Associations et ONG sont mobilisées pour permettre aux tout-petits d’apprendre à lire et à écrire. Mais les conditions sont loin d’être optimales
Début novembre. Nous empruntons la route pour rallier le camp des déplacés de Senou-Lafiabougou. Nous sommes obligés, par moments, de demander pour retrouver notre chemin. Après trois arrêts, le chauffeur, les nerfs en pelote, suit l’indication en zigzaguant entre les nids de poule. De loin, on aperçoit des tentes de fortune. À quelques encablures du camp des déplacés, nous croisons une fillette d’environ 8 ans portant un fagot sur la tête et se dirigeant vers les tentes. Curieuse, elle s’approche du véhicule. Il est 10 heures, un lundi jour d’école. Elle explique qu’elle était allée chercher du bois pour sa mère. Pourtant, elle fréquente l’école «C’est après ce travail que je vais en classe», explique celle qui répond au nom de Malado Boly.
Sur son indication, nous nous dirigeons vers un hangar qui sert de lieu d’encadrement aux enfants de ce site. La porte n’a pas de battant, les fenêtres non plus. À l’intérieur, une soixantaine d’enfants nous accueillent, saluant à l’unisson en français. En tout, la classe comporte huit tables-bancs pour un effectif d’environ 80 élèves. Une grande natte est étalée à même le sol sur laquelle certains élèves sont assis. Certains ont des ardoises d’autres n’en ont pas.
C’est dans cette condition que la maîtresse essaie tant bien que mal d’apprendre à écrire et à lire aux enfants des déplacés. «J’ai été détachée par le Centre d’animation pédagogique (CAP) de Sénou pour suivre ces enfants. Et malheureusement, c’est dans cette condition que j’enseigne comme vous pouvez le constater. On est sous un hangar. Les rayons de soleil entrent dans la classe. Avec le froid qui s’approche, ce ne sera pas facile pour les enfants vu que les fenêtres sont dépourvues de battants. Nous n’avons pas assez de tables-bancs. Les matériels didactiques, n’en parlons pas. Les élèves réclament des ardoises, de la craie, des cahiers, moi-même je n’en ai pas», témoigne Assoumatou Coulibaly.
L’enseignante explique qu’elle dispense des cours de la 1ère année. «J’ai 80 enfants inscrits. Les cours vont de 8h à 12h et de 15h à 17h. Au début, ce n’était pas facile. Je parle le bambara et le français, les élèves parlent peulh. On a fait cinq ou six mois ensemble, pour le moment ça commence à aller», souligne notre interlocutrice.
Ce camp de déplacés abrite plus de 350 enfants, selon Kola Cissé, président de l’Association Pinal (l’Éveil en fulfuldé). Ceux qui sont inscrits au cours d’alphabétisation, sont partagés en deux groupes.
Le premier compte 80 enfants de 5 à 7 ans. «Grâce à l’aide de la direction du développement social, nous sommes parvenus à avoir du CAP de Sénou une institutrice payée par le gouvernement. Nous avons fait des actes de naissance pour ces enfants pour qu’ils puissent être considérés comme des enfants scolarisés. Ensuite, il y a un deuxième groupe de 35 enfants qui sont dans une classe spéciale. Il s’agit de ceux-là qui ont dépassé l’âge de la scolarisation. Ils vont de 8 à 16 ans», explique notre interlocuteur.
En ce qui concerne ce deuxième groupe, ce n’est pas l’État qui s’occupe du salaire des enseignants. «C’est une association que j’ai mise en place avec l’aide de personnes de bonne volonté qui s’occupent de ce volet. Nous avons deux enseignants qui viennent donner des cours que nous payons mensuellement. Un enseignant leur apprend à lire et à écrire en français.
L’autre enseignant s’occupe de l’alphabétisation en fulfuldé”. Selon Kola Cissé, ce n’est pas l’école formelle, mais juste de la formation. «J’ai vu que les enfants se promenaient, j’ai eu l’idée de les occuper. C’était un bâtiment prévu pour être un poulailler qu’on a aménagé», révèle-t-il. Au début, des nattes servaient de tables-bancs. Le CAP de Sénou a fourni une dizaine de tables-bancs. «On a essayé d’aménager le bâtiment en deux salles de classes et une bibliothèque.
