Aujourd’hui-Mali : Pourquoi le titre “Au service de l’école” ?
Sema dit Sadia Kéïta : J’ai écrit et fait éditer ce livre autobiographique en 2017. Il aborde plusieurs thématiques en lien avec mon parcours au sein de l’institution scolaire. Certains portent sur des modules de développement personnel, notamment la gestion des émotions, la confiance en soi, la gestion de l’attention, la gestion des conflits, etc.
L’école gagnerait en s’enrichissant de ces pratiques pour une meilleure formation de sa clientèle. Les organisations sociales, les systèmes scolaires, apprennent au même titre que les individus. La vie professionnelle de l’auteur laisse voir les attentes des entreprises, des ONG, de la société civile afin que l’institution de formation qu’est l’école s’ajuste, en offrant des programmes qui intègrent leurs besoins.
La question de la performance du système éducatif est évoquée. Des recommandations y afférentes sont données. La formation des chefs d’établissements est introduite par les activités d’un regroupement professionnel international des directeurs ; à savoir : l’Association francophone internationale des directeurs d’établissements (Afides).
Des modules de formation des enseignants d’un pays émergent comme la Chine sont présentés aux lecteurs afin d’inspirer nos administrateurs scolaires pour un meilleur fonctionnement des établissements maliens.
Quelle lecture faites-vous du système éducatif malien ?
Notre système éducatif a connu plusieurs réformes. Une réforme est un projet de changement d’un pan ou du système éducatif en entier. Elle est motivée le plus souvent par la constatation de difficultés persistantes dans le fonctionnement.
Notre pays a connu sa première école coloniale en 1886 à Kayes. Elle portait le nom “Ecole des otages” et avait comme objectif de satisfaire les besoins de la?métropole en facilitant la mission du colonisateur. A partir de 1895, elle a pris le nom d’école des fils de chef. Elle était par essence élitiste.
Avec l’avènement de la première République, notre pays a connu sa première réforme de l’éducation, celle de 1962, qui a souhaité marquer une rupture avec l’école coloniale. Elle a opté pour une formation de masse et de qualité, centrée sur nos valeurs sociétales. En vue de la démocratisation de la formation, de nombreux travaux d’infrastructures scolaires ont été lancés au point que la question de trouver des enseignants professionnels était devenue le grand problème.
Déjà un premier séminaire de rectification se tint en 1964 et un second en 1968 lors de la conférence des cadres du parti. Les autorités de l’époque ont fait recours à des formations accélérées afin de combler le déficit. Le projet éducatif était démesuré par rapport aux moyens disponibles. La coopération russe pour la livraison des ateliers techniques n’a pas donné toute la satisfaction attendue. Par conséquent, les exigences de qualité n’ont pas toujours été atteintes. C’est dans ce contexte que le coup d’Etat de novembre 1968 est arrivé.
Les nouveaux maîtres du pays ne s’occuperont véritablement de l’école qu’en 1979 à travers le séminaire sur l’éducation. La gestion se faisait toujours à vue sans aucune forme de planification. Il faut attendre la troisième réforme en 1989 sur les Etats généraux de l’éducation. Malgré toutes ces réformes, le dysfonctionnement de notre système demeure avec un taux de scolarisation des plus faibles du monde.
C’est ainsi qu’en 1990, lors d’une conférence des Nations unies, tenue à Jomtien (Thaïlande), les fonctionnaires de l’Unesco ont appuyé sur la sonnette d’alarme afin de décrier les tendances négatives et préoccupantes du secteur de l’éducation dans la plupart des pays du Tiers-monde. Des ressources ont été mobilisées et mises à la disposition des Etats concernés. C’est ainsi qu’est né le Projet de développement décennal de l’éducation (Prodec).
A quand alors date la refondation du système éducatif ?
Il faudrait attendre 1999 pour voir la véritable réforme de refondation de notre système éducatif. Elle a pris le nom de Loi d’orientation de l’éducation. Elle a permis la création d’une école en mode décentralisée afin de mieux servir les besoins de la société. Ainsi, les Centres d’animation pédagogique (Cap), les Académies d’enseignement (AE), le Centre de planification et de statistiques (CPS), les Centres d’appui à la déconcentration et à la décentralisation (Cadde) ont été créés.
Aussi, de nombreuses infrastructures scolaires publiques ont été construites ainsi que des instituts de formations des maîtres. De nouvelles orientations plus efficaces ont été adoptées pour la production du manuel scolaire. Le capital privé a été encouragé à s’investir en éducation afin de remonter le taux de scolarisation qui n’était que de 23,5 % en 1990.
