien qui, de Guangzhou à Sao Paulo en passant par Dubaï, arrive à proposer sur le marché malien, des prix défiants toute concurrence. Oui, debout sous le soleil, debout dans le vent, debout envers et contre tout, l’artisan malien l’est, lui qui draine les foules à toutes foires. L’artiste malien l’est, lui qui depuis plusieurs années est abonné aux plus grandes distinctions internationales. Le salarié malien, du privé ou de la fonction publique l’est, lui dont je salue l’abnégation, lui dont le Gouvernement n’ignorera jamais les revendications pour une vie plus décente, plus équitable.
Mes chers Compatriotes,
L’année 2018 a été marquée par des antagonismes divers, qu’il s’agisse des défis sécuritaires au centre et au nord, de la mise en œuvres des Réformes Institutionnelles, de la forte demande sociale, du nécessaire besoin de cohésion sociale qui demeurent des défis à relever et autant d’attentes à satisfaire. Au début de l’année 2018, ils n’étaient pas nombreux ceux qui voyaient un pays capable de restaurer, à nouveau, son autorité sur l’ensemble du pays. A toutes et tous, je dis merci d’avoir compris que le Mali est une digue qu’il ne faudra pas laisser céder ! Merci d’avoir compris que nous avons une communauté de destin ! Pendant la campagne électorale, et pour les cinq (05) prochaines années, j’ai soumis à votre appréciation un projet de société, un programme pour la paix et le progrès intitulé «Ensemble pour la paix et le progrès. ANW KA MALIBA BE KA TAA GNE !»
Je vous ai promis une meilleure gouvernance, je le ferai. Je vous ai promis des réformes politiques et institutionnelles courageuses, je le ferai. Je vous ai promis une croissance économique inclusive, je le ferai. Je vous ai également promis un développement du capital humain et l’inclusion sociale. Je le ferai aussi.
Je vous ai ensuite promis des actions concrètes dans le cadre du changement climatique et le développement durable. Promesse sera tenue. Enfin, j’ai promis une diplomatie à la hauteur de nos ambitions. Je le ferai aussi. Mais, pour la réalisation de ces nobles desseins, j’ai besoin de vous, de votre énergie et de vos bénédictions. L’union sacrée, nous la devons à notre Pays.
Mes chers compatriotes,
Il n’est pas de propos car il s’agit ici d’un message de nouvel an de livrer un discours-bilan. J’aimerais cependant saisir l’opportunité d’apprécier ensemble le chemin parcouru depuis l’année écoulée, voir ce qui a été réalisé dans les grandes lignes, ce qui n’a pu l’être et ce qu’il convient de faire pour que nos projets ne soient pas des vœux pieux. Dans cette perspective, j’aimerais souligner que la résilience de nos systèmes de production et la combativité de nos producteurs m’ont toujours paru des atouts forts à capitaliser. C’est cette conviction qui a donné le socle des mesures, programmes et projets initiés sous mon magistère. Un peu plus de cent jours après mon investiture en tant que président élu, je voudrais saisir l’occasion solennelle qui m’est offerte ce soir, pour saluer de nouveau, tous ceux qui ont contribué à l’aboutissement du processus.
Je salue les institutions de gouvernance électorale de notre pays, pour avoir, dans leur synergie et chacune dans sa sphère de compétence, rendu possible les scrutins. Je salue le Gouvernement pour s’être surpassé, dans le but honorablement réalisé, de mener à bien un processus que d’aucuns disaient intenable. Je salue les électeurs et les électrices, pour avoir accompli leurs devoirs civiques sous la pluie et sans céder aux menaces pour certains. Je salue enfin tous les candidats aux deux tours du scrutin présidentiel pour leur participation, car la démocratie commence et se renforce par la participation. A tous, je redis que j’ai conscience, et conscience aigüe de l’obligation constitutionnelle qui m’est faite d’être et de rester le Président de tous les Maliens, ceux qui m’ont fait l’honneur de m’accorder leurs suffrages comme ceux qui en ont décidé autrement.
Je réitère ce soir également mes propos du 22 septembre dernier, à savoir que ma main reste tendue à tous mes compatriotes. Allons tous au rassemblement ! Donnons-nous la main pour que réussisse la nécessaire introspection qu’appelle notre processus démocratique dont les faiblesses doivent être identifiées et corrigées. Comme vous en conviendrez, il est indispensable de procéder à une révision constitutionnelle proposant les justes aménagements à partir de notre vécu institutionnel, à partir de nos fragilités, à partir de nos silences, à partir de nos imprécisions. J’ai, du reste, instruit au Premier ministre de conduire cette révision constitutionnelle et de mettre en place, dans les jours à venir, un comité d’experts qui sera chargé de proposer la révision de notre constitution et de conduire les réformes institutionnelles nécessaires au renforcement de notre démocratie. Et je renouvelle mon insistance sur un processus inclusif où toutes les forces vives de la nation, majorité, opposition, société civile, sont impliquées, se sentent concernées, puissent contribuer. C’est le prix à payer pour l’appropriation de nos réformes, de manière à éviter niches de polémique ou de controverse.