L’aménagement n’est pas encore fini. Mais en attendant, les enfants ont commencé la formation», explique Kola Cissé qui invite l’État à prendre des dispositions pour la scolarisation des enfants. «Ce serait une façon de les sauver», dit-il.
SOUS UN HANGAR- À la différence du site de Sénou, les sites des déplacés de Niamana, Faladiè Garbal et de l’ex-Centre Mabilé bénéficient de l’accompagnement d’une ONG nationale CAEB (Conseil appui pour l’éducation à la base), grâce à un financement de l’ONG internationale Oxfam.
Selon Kadiatou Anne Malet, agent de développement, le projet des personnes déplacées a débuté en juillet 2019. “Nous travaillons dans le cadre de l’éducation des enfants déplacées internes de 7 à 12 ans en leur donnant des cours de rattrapage sur les différents sites de Faladiè, Niamana et Sogoniko. Cette formation permettra de les placer dans des écoles primaires publiques», explique-t-elle. À la fin de ces cours, les enfants seront immédiatement transférés dans les écoles publiques. “Nous sommes en collaboration avec les CAP, le service social, et beaucoup d’autres acteurs du domaine éducatif”, révèle Mme Kadiatou Anne Malet qui ajoute que la formation professionnelle des jeunes de 13 à 18 ans vient de débuter.
Pour constater de visu cet accompagnement salutaire, nous nous sommes rendus sur ces sites. Ce jeudi du mois de novembre, nous voilà sur le site de Faladiè Garbal où habitent nombre de déplacés. Sous un hangar, un enseignant est en train d’apprendre à lire à une cinquantaine d’élèves. Aliou Alassane, c’est son nom, explique que c’est l’ONG CAEB qui finance cet apprentissage.
«Ça concerne plus de 100 enfants. Ceux qui étaient scolarisés et ceux qui ont atteint l’âge. L’âge limite est fixé à 12 ans», précise-t-il tout en déplorant l’absentéisme de certains enfants. «Au début, on avait plus de 100 enfants. Certains ne viennent pas à cause de la faim», témoigne-t-il, ajoutant qu’il est souvent contraint d’arrêter les cours quand les enfants se plaignent de la faim.
Certains enfants qui n’ont pas eu la chance d’intégrer le programme de l’ONG CAEB se font assister par un autre enseignant. Dans une cour, sous un hangar à ciel ouvert, des enfants étaient entassés sur une natte pour suivre les cours. «Comme vous le constatez, nous n’avons pas de tables-bancs, c’est difficile pour l’écriture. On n’a pas de matériels scolaires.
J’essaie moi-même d’acheter certains outils», confie le maître Tiénou Francis. Sur le site de Niamana derrière le marché à bétail, les conditions sont similaires. Ici, une centaine d’enfants sont suivis dans le cadre du projet de l’ONG CAEB. Sur le site officiel des déplacés à l’ex-Centre Mabilé, une soixantaine d’enfants bénéficient également de l’appui de CAEB. Ici, vivent 349 âmes. La majorité sont des enfants. Les enfants qui bénéficient du projet de CAEB, sont partagés entre trois salles de classes. L’ONG CAEB paie les enseignants et donne les fournitures.
Tiémoko Traoré, administrateur de l’action sociale et coordinateur des sites des personnes déplacées à Bamako, explique qu’en réalité, beaucoup d’enfants ne fréquentaient pas l’école avant qu’ils ne se déplacent. «L’école classique n’est pas leur vocation. Quand nous avons eu l’initiative, la majorité préférait l’école coranique. Mais on n’a pas eu de partenaire prêt à prendre cet aspect là en compte», explique-t-il. Pour les enfants qui fréquentaient l’école avant leur déplacement et qui ont atteint le niveau secondaire, Tiémoko Traoré explique que ceux-ci ont été inscrits au Groupe scolaire de Sogoniko.
Pour encourager l’apprentissage sur les sites de déplacés, l’ONG CAEB a mis en place il y a quelques jours un système d’encouragement qui consiste à procéder à un transfert cash monétaire aux parents des enfants qui fréquentent l’école. De quoi fouetter l’ardeur des réticents.
Aminata Dindi SISSOKO
Source: L’Essor-Mali