Des heurts entre supporters et policiers ont entraîné la mort de 19 personnes au Caire, dimanche, avant un match entre le Zamalek et Enppi. Une rencontre qui ne se déroulait pas à huis clos, comme c’était le cas la plupart du temps depuis le drame de Port-Saïd en février 2012. Chercheur universitaire et spécialiste du phénomène ultras, Sébastien Louis décrypte les raisons de ce nouveau drame autour du football en Egypte, dont le championnat a été suspendu jusqu’à nouvel ordre.
Que s’est-il passé dimanche soir ?
Le stade avait une capacité de 35 000 places et les organisateurs n’ont vendu que 10 000 billets. Mais cela a été organisé de manière catastrophique, avec une seule porte ouverte, un seul guichet pour accéder au stade… Ça a donc très rapidement dégénéré. La tension est extrême en Egypte et la police, au lieu d’ouvrir plusieurs portes, a directement foncé dans le tas en utilisant des techniques coercitives, c’est-à-dire des matraques et des tirs de chevrotine sur la foule. En face, ce sont des gens qui sont habitués à se battre et à répondre aux policiers. C’est ce qui a provoqué ce bilan catastrophique.
Comment expliquer que ces violences aient lieu dans des stades de football ?
Ce qui s’est passé est caractéristique de la reprise en main du régime autocratique de Fattah Al-Sissi (militaire devenu président de l’Egypte en juin dernier, un an après le coup d’Etat qui a chassé Mohamed Morsi du pouvoir, ndlr). Il s’en prend aux Frères musulmans mais également à tous ceux qui contestent le nouveau régime qu’il a établi. Les supporters ultras égyptiens contestent le régime depuis 2011. Ils se retournent contre le système car ils se sentent victimes d’une répression. Ces jeunes Egyptiens connaissent la répression de la police de manière extrêmement violente dans leur quotidien. Au départ, avant 2011, ils n’étaient pas impliqués en tant que groupes dans la révolution, puis les supporters des deux plus grands clubs du Caire, le Zamalek et Al Ahly, se sont retrouvés place Tahrir. Ils sont devenus les bras défenseurs de la révolution, des sortes de héros populaires pour les Egyptiens parce qu’ils étaient les seuls capables de se mobiliser et d’affronter les forces de l’ordre pour défendre une cause.
« Le gouvernement ne maîtrise rien »
Que s’est-il passé depuis le drame de Port-Saïd, qui avait fait 74 morts lors d’une rencontre entre Al Ahly et Al Masri en février 2012 ?
Depuis trois ans, les ultras n’étaient quasiment plus mobilisés dans les tribunes parce que le gouvernement avait instauré la pratique des matches à huis clos en Egypte. La quasi-totalité des matches se disputait devant des tribunes vides. Mais les ultras ont gardé intacte leur capacité de mobilisation, sous d’autres formes. Dans les rues du Caire, les ultras d’Al Ahly ont fait de grandes manifestations pour réclamer la justice après les morts de Port-Saïd. Ils se sont aussi retrouvés durant les entraînements de leur équipe. Des vidéos de ces rassemblements circulent sur Internet. Les seuls matches qui n’étaient pas à huis-clos étaient ceux de la Coupe d’Afrique des clubs, où ils pouvaient se retrouver.
Justement, les deux clubs cairotes, Al Ahly et Zamalek, se sont retrouvés dans le même groupe de qualification en 2013. Et malgré les huis-clos annoncés, de nombreux supporters ont assisté à ces matchs sans débordements…
C’est une théorie, mais quand on joue un match de Coupe d’Afrique, on a affaire à des autorités supranationales. C’est la CAF qui organise cela. S’il s’était passé quelque chose, les autorités égyptiennes auraient été responsables. Elles sont conscientes de cela et elles ne veulent pas être sanctionnées par les autorités continentales du football africain et ainsi donner une mauvaise image. Pour un match classique de championnat égyptien, les choses sont différentes. La Fédération égyptienne est sous contrôle du gouvernement, donc les débordements n’ont pas la même importance.
Que va-t-il se passer désormais ?
L’antagonisme entre ultras et forces de l’ordre est à son comble en ce moment en Egypte. Il faut savoir qu’il y a bon nombre d’ultras égyptiens qui sont arrêtés, harcelés, voire tués par les forces de l’ordre au quotidien. Ils sont appelés au commissariat et, parfois, n’en ressortent pas. Le mouvement d’Al-Sissi veut montrer qu’il contrôle la situation mais ce n’est pas le cas. Par rapport au football, le gouvernement ne maîtrise rien. On peut s’attendre à une nouvelle mobilisation assez exceptionnelle des ultras dans l’espace public.
Source: bfmtv.com