L’Imam Mahmoud Dicko continue de titiller le régime en place. Dans sa croisade contre la mauvaise gouvernance et l’ensemble des maux qui minent le Mali, le très influent leader religieux, sans pour autant se démarquer de sa posture d’imam, n’en finit plus d’interférer dans le débat politique. Au point que ses réelles intentions restent aujourd’hui sujettes à beaucoup d’interprétations. Si ses ambitions politiques ne souffrent d’aucun doute pour certains, l’Imam de Badalabougou serait dans un rôle citoyen pour d’autres. Quoi qu’il en soit, les actes de ce guide religieux sont scrutés de près et sa démarche ne laisse presque personne indifférent.
Mardi 3 mars. Devant le tribunal de grande instance de la Commune V du District de Bamako, une foule acquise à l’Imam Mahmoud Dicko manifeste son mécontentement. Alors que le leader religieux doit répondre à une convocation de la justice, qui lui a été adressée par le Procureur de la République, l’invitant à se présenter à son cabinet pour être entendu sur des propos qu’il avait tenus trois jours plutôt, ses partisans s’y opposent.
« Non, l’Imam Dicko ne rentrera pas au tribunal. Ils vont devoir d’abord marcher sur nous », affirment, déterminés, quelques soutiens de l’Imam. « Nous soutenons l’Imam Dicko ! », s’exclament d’autres. La tension est perceptible et l’on apprendra plus tard que la convocation est annulée, visiblement pour prévenir des troubles à l’ordre public.
Mais, en dépit de cette annulation, l’Imam Dicko se rend tout de même au tribunal pour rencontrer ses partisans, avec lesquels il se rend au Palais de la culture pour un meeting improvisé, au cours duquel il les appelle au calme et à rester à l’écoute de ses prochains mots d’ordre.
Tout est parti du grand rassemblement du 29 février 2020 au Palais de la culture, au cours duquel Mahmoud Dicko avait dans son intervention passé au crible les grands maux qui minent le pays, notamment ,entre autres, la question terroriste, la grève des enseignants et la mauvaise gouvernance, appelant le peuple malien à se mobiliser pour prendre son destin en main et sommant le gouvernement de trouver très rapidement des solutions.
Une mobilisation citoyenne contre la mauvaise gouvernance qui devait commencer par un grand rassemblement au Monument de l’indépendance de Bamako, le 6 mars dernier, mais qui, dans la foulée, avait été annulée sur demande du Chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheickné Haidara dit Bouyé.
Résonnance politique accrue
Mahmoud Dicko n’en était pas à sa première démonstration de force le 29 février dernier. Pour n’évoquer que ses appels à manifestation contre la mauvaise gouvernance de ces douze derniers mois, on se rappelle la grande mobilisation qu’avait suscité son appel du 5 avril 2019, qui avait conduit à la démission du Premier ministre d’alors, Soumeylou Boubeye Maiga.
Avant cela, il y avait eu le grand meeting, en février, au stade du 26 mars, qui avait réuni environ 60 000 personnes, selon des estimations, pour « prier pour le Mali et interpeller le gouvernement ». Après son départ de la tête du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) en avril 2019, l’homme s’est beaucoup rapproché de l’arène politique. En septembre dernier naissait la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de Mahmoud Dicko (CMAS), un regroupement politico-religieux dont l’Imam est le parrain et qui avait clairement affiché son ambition de s’implanter sur la scène politique malienne.
« Il n’y a aucune loi au Mali qui donne un statut aux religieux. Pourquoi donc vouloir les diaboliser ? Un chef religieux qui s’est libéré de ses charges au nom de la communauté religieuse a le droit d’aller sur l’arène politique », se justifiait à l’époque, Issa Kaou N’Djim, Coordinateur de la CMAS et porte-parole de Mahmoud Dicko.
Pour certains analystes, la création de la CMAS a acté l’entrée dans le jeu politique de plain-pied de l’Imam Dicko et son influence sur une bonne partie des Maliens pourrait jouer en sa faveur, compte tenu de l’échec de la classe politique, caractérisé par la rupture de confiance entre les dirigeants et le peuple.
