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A coeur ouvert avec Pr Ali Nouhoun Diallo:‘’On tend à banaliser l’œuvre des dirigeants de la III ème République…’’

Ce natif de Débéré, un village situé à 15 km de Douentza dans la région de Mopti n’est plus à présenter. A 83 ans, Pr Ali Nouhoun Diallo est sans doute l’une des consciences morales et politiques de notre pays. Maître de conférences agrégé de médecine interne à l’Ecole Nationale de Médecine et de Pharmacie, médecin à l’hôpital du Point G, Président d’honneur des Clubs UNESCO, il a joué un grand rôle majeur lors des événements du 26 mars 1991.
Membre fondateur de l’Alliance pour la Démocratie au Mali, ancien secrétaire politique du parti ADEMA, ancien Président de la Coordination malienne des organisations démocratiques (COMODE) il assura de 1992 à 2002, le poste du Président de l’Assemblée Nationale et présida les 10 années qui ont suivi aux destinées du Parlement de la Cedeao. Pour avoir son regard rétrospectif sur la révolution du 26 mars 1991, nous avons rencontré cet octogénaire (qui se veut gardien du temple démocratique). Entretien !

Le Challenger : 26 mars 2021. 30 ans après le 26 mars 1991, dont vous êtes un des acteurs-clé, quels sentiments vous animent aujourd’hui?
Pr Ali Nouhoum Diallo : Le sentiment que j’ai aujourd’hui, c’est la banalisation de ce qui s’est passé durant de longues années et qui a conduit à l’avènement du 26 mars 1991. Le 26 mars est le résultat de luttes héroïques qui ont démarré le 19 novembre 1968 : Les tracts distribués par le Prof Ibrahima Ly le 19 novembre 1968, celui du 20 novembre 1968 par le Parti Malien du Travail (PMT) et d’autres actes posés par les citoyens attestent de ce que je dis. Ibrahima Ly avec ses camarades du RPM (Rassemblement des Patriotes Maliens) dont Abdramane Baba Touré et ses camarades du PMT, connaîtront les prisons de plusieurs de nos villes.
«Toile d’araignée» du Prof Ibrahima Ly, «Sur le chemin de l’honneur de l’adjudant-chef Guédiouma Samaké», «Le bagne-mouroir de Taoudéni de sergent-chef Samba Sangaré», «Transfert définitif du colonel Assimi Goïta» entre autres, décrivent les crimes et atrocités commis par la junte militaire du 19 novembre 1968 avec à sa tête le lieutenant devenu général d’armée, Moussa Traoré.
La résistance de l’AESMF (Association des Etudiants et Stagiaires Maliens en France) section de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire), l’ASMD (Association des Scolaires Maliens de Dakar) section de l’Union des Etudiants de Dakar et l’AESMUS (Association des Etudiants et Stagiaires Maliens de l’Union Européenne) a contribué largement à l’avènement du 26 mars 1991. Avec des morts comme celle de l’étudiant Cheick Oumar Tangara, expulsé de Dakar avec ses camarades, dont feu Soumaïla Cissé, Pr Amidou Magassa, Pr Baba Koumaré, pour ne citer que ceux-là. Sans oublier Ibrahima Thiocary et, bien sûr, le grand Abdoul Karim Camara dit Cabral.
Mon sentiment est qu’on commence à banaliser tous les morts de janvier à mars 1991 et, surtout, les 200 à 300 victimes de la férocité du CMLN-UDPM. On tend aussi à banaliser l’œuvre des dirigeants de la Troisième République, du Président Alpha Oumar Konaré à Ibrahim Boubacar Kéita, en passant par le Général Amadou Toumani Touré (Président de la République après avoir été chef de l’Etat de la Transition de 1991).
Les anti-mouvements démocratiques estiment à tort, j’en suis sûr, que rien n’a été fait ces 30 dernières années et que les acteurs du mouvement démocratique du 26 mars 1991 sont responsables de tous les malheurs du pays. Oubliant même les différentes salles dans lesquelles ils se réunissent aujourd’hui librement sans crainte d’être poursuivis ! Il y’a les multiples journaux qui paraissent quotidiennement, hebdomadairement, mensuellement dans le pays, dans lesquels ils s’expriment librement, parfois même sans déontologie, oubliant la libération de la créativité, la liberté d’entreprendre, qui permet aux opérateurs économiques maliens de rayonner dans leur pays et dans la sous-région.