Mes chers compatriotes,
L’évolution démocratique implique également une défense et une sécurité nationales, capables, responsables, garantes de la souveraineté de l’Etat et de l’intégrité du territoire. A cette fin, la Loi d’Orientation et de Programmation Militaire en cours, permet d’accélérer l’équipement de nos soldats, d’améliorer leur condition de vie, de réarmer moralement nos troupes contraintes à une guerre dont nous n’avons pas besoin. Nous sommes déterminés surtout à acquérir la maîtrise des airs car partout le vecteur aérien s’est révélé comme une réponse pertinente à la guerre asymétrique.
Mes chers compatriotes,
La démocratie est un système de gouvernance qui exige la gestion la plus rigoureuse possible de nos deniers, donc une lutte systémique au lieu d’être spectaculaire, contre la corruption et l’impunité. La volonté de l’effort systémique pour accroître la base de nos ressources et pour utiliser celles-ci le plus judicieusement possible, s’est traduite récemment par la création d’un ministère dédié à la réforme et à la modernisation de l’Etat. Vous comprendrez que je ne m’étende pas sur le défi de la transition démographique, ni sur le défi de la transition énergétique ni sur celui de la transformation culturelle, même si ces secteurs restent structurants. La transition énergétique est celle qui, par l’exploitation du soleil, du vent et des fleuves, nous permettra de soutenir l’industrialisation du pays et de démocratiser l’accès à l’électricité et à l’eau qui restent encore des produits de luxe sous nos cieux.
Quant à la transition culturelle, elle passe par la construction de la citoyenneté, donc l’émergence de citoyens autant conscients de leurs droits que de leurs obligations. Des citoyens qui se surpassent pour leurs pays ! Mais aussi des citoyens d’un monde globalisé, qui nous met en demeure de maîtriser les défis du numérique ! Des citoyens bien formés et aptes pour la compétition, là où la médiocrité et le retard seront lourdement sanctionnés. C’est dire toute l’importance d’un système éducatif de qualité, de l’innovation et de la recherche scientifiques, dans un espace devenu la société du savoir et de la créativité, du seul savoir, de la seule créativité.
Le Gouvernement sait le prix que j’attache à l’excellence, à une jeunesse excellente, bien accompagnée et confiante en elle-même. C’est à cette jeunesse que j’ai dédié mon second mandat. Nous ne devons jamais oublier cependant que les réformes sociétales aboutissent plus facilement par l’évolution des mentalités qu’au forceps ou par la méthode du fait accompli. A cet égard, la controverse autour du programme sur l’éducation sexuelle complète, n’aurait jamais dû être car rien de ce qui touche à notre identité et à nos valeurs ne doit être initié sans consensus des forces vives. Ceux qui me savent, savent que je ne suis pas homme à capituler devant les puissances d’argent ou les lobbys d’idées jurant avec notre culture. Le gouvernement a décidé de renoncer à poursuivre l’élaboration du programme controversé. Là-dessus, il a mon approbation claire et nette. Contre les malthusiens, l’école soviétique avait dit en son temps que le développement est le meilleur contraceptif. L’analyse des sociétés occidentales conforte ce postulat et cela doit amener à mettre le curseur sur le défi de la transition économique, j’allais dire le défi de la transformation économique.
Mes chers compatriotes,
Oui. C’est là une de nos plus grandes batailles. Le taux de croissance économique sera d’environ 5% en 2019, au même niveau donc que ces cinq dernières années, soulignant l’effort macroéconomique consenti mais également le dynamisme du secteur privé autant que la résilience du secteur primaire. Dans cette perspective, le Gouvernement, a franchi un pas important en adoptant la finance islamique comme mode de financement alternatif et moyen d’amélioration de l’inclusion financière. Globalement, le Mali tient la route. Et loin d’être un gadget ou un outil de campagne électoral, le Programme Présidentiel d’Urgences Sociales, sera maintenu dans le dessein de combler le retard criard dans les services sociaux de base pour les parties de notre territoire qui en ont le plus besoin.
Quant au Programme Présidentiel de Rénovation Urbaine, nous en attendons légitimement qu’il change le visage de Bamako et de nos capitales régionales dans les meilleurs délais. Nous devons alors diversifier et accroître les sources de financement à cette fin, tout en élargissant les bases de notre assiette fiscale et douanière. Nous devons reconnaître que l’année qui s’écoule aura été très éprouvante sur le plan des recettes. Plaise à Dieu que la nouvelle année réponde à nos attentes pour une plus grande fluidité financière.
Il reste que pour réussir la transition économique, nous devrons impérativement faire beaucoup plus et beaucoup mieux. Sans, en effet, une politique d’industrialisation massive mais intelligente car basée sur la pertinence de notre offre, nous n’irons pas loin.