Rapport de forces favorable ?
À en croire Gilles Holder, co-Directeur du laboratoire Macoter de Bamako et spécialiste de l’Islam en Afrique, l’Imam Dicko bénéfice aujourd’hui d’un nouveau rapport de forces, qui lui est favorable et qui explique sa nouvelle dimension, notamment la résonnance politique qu’il a acquise depuis son départ de la tête HCIM.
« Lorsqu’il était au Haut conseil, en face de lui il y avait Ousmane Madani Haidara et les deux se neutralisaient, d’une certaine manière. Quand Haidara s’est retrouvé au HCIM, sa nouvelle fonction l’a obligé à être modéré et cela l’a neutralisé. Du coup, Mahmoud Dicko, lui, complètement affranchi de cette réserve, a un boulevard devant lui, surtout, n’a plus d’opposant sur sa route. En face de lui, aujourd’hui, il n’y a que le pouvoir et quand on sait qu’au Mali l’État s’est toujours personnifié, alors il n’a en face de lui que IBK », explique-t-il.
« Bien avant cela, il a su utiliser l’espace public pour en faire un espace public religieux et il a réussi un tour de force en créant une société civile islamique qui n’existait pas et qui aujourd’hui a même tendance à porter beaucoup plus fort que la société civile libérale les plaidoyers de la société malienne », souligne M. Holder.
Toujours du point de vue de ce dernier, Mahmoud Dicko a accentué le rapport de forces avec le meeting du 29 février dernier, sachant que, s’il allait au bout, cela pouvait instaurer le chaos et ne servirait pas sa cause. Il a donc ralenti le pas par la suite.
« C’est politiquement calculé. Il a installé un rapport de forces pour montrer au régime sa capacité et, après, il s’est arrêté, comme pour signifier qu’il maitrise ses troupes et que c’est lui qui contrôle ce rapport de forces », estime Gilles Holder.
Par ailleurs, si l’Imam Dicko a le soutien du Chérif de Nioro et que les deux s’allient pour dénoncer le régime du Président IBK, cette union ne saurait être que d’une dimension conjoncturelle et ne pourrait aller jusqu’à faire tomber le pouvoir, selon l’analyse du co-directeur du laboratoire Macoter de Bamako.
« En terme de sensibilité religieuse, ce sont deux personnages qui s’opposent. Ils n’ont pas de raisons d’être ensemble. Ils se sont retrouvés autour de l’élection d’IBK, chacun avec des intérêts différents et aujourd’hui ils considèrent que IBK les a trahis ».
« Il y a donc une guerre de personnalités, où les deux leaders religieux s’opposent au leader politique. Ils ont eu Soumeylou Boubeye Maiga, mais ce n’est pas suffisant pour eux. Il leur faut se retourner contre le président lui-même», analyse celui qui pense aussi que si le régime devait basculer, il le serait par un soulèvement populaire et non religieux.
Un combat « nuancé »
Pour le politologue Boubacar Bocoum, Mahmoud Dicko est dans un combat qui colle aujourd’hui avec les réalités du peuple malien et l’on ne devrait pas voir en cela une opposition au pouvoir en place.
« Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les choses que l’Imam Dicko est en train de dénoncer sont celles que le peuple dans sa majorité dénonce. Aujourd’hui, pour moi, il est juste un porte-voix du peuple en réalité. Ce n’est pas parce qu’on dénonce les tares d’un système et qu’on n’est pas d’accord avec une gouvernance qu’on est contre le régime en question », affirme-t-il.
« Il faut qu’on aille à l’essentiel du message et du contenu de ce qui est en train d’être fait et faire la part des choses entre la personne de Mahmoud Dicko et le message adressé au peuple et à la classe dirigeante, parce que chacun d’entre nous est interpellé par la situation de notre pays à un moment donné », poursuit M. Bocoum.
