Paul Numba Um quitte le Mali pour l’Afrique du Sud. Il aura passé trois années au poste de directeur des opérations pour la Banque mondiale couvrant le Mali, le Niger, le Tchad, la Centrafrique et la Guinée.
À quelques jours de son départ, il dresse pour le Journal du Mali le bilan de ce mandat qui aura vu l’institution de Bretton Woods augmenter sa contribution au développement du Mali. Entretien.
Quel est votre sentiment en cette fin de mission ?
Je pars d’ici satisfait parce que lorsque je suis arrivé en 2014, le pays sortait d’une crise profonde, qui avait marqué le bon fonctionnement des institutions et qui avait également marqué le développement de sa coopération avec les institutions financières internationales. Je pars d’ici, trois ans après mon arrivée, avec le sentiment du devoir accompli et aussi d’un pays qui sort la tête de l’eau. Tout n’est pas encore réglé, mais l’essentiel semble déjà derrière nous. En ce qui concerne la reprise de la croissance économique, je dois vous rappeler qu’en 2012, la croissance avait été négative, une première depuis 10 ans, mais en 2013 elle a rebondit, on a atteint les 7%, en 2014, on était largement au-dessus des 5% et en 2015, on a encore dépassé les 5%. Et les projections pour 2017 sont bonnes. Mais la croissance au Mali, comme dans la plupart des pays de la sous-région est essentiellement portée par des facteurs que j’appellerais exogènes. Nous sommes dans un cycle de croissance qui dépend beaucoup de la qualité de la pluviométrie, lorsque l’on a une bonne saison des pluies, en général notre croissance est bonne, si la saison pluvieuse n’est pas excellente, on sera déçu par la croissance. Mais dans tous les cas, au cours des trois années que j’ai passés ici, le Mali a eu une croissance nettement positive, mais cette croissance il faut l’interpréter. Parce que quand la croissance démographique dépasse plus ou moins les 3%, si vous faites une croissance de 5%, ce n’est pas assez pour créer suffisamment de richesse et réduire drastiquement la pauvreté. Je pense que c’est le travail qui reste à faire. Coté, préoccupation, c’est la question de la sécurité, comme vous le vivez tous, qui reste quand même la variable que nous ne maîtrisons pas et qui va rester là. Mais j’espère que les autorités, avec l’aide de la communauté internationale, finiront par juguler, parce que sans sécurité, les chances d’un développement harmonieux sont très limitées et c’est un peu ce sentiment contrasté qui m’anime au moment de quitter le Mali.
Quelles ont été vos relations avec les autorités maliennes ?
Le Mali est un des pays membres de la Banque mondiale à travers sa représentation, c’est-à-dire le gouverneur du Mali auprès du conseil de la Banque mondiale qui influence les politiques de la Banque. Au Mali, comme dans les autres pays, elle n’a qu’un rôle d’accompagnateur. Nous sommes là pour travailler étroitement avec le gouvernement dans l’esprit d’accroiître les chances d’un développement harmonieux du pays. En ce jour et en ce moment, nos priorités sont de deux ordres. La première, c’est de faire en sorte que nos interventions se concentrent sur des aspects pertinents et effectifs sur la réduction de la pauvreté. Le Mali a fait des progrès dans ce domaine, le taux général de pauvreté dans le pays est largement estimé autour de 50-51%, nous n’avons pas de chiffre précis. Mais cette pauvreté est essentiellement un phénomène rural, 90% des pauvres au Mali sont dans les zones rurales où vivent d’ailleurs 80% de la population.
Le deuxième volet, c’est aider l’économie malienne à créer beaucoup plus d’opportunités, d’emplois, pour faire en sorte qu’un certain nombre de jeunes et de la population active puisse espérer l’amélioration de leurs conditions de vie. Quand vous regardez les programmes de la Banque mondiale, vous verrez que nous touchons à beaucoup de choses, mais il y’a un accent particulier sur les questions relatives au développement rural, et également une priorité accordée à tout ce qui est développement économique dans ce sens que nous intervenons dans le secteur des transports, mais aussi de l’énergie qui sont très importants pour qu’une économie puisse croitre, permettre à un commerce de devenir prospère, à des entreprises d’être créées.
Donc, la Banque mondiale n’est vraiment pas une institution qui va venir imposer ses choix. Contrairement à la perception, ce sont des choix qui sont faits par les gouvernements.
Avez-vous constaté une évolution de la perception quand à votre institution ?
