Bien reçu par ses enfants et son épouse à leur domicile, après qu’il aie raccompagné la maman et le grand frère, Djely Mady Soumano, venus lui rendre visite, Bourama Soumano nous réserva à son tour un accueil chaleureux, le temps de réaliser un court entretien nourri et enrichissant avec son célèbre sourire amical et naturel en appoint. Conformément à la coutume d’hospitalité en vigueur chez nous, madame disposa et nous laissa seuls pour démarrer l’entretien.
D’emblée le chef de la communauté des communicateurs traditionnels du Mali, campa le décor et choisi de dérouler l’interview en langue nationale Bambara. Marché conclu, il accepta en retour de nous faire un portrait succinct de lui-même pour révéler sa capacité à transmettre des connaissances propres et dénuées de tout contre-sens à nos lecteurs. En cela, fidèle à ses valeurs et à sa tradition millénaire il nous fera savoir qu’il est issu de la famille des grands griots. Petit fils du chef de la communauté des communicateurs traditionnels, Diamoussa Soumano, et fils de Bakary Soumano, chef de la communauté qu’il a succédé en 2003 suite au décès de leur père. Ici à Bamako, dans leur fief de Dravela, les Soumano sont connus comme étant les communicants des familles fondatrices de Bamako, les Niaré et les Touré. De père en fils, et cela se perpétue depuis 2004 qu’il occupe la fonction de chef de la communauté. “Cela fait 21 ans déjà que je suis Djely et porte-parole de la communauté Djely”. Avant d’ajouter : “Au cours de mon périple, j’ai eu la chance de beaucoup de voyager et de donner des conférences en Amérique, en Asie et en Europe dans les universités et les centres dramatiques. Ici au Mali, j’ai ouvert une école pour former les jeunes de ma communauté à connaître leur histoire et leurs coutumes. Cette école existe depuis 2012. À notre actif, 13 ans d’existence et plusieurs promotions sont sorties formées. Dans la communauté des communicateurs traditionnels, j’ai également un rôle important à jouer qui est différent du récit de parolier. Je travaille plutôt sur les tarikhs ou l’Histoire, pour tout vous dire. Voilà ce que je peux brosser de moi-même”.
Un riche tableau qui démontre un développement personnel réussi. Pris dans son contexte flagrant de communicateur très sollicité, nous sommes revenus à la charge pour le questionner sur son parcours et l’origine de sa célébrité actuelle : depuis quand est-il devenu si célèbre dans le pays par ses interventions dans les radios et sur les chaînes de télés qui l’ont rendu incontournable comme personne-ressource ? Quel type de Malien est-il dans ce Mali Kura ?
Réponse de Bourama Soumano : « Je suis ravi de votre question. J’ai commencé à être célèbre à travers une émission de radio depuis 2000. J’étais animateur d’une émission sur notre histoire à la radio Patriote. J’axais mes propos sur notre code d’honneur et le comportemental de nos compatriotes, nos empires, royaumes et anciennes chefferies traditionnelles. J’en profite au passage pour saluer Daouda Traoré Bokele qui m’a permis d’intégrer la radio Patriote et de me faire connaître de Maliens. Je luis dois cette mention spéciale pour œuvre de reconnaissance et témoignage. Effectivement d’autres radios me sollicitaient et je me rendais à toutes les émissions qui me demandaient. Pour ouvrir une parenthèse je salue la mémoire de maître Mbam Diatiggui Diarra, ancienne médiateur de la République, qui m’appelait “mon ami” et je l’ai toujours considérée comme une mère jusqu’à son dernier souffle. Elle a fait le lycée avec ma tante paternelle Madjè Soumano et j’aimerais insister pour que vous mentionner ce que je vous dis là. Car cette mère de famille m’a porté à son dos quasiment en mobilisant entre 22h et 00h, son chauffeur pour les déplacements entre les radios et des fois elle-même venait assister aux émissions. Elle m’a permis d’intégrer le monde des organisations internationales et des ONG. C’est comme ça que mon spectre d’intervention s’est élargi et désormais je donnais des conférences un peu partout sur demande. C’est ainsi que les Maliens ont commencé à mieux me découvrir. Par la suite, les Maliens de la diaspora, surtout aux États Unis et au Canada, ont pris l’initiative de créer le club des amis de Bourama Soumano, dont Adama Mariko, Lanssana Cissoko, Sory Sangho Malick Diallo ont été les premiers à installer une section du club et m’ont invité à aller donner des conférences que vous pouvez aller vérifier sur YouTube. Ensuite les Maliens de France et d’Allemagne ont pris l’initiative en marche et m’ont invité à leur tour comme Aboubakrine Kébé. Certaines universités au Mali ont pris le relais et des grandes écoles aussi, avant que moi-même ne me décide à en faire autant au pays en me rendant dans les établissements secondaires des Académies d’inspection du Mali, pour donner des conférences gratuitement dix ans durant. Même si les universités ont besoin de moi -et elles ne me font pas appel – elles n’étaient pas ma priorité à côté