Mais, du point de vue de Ballan Diakité, chercheur au CRAPES, les actes et les démarches de l’Imam Dicko sont considérés aujourd’hui comme purement politiques et, concernant son dernier discours, il y a indéniablement un certain nombre d’éléments qui montrent qu’il est dans une posture de contestation virulente vis-à-vis de l’État.
« Ce serait une erreur aujourd’hui de le considérer comme un simple leader religieux, car il est à la fois sur les champs religieux et politique », avertit le chercheur.
Un point de vue qu’appuie Gilles Holder, pour lequel « il faut prendre aujourd’hui l’Imam Dicko comme un personnage politique. Ceux qui font la confusion ont tort ».
Changement de cap pour la CMAS ?
La décision en avait surpris plus d’un. Alors que la CMAS se préparait activement à prendre part aux prochaines élections législatives, avec notamment des alliances avec certains partis politiques, l’Imam Dicko avait ordonné la suspension pure et simple de la participation du mouvement à cette échéance électorale. Une manière pour le chantre de l’Islam wahhabite au Mali de démontrer aux yeux de l’opinion qu’il ne se bat pas en réalité pour des intérêts politiques.
« Avoir des postes ou des députés à l’Assemblée nationale n’est pas ma préoccupation. Ce n’est pas le sens que je donne à mon combat. C’est pour cela que je dis que nous devrions aller vers une mobilisation citoyenne, pour renforcer la bonne gouvernance, plutôt que de nous préoccuper seulement d’avoir des députés ou des postes politiques », clame le leader religieux.
« Ce pourquoi nous devrions nous battre en premier, c’est le mieux-être des Maliens. En aucun cas nous ne devrions mettre en avant nos intérêts personnels, parce que si c’était le cas, le combat n’aurait aucun sens », ajoute-t-il.
Mais certains observateurs de la vie politique malienne pointent plutôt un repli stratégique de l’Imam, pour ne pas essuyer une première défaite politique et préserver sa crédibilité aux yeux de ses partisans afin de continuer à bénéficier de leur soutien lors d’éventuelles futures échéances politiques.
« Si l’Imam, dans sa posture actuelle, pense que les personnes de sa mouvance ne sont pas idéologiquement assez bien formées pour œuvrer à l’atteinte des objectifs et qu’il leur demande de surseoir, je pense que ce n’est que stratégique. C’est de l’intelligence politique », relève Boubacar Bocoum.
« La CMAS n’était en réalité pas prête pour la conquête de l’Assemblée nationale. Elle n’a pas encore l’ancrage nécessaire pour arriver à avoir un groupe parlementaire et sans cela elle sera amenée à cohabiter avec d’autres partis politiques. Cette cohabitation pourrait ouvrir la voie à des alliances contre nature et discréditer le mouvement aux yeux des populations », pense pour sa part Ballan Diakité.
Ambition présidentielle ?
Beaucoup prêtent à Mahmoud Dicko de grandes ambitions politiques et voient en ses prises de position et démarches contre le gouvernement actuel une manière d’œuvrer à la chute du pouvoir, pour en prendre éventuellement les rênes lui-même.
« Je n’ai d’autre vision que de chercher à améliorer la gouvernance du pays. Pour améliorer le bien-être du peuple malien, il faut nécessairement améliorer cette gouvernance. C’est pour cela que je me suis engagé et je pense que c’est un combat qui mérite d’être mené. Ce n’est pas un combat contre une personne, mais contre un système », clarifie l’Imam Dicko.
Quand on lui pose une question concernant sa prétendue ambition présidentielle, le leader religieux sourit longuement avant de la balayer du revers de la main : « je l’ai toujours dit et je le réaffirme, je suis un imam, c’est ma vocation. Je n’ai jamais songé à être quoi que ce soit d’autre. Les autres, je leur laisse la latitude d’avoir leurs interprétations et de me prêter les intentions qu’ils veulent. Ils sont libres d’avoir une opinion sur moi et je le leur concède ».
« Mais, si je nourris une ambition présidentielle ou pas, l’avenir nous le dira », ajoute-t-il, comme pour signifier que l’option n’est peut-être pas totalement exclue.
Germain KENOUVI
Journal du Mali