La Banque mondiale a changé profondément depuis les années 1990, ceux qui interagissent avec nous, directement ou indirectement le savent, mais quand vous parlez avec des gens qui n’interagissent pas avec nous, eux n’ont pas changé de perception sur ce qu’est la Banque mondiale. Je pense donc que c’est un domaine sur lequel nous devons travailler. En tant qu’institution, nous devons expliquer ce que nous faisons, le faire comprendre, et même mobiliser des bénéficiaires de nos programmes à parler pour nous. C’est mieux de demander à une famille qui reçoit les transferts de fonds, qui sont mis à disposition des populations à travers le projet des filets sociaux, qu’un membre de la Banque mondiale.
Quelle est votre plus grande satisfaction ?
Quand je suis arrivé au Mali, le programme de la BM était déjà bien installé, on n’était pas encore tout à fait au milliard, mais on n’était pas loin, malgré le fait qu’on avait connu un ralentissement dû à la crise. Durant mes trois ans, le programme à dépassé le milliard de dollars, avec 22-23 projets et 6-7 projets régionaux.
Pour la période 2017-2021, le Mali verra un doublement les engagements de la Banque mondiale, on va atteindre 600 millions de dollars de nouveaux engagements pour cette période qui arrive. C’est une satisfaction, qui veut dire que malgré la conjoncture relativement difficile, notamment sur le plan sécuritaire, la communauté internationale est résolument engagée pour accompagner et soutenir les efforts du peuple malien et de son gouvernement.
Nous avons fait un certain nombre de projets au Mali qui ont été satisfaisants. Je pense notamment à un projet de transport dont la deuxième phase a été clôturée il y a à peu près 18 mois, et qui a permis de construire pas mal de routes rurales, pour désenclaver les zones de production. Et d’ailleurs, nous allons relancer la troisième phase de ce projet en construisant encore des routes rurales dans les bassins de production dans des zones bien déterminées pour un coût minimum de 50 millions de dollars. Il y a aussi un projet de commercialisation de l’agriculture qui a lieu pendant cette période, et qui a donné des résultats intéressants. Je ne dirais pas cela de tous les projets qu’on a eu ici, mais le projet qui me donne le plus de satisfaction c’est le projet filets sociaux. Le Mali a eu une croissance forte, minimum 7%, malgré cela, il y’a un certain nombre de familles qui ne voient pas l’incidence de la croissance et donc quand la croissance n’est pas assez inclusive, il y’a ce qu’on appelle en économie, des familles vulnérables qui sont de plus en plus exclues. Et au Mali, compte tenu des problèmes de sécurité, il y’a des déplacements de population, et des chefs de famille décédés en laissant derrière eux des veuves et des enfants. Bien avant 2013, on a pensé à un programme qui pourrait leur donner une certaine autonomie. Et grâce à ce programme, les familles ont droit à 30 000 francs CFA par trimestre et des femmes ont témoigné que grâce à ce versement régulier, elles ont pu nourrir leurs enfants, s’assurer qu’ils partent à l’école, et mieux encore, démarrer de petites activités génératrices de revenus. Le gouvernement doit tout faire pour continuer, préserver et même amplifier pour essayer de réduire l’incidence.
Qu’est-ce qui a le moins marché ?
D’une manière générale, j’aurai souhaité que mes contreparties au niveau des administrations notamment des ministères de tutelle, lorsqu’il s’agit de projets, se mobilisent, se sentent responsables, de manière à faire en sorte que cette ressource mise à la disposition par la BM soit rapidement consommée. C’est-à-dire qu’elle se traduise en actions concrètes qui permettent de délivrer des résultats escomptés. Si vous mettez 40 millions de dollar pour favoriser l’accès des enfants à l’école, ce n’est pas normal qu’il faille six ans pour réaliser le projet, vu l’urgence. Ce sont des choses qui m’ont marqué négativement.
Vous avez initié des rencontres pour discuter de cela ? Quelles en ont été les conclusions ?
En toute honnêteté pas beaucoup d’amélioration, nous avons fait une réunion en septembre, on s’est parlé, on s’est entendus mais je ne suis pas sûr que cela ait vraiment enclenché un changement. Six mois après, il y’a très peu de réalisations concrètes. C’est vraiment ça le vrai défi du Mali pour les années à venir, et le pays retrouvera la place qu’il mérite quand les bailleurs sentiront que les ressources mises à disposition sont utilisées à bon escient. On a le sentiment que la ressource financière est là, mais que les intérêts sont ailleurs. Du coup, cela décourage beaucoup de bailleurs.
Connaissez-vous déjà votre successeur ?
Non je ne le connais pas.
Quels conseils lui donneriez-vous ?
Ici, il y’a toujours eu des difficultés de décaissement et cela ne date pas d’hier, c’est depuis les années 1980. Toute personne qui viendrait ici devrait continuer à avoir un dialogue sur cette thématique. On a eu des bons résultats à un moment donné. Et je pense que mon successeur aura tout intérêt à ne pas négliger cet aspect, à faire mieux que moi et mobiliser les hauts dirigeants.
Source: journaldumali