Nous n’irons pas loin si nous n’arrivons pas à optimiser la chaîne des valeurs dans notre agriculture et dans notre secteur minier, pour créer ici même l’emploi que nous exportons avec nos matières premières. Nous n’irons pas loin si notre artisanat n’est pas bien fini. Nous n’irons pas loin sans un secteur performant de services, creuset de couches moyennes sans lesquelles le développement est un leurre.
Le Mali figure dans le peloton de tête des pays qui consacrent au moins 15% de leurs ressources budgétaires à l’agriculture, comme le recommande l’Union Africaine. L’agriculture est le moteur de notre économie. Notre ambition est de soutenir davantage ce secteur névralgique.
Mes chers compatriotes,
S’agissant de paix et de sécurité, vous vous souviendrez de la signature, le 15 octobre 2018, du Pacte pour la paix entre le Gouvernement et l’Organisation des Nations Unies, assortie d’une déclaration d’adhésion de la CMA et de la Plateforme, contribuera certainement à conforter cet élan. A travers ce document, les parties maliennes réaffirment leur engagement à accélérer la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, issu du processus d’Alger, conformément aux actions déclinées dans la feuille de route du 22 mars 2018. Les actions conjuguées de nos forces de défense et de sécurité et les actions combien salutaires des Forces internationales, notamment la MINUSMA, la Force Barkhane et celle du G5 Sahel sont en train de porter fruit.
C’est le lieu de saluer le partenariat fécond avec l’Union européenne pour son appui dans la formation, à travers EUTM Mali et EUCap Sahel Mali, de nos forces de défense et de sécurité. Quant au Centre du pays, les actions militaires et sécuritaires engagées, par les forces armées séparément ou en conjonction avec les troupes du G5 Sahel et l’Opération Barkhane portent de plus en plus leurs fruits. Si zéro insécurité est impossible, il n’y a aucun doute que le terrorisme dans notre pays sera vaincu, car confronté au rouleau compresseur d’une riposte portée par des troupes plus aguerries, mieux outillées, avec la consigne scrupuleuse de respecter les règles d’engagement ainsi que l’éthique de l’armée. Hélas, les conflits intercommunautaires, corolaire de l’insécurité constituent une menace bien plus sérieuse pour la cohésion et l’unité dans des contrées jadis réputée pour les compromis qu’elle avait su développer entre ses ethnies et ses systèmes de production. Les solutions à nos crises sécuritaires ne peuvent pas être que militaires. Elles sont également économiques et humanitaires. C’est pourquoi sous la conduite du Premier ministre, un ensemble de mesures sont soit à l’œuvre, soit envisagées dans les plus brefs délais.
Le programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion effectif dans le septentrion de notre pays, concerne également son Centre. Les patrouilles mixtes timidement initiées vont s’intensifier dans les mois à venir. L’entente doit prévaloir partout au plus vite. La paix doit triompher sur la guerre. Telle est ma préoccupation et tel est l’objectif du gouvernement.
Mes chers compatriotes,
Rien de durable ne se fera sans s’appuyer sur nos valeurs : la solidarité, la recherche de la cohésion, la convivialité et la tolérance. Ces valeurs sont agressées par les temps. Sauvons-les par la chaîne sacrée, celle de nos mains unies, de notre foi commune. Toutes les couches de nos populations, celles des villes et des campagnes doivent être mobilisées et mises en contribution pour accélérer la marche de Notre Grand Mali. Chers hôtes du Mali, vous qui nous avez fait l’honneur de venir vivre parmi nous, partager nos joies et nos peines, partager notre quotidien, je voudrais vous saluer du fond du cœur. Ici vous êtes chez vous. Aucun Malien ne vous offensera parce que vous êtes d’ailleurs, en raison de votre statut d’étranger. Nous sommes un pays ouvert. Nous sommes un pays d’émigration. Nous avons trop souci de nos compatriotes séjournant hors de leur pays pour faire à nos hôtes ce que nous n’aimerions pas qu’on fasse à nos frères et sœurs, à nos filles et fils de la diaspora. Ce soir de communion, aux troupes étrangères qui servent sur notre territoire et qui pensent à leurs familles, je souhaite une excellente année.
Maliens de la diaspora où que vous soyez, le Mali entier est avec vous, partage vos joies et vos peines. Continuez à faire honneur à votre patrie. Sachez qu’en chaque Malien qui meurt au fond de la mer, c’est aussi votre Président qui sombre ! En chaque Malien agressé à l’extérieur, je me sens agressé. Notre ambition, notre vision est celle d’un Mali qui offre ici à ses enfants ce qu’ils partent chercher ailleurs, au risque de leur vie, à la montée des périls, des égoïsmes nationaux, des idéologies de rejet et d’enfermement. Sans relâche, je travaillerai à ce Mali qui rassasie ses enfants et ceux des autres. Je le ferai dans le temps qui m’est imparti. Ma génération est celle des passeurs. Nous passerons. Pour le Mali. Ce soir en particulier, pour tous nos morts, j’ai une pensée forte. Pour tous nos malades, je souhaite prompt rétablissement.
Bonne et heureuse année 2019
Que Dieu bénisse le Mali !
Source: L’ Aube