des établissements secondaires que j’avais ciblés. Dans ces établissements on leur enseigne l’histoire de la 1ère et de la 2ème Guerre mondiale, du Brésil, de la France, de la Chine, mais leurs élèves n’apprennent rien sur leur pays, l’histoire du Mali. C’est pourquoi j’allais vers eux pour leur expliquer et combler des lacunes. C’est à partir de là que l’État a commencé à me faire appel à travers ses services et départements et pour mon expertise, quand il y a des événements, des dossiers et des affaires qui touchent la culture, on me consulte. Grâce à Dieu et Dieu merci, ce rapprochement inattendu pour moi m’a précipité dans le rôle de médiateur. J’ai beaucoup servi dans ce sens et sur plusieurs problèmes où j’avais été impliqué. C’est pourquoi la fonction de communicant ne tolère pas la violation de la confidentialité qui recouvre ces médiations menées. Si vous voyez que les gens trouvent courage et confiance à se confier à nous en toute confidentialité c’est parce qu’ils sont sûrs que ce qui se dit dans la case ne va pas fuiter au dehors. Même les crises institutionnelles et politiques il nous arrive d’être choisis médiateur en tant que régulateurs sociaux et communicants traditionnistes. Du coup, avec l’avènement de la Transition actuelle, lorsqu’il s’est agi d’élaborer une nouvelle Constitution, j’ai eu l’honneur de faire partie de la Commission de finalisation du projet de Texte constitutionnel. J’ai aussi pris part aux travaux du Comité de pilotage du Dialogue Inter Maliens ainsi que dans la commission de rédaction de l’avant-projet de la charte des valeurs. Je suis sollicité de partout et je réponds présent. Mais ce que j’aime par-dessus tout, par amour de la Patrie, c’est me rendre dans les casernes et garnisons militaires pour m’entretenir et échanger avec les officiers et les soldats, muni de mon instrument de musique. Mais Dieu merci, l’État-Major Général des Armées m’a déjà une fois invité à donner une conférence aux jeunes officiers et sous-officiers et c’est une première qui m’a réjoui. J’ai beaucoup aimé. J’ai aussi donné des conférences à l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye qui a l’habitude de me solliciter ».
Son parcours exemplaire qui se résume ainsi, lui a renforcé cette certitude à travers le monde et ses voyages. À ce titre, pour mieux étayer tout cela, face aux témoignages qui foisonnent sur lui, Bourama se verra solliciter par les structures étatiques qui l’ont fait sortir de l’ombre à la lumière par sa très grande capacité de rappeler des faits historiques qui trouvent leurs prolongements dans les méandres et les interstices de la société malienne. Les faits relatés par lui-même parlent d’eux-mêmes : tout le monde est unanime là-dessus. Bourama Soumano est un orateur hors pair. C’est ainsi qu’il est sollicité pour faire partie de la commission de rédaction de la Charte nationale pour la Paix et la Réconciliation nationale. À la question de savoir quel pourrait être l’impact réel de cette charte à côté de la nouvelle Constitution sur les populations, Bourama Soumano dira, sans entrer dans les détails sur la charte qui est en finition, que le document en élaboration dans sa phase finale ne vise qu’une seule chose ; redonner au Malien sa dignité d’homme et le replacer au cœur des préoccupations nationales pour qu’il se voit sujet administré aux intérêts communautaires pris en charge par l’État et pour l’amélioration des sorts individuels et l’épanouissement des personnes. Jadis on avait essayé plusieurs modèles qui se sont avérés inopérants. Comment obtenir une paix durable dans l’unité nationale ? Dans quelle nouvelle démarche qui divorce avec l’aliénation qui n’a servi à rien jusqu’ici ? On avait des valeurs qui ont fait leurs preuves et leurs effets en termes d’équilibre sociétal. Mais on les a abandonnées au fil du temps pour nous approprier des valeurs occidentales et françaises en particulier, qui ne sont pas les nôtres… Il est temps de revenir à nos vraies valeurs et de faire la promotion de notre dignité de peuple libre à l’histoire millénaire non récusé aujourd’hui. Donc si on les valorisait, on gagnerait beaucoup avec, au lieu de s’en départir. La Charte travaille dans ce sens pour amener la démocratie qui est assises démocratiques et concertations plurielles et consensuelles, dans ses fondements d’équilibre social (siggi kafo).
Les performances oratoires de l’homme sont indiscutables à côté de son charisme. Et sa maîtrise de la langue de Molière et de la langue Bamanan est parfaite en soi. Si l’une est un simple instrument de travail, par l’autre il tire toute la sève de sa mémoire historique pour arroser des esprits bien arides de connaissances fraîches qu’il va chercher très loin dans le temps et dans les profondeur des méandres des récits, légendes, narrations, contes, chants, gestes etc. Toutes choses qui ne laissent pas le public auditoire assidu indifférent, sans laisser une forte impression marquée du sceau de la véracité.