Deux (2) coups d’Etat ont jalonné la marche démocratique de notre pays. Quelles leçons devons-nous en tirer ? N’est-il pas un symptôme du malaise de notre démocratie ?
Quand j’étais un moment dans le ‘’Collectif Ne Touche pas à ma Constitution !’’, au sein duquel je représentais la Coordination Malienne des Organisations Démocratiques (COMODE) dont j’assurai la présidence, des camarades ont commencé à dire un jour «Amadou Toumani Touré dèsèra ! » Autrement dit, «Amadou Toumani Touré ne peux plus faire grand-chose, Amadou Toumani dégage ! ».
Immédiatement, j’ai répliqué en disant que je ne suis pas dans ce projet de faire dégager Amadou Toumani Touré, car en y adhérant, je vais à l’encontre du mot d’ordre même du ‘’Collectif Ne touche pas à ma Constitution !’’.
Dégager Amadou Toumani avant la fin de son mandat, c’est violer la constitution. Ce mot d’ordre ‘’Amadou Toumani dégage !’’ n’a jamais été débattu ni à l’Alliance pour la Démocratie au Mali, qui m’a envoyé à la COMODE ni au sein de la COMODE elle-même. J’ai dit aussi, ce jour-là : ’’si vous continuez à vous chamailler, un caporal Sogodogo viendra vous mettre tous d’accord !’’ Je craignais tellement le coup d’Etat que je suis allé voir, accompagné par l’actuel maire de Sikasso, Kalifa Sanogo, mes aînés Morikè Konaré, Dr Seydou Badian Kouyaté, le Gouverneur Youssouf Traoré, qui, ce jour-là, était chez feu Bakary Kamian. A tous, j’ai signalé le risque de coup d’Etat qui nous pend au nez. L’impression que j’ai eue lors de ces visites était que c’était trop tard ! Amadou Toumani n’écouterait personne. Le coup d’Etat était inévitable. Quand la même situation s’est présentée avec Ibrahim Boubacar Keita, j’ai observé la même attitude.
J’ai écris y compris dans les journaux qu’il faut éviter d’installer la culture de coup d’Etat et faire en sorte que s’incruste dans l’esprit des citoyens, la culture institutionnelle. J’ajoutai êtes-vous sûr que la suite du départ de Ibrahim Boubacar Keita ne sera pas pire. Les camarades m’ont répondu en chœur que rien ne sera pire que ce qu’Ibrahim Boubacar Keita est en train de nous faire vivre.

La refondation de notre pratique démocratique et institutionnelle est au cœur des débats. Quels doivent en être, selon vous, les grands axes?
Je ne suis pas dans les formules. J’ai vu le parti Adema parler de rénovation. Et je sais là où ça conduit. Je disais à une camarade militante (que j’aime beaucoup) qu’ils ne rénoveront rien mais passeront simplement leur temps. J’ai entendu un autre dire qu’après la rénovation, ça sera la refondation. J’attends de voir ce qu’ils veulent refonder.
En ce qui concerne le Parti Africain pour la Solidarité et la Justice, parti qui prône la sociale démocratie, la démocratie et le socialisme, quand j’entends refondation, je me dis que c’est pour changer les bases sur lesquelles le parti a été fondé. Ceux qui parlent de refondation, j’attends de savoir quelles seront les nouvelles bases sur lesquelles ils font construire les nouvelles pratiques politiques. Ce sont des questions qui suscitent en moi plutôt des questions. Nous votons de très bonnes lois, nous les mettons rarement en pratique. Et après on les relit sans savoir ce qui a marché, ce qui n’a pas marché dans l’application de ces lois, quels sont les obstacles à leur mise en œuvre. C’est pour cela, à mon sens, que nous sommes dans la relecture permanente des lois. Je suis de ceux-là qui ont pour philosophie la pratique est la source de toutes connaissances.

Propos recueillis par Alpha Sidiki Sangaré

 

Source: Le Challenger

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