Pour terminer par ses vœux pluriels à la faveur de ce mois béni de Ramadan, il a consenti à faire l’imam pour adresser un khoutba force aux Maliennes et Maliens qui doivent aimer leur patrie comme il en est de même de leur religion pratiquée. Car c’est la seule voie qui nous reste pour maintenir la cohésion sociale. Il nous a émus par mots qui résonnent encore en nous. Jugez-en par vous-mêmes, à travers sa réponse à notre dernière question : Pour terminer que dites-vous aux Maliens par ces temps qui courent avec la discorde et les menaces et périls que les uns et les autres font peser sur le processus de Refondation ? Comment se donner la main pour co-construire le Mali Kura en question ?.
Bourama Soumano : “En leur nom à tous, je dirai tout simplement, asseyons-nous et discutons avec raison. D’abord pour sauver le Mali. Que tu sois au pouvoir ou que tu aimes ta Patrie, sans l’existence du pays lui-même tout cela ne sera que du vent. Encore une fois cherchons à extirper le pays des dangers qui l’environnent. Pour ce travail collectif il est indispensable de mettre chacun à sa place et que tous, nous nous mettions à l’œuvre, le cœur droit à l’ouvrage et doué de science. Il y’en a qui se portent volontaires pour s’engager avec l’armée en guerre contre les terroristes. Il y’a d’autres qui se distinguent par leur implication personnelle avec leurs biens et leur personne soit comme commerçant soit comme chroniqueur Web ou communicant traditionnel etc. Qu’on se consulte et s’écoute pour se comprendre et agir en conséquence dans l’amour de la Patrie et la foi sincère de tout Patriote, “debout sur les remparts… C’est la condition sine qua non pour que la paix et la cohésion sociale adviennent, dans la compréhension et la concorde nationales restaurées et l’unité nationale retrouvée dans la Réconciliation, le pardon et la stabilité recherchée. On a tous des compétences à faire prévaloir mais nul n’a la connaissance infuse plus que tous… En conclusion j’invite mes compatriotes sans exclusive à accepter de s’assumer pour s’asseoir et dialoguer pour s’entendre sur l’essentiel et sauver la Patrie. Une fois la Patrie sauvée ce que les ancêtres nous ont légué nous aussi à notre tour on pourra le transmettre à la génération suivante, enfants et petits-enfants”.
Pour tout dire, Bourama Soumano est un fils béni et un bon père, modèle et exemplaire pour tous ceux et toutes celles qu’il a aidés à former et combler leurs lacunes. Véritablement !
Entretien réalisé par Khaly-Moustapha LEYE
BIO EXPRESS
Qui suis-je?
Né le 24 juin, je m’appelle Bourama Soumano et je suis appelé communicateur traditionnel. Je vis à Bamako en République du Mali où je suis né. J’enseigne et je suis formateur. Je suis actif dans la transmission des histoires, des chants et des danses qui constituent le patrimoine immatériel de ma communauté linguistique.
Quel est mon parcours professionnel ?
Mon parcours professionnel est fortement marqué par ma profonde implication dans la préservation du patrimoine culturel malien à travers mes performances et mes enseignements destinés à transmettre les valeurs et les connaissances traditionnelles à la nouvelle génération. Dès mon plus jeune âge, j’ai baigné dans les histoires et les chants de nos ancêtres. Inspiré par mes parents et grands-parents, j’ai commencé à apprendre les arts de la narration et de la musique dès l’enfance.
Quelle est ma mission ?
En tant que Djely de chez les Soumano je suis un griot malien respecté, connu pour son talent exceptionnel dans l’art de la narration et la musique traditionnelle. Cette mission se perpétue de père en fils, génération après génération. Nous sommes les Obligés communicants des Niaré et des Touré, en tant que gardiens de la tradition orale chargés de préserver l’histoire et les traditions à travers les récits oraux et la musique.
Quelle est ma vocation ?
Au fil des années, j’ai perfectionné mon art en écoutant et en observant les anciens de ma communauté d’appartenance. J’ai eu aussi l’occasion de voyager à travers le Mali, en allant à la rencontre d’autres détenteurs du savoir de l’orale pour enrichir mes connaissances et parfaire mon registre et mon répertoire par un surcroît de compréhension des traditions orales.
Mes spectacles, événements et émissions attirent un large public. À travers mes récits et ma musique, je transporte mon auditoire dans un voyage à travers le temps et l’espace.
Où peut-on me trouver ?
Je me produis régulièrement en différents lieux à diverses occasions et événements, allant des mariages aux cérémonies de baptême, aux festivals culturels et aux conférences internationales. Lors de ces prestations, mon instrument favori est soit le balafon ou le ngoni. J’utilise beaucoup ma voix bruissante d’expressions. Un événement phare que j’organise est la « nuit des contes». Cet événement réunit d’autres communicateurs et artistes qui viennent pour narrer et jouer de la musique toute la nuit. Ces soirées sont très appréciées pour leur atmosphère conviviale et éducative.
Source: L’Aube