Cette libéralisation de notre économie a surtout renforcé la paupérisation des couches populaires. Le pays est rentré dans une phase de récession qui n’a épargné aucun secteur. Le monde éducatif a connu encore de profondes crises en lien avec la radicalisation de la corporation des étudiants et des enseignants. La gestion laxiste et coupable de l’Etat ne fera qu’exacerber la tension.
Malgré le fonctionnement de l’école en mode décentralisé, aucun conflit ne se gère au niveau des établissements. Les politiciens sont rentrés aussi dans le jeu. Les acteurs de ces corporations sont récompensés par de fortes allocations ou des promotions bien ciblées.
Qu’est-ce qui a motivé l’organisation du Forum sur l’éducation?
C’est dans ce contexte de turbulences que notre système s’engage pour sa dernière réforme : “le Forum sur l’éducation” en novembre 2007.
Quatre cents recommandations sont sorties des travaux dudit forum. L’intention clairement affichée était de faire rentrer notre école dans le 21e siècle. Il y va de la suppression de l’examen de la 6e année fondamentale, à l’introduction de nouvelles matières comme l’informatique, l’économie, la sociologie, les langues nationales, le projet personnel, la philosophie en 11e année, etc. Les disciplines sont regroupées en domaine afin de faciliter la transdisciplinarité.
Le curriculum et l’approche par compétence sont comme les deux innovations pédagogiques au fondamental et à l’enseignement secondaire.
Le décret d’application des recommandations du Forum est voté depuis 2011 et encore aujourd’hui, plusieurs recommandations attendent leur mise en œuvre, comme la formation des enseignants du privé à l’APC. Les reformes pour bien porter exigent un financement adéquat et un suivi des répercutions jusque dans chacune des classes d’enseignement et de formation.
Votre analyse sur la situation actuelle de l’école malienne ?
Malgré des progrès enregistrés par rapport aux années 1990, la situation de l’école malienne reste très préoccupante. Le taux brut de scolarisation avoisine les 73,5 %, mais les taux de redoublement et d’exclusion sont au-dessus de la moyenne sous-régionale.
La Conférence des ministres de l’Education des pays membres de la Francophonie (Confemen), qui regroupe 44 pays africains, dispose d’un outil pour évaluer la performance de chaque système éducatif.
Créé en 1991, le Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la Confemen (Pasec) vise à informer sur l’évolution des systèmes éducatifs afin d’aider à l’élaboration et au suivi des politiques éducatives. Dans les deux décennies, le Pasec a fait 35 évaluations nationales.
La dernière analyse du système éducatif malien par le Pasec pour évaluer sa performance est de l’année 2011-2012.
Son diagnostic se fait par deux passages, en début d’année et en fin d’année scolaire. Les classes concernées sont la 2e année et la 5e année de l’école fondamentale et les disciplines sont le langage (lecture-écriture-compréhension du texte) et le calcul ou les mathématiques.
Ainsi, il ressort que 22 % des élèves de 2e année éprouvent de grandes difficultés. Ils n’arrivent pas à lire correctement une phrase ou un texte (même taux pour ceux qui ont des difficultés avec les concepts mathématiques). 16 % des élèves de la 5e année fondamentale ne maîtrisent aucune des compétences fondamentales en français. 45 % des élèves de la 5e année fondamentale ne maitrisent pas les compétences de bas niveau en maths. Cette situation n’est pas reluisante et il faudrait plutôt penser à tableau encore plus sombre.
L’enseignement secondaire en raison des grèves récurrentes n’a enregistré qu’un taux d’admission de 25,12 %.
Quelles sont vos propositions pour une sortie de crise ?
J’ai commencé ce livre avec une citation d’un écrivain polonais du nom de Janusz Korczak. Il était médecin, pédiatre et pédagogue. Il avait eu à créer un orphelinat pendant la guerre 1939-1945 à Varsovie. Il s’adressait à ses élèves en ces termes : “Nous ne vous donnons rien. Nous ne vous donnons aucun Dieu, car il vous faudra le chercher vous-mêmes dans votre âme à vous, dans vos efforts. Nous ne vous donnons aucune patrie, car il vous faudra la trouver dans votre propre travail, dans votre cœur et dans vos pensées. Nous ne vous donnons aucun amour du prochain, car il n’existe aucun amour sans pardon, pardonner c’est l’épreuve, c’est la difficulté que chacun doit endurer seul. Mais nous vous donnons ceci : le désir d’une vie meilleure, qui n’existe pas encore, mais qui existera un jour, le désir d’une vie emplie de droit et de justice. Ce désir guidera peut-être vos pas vers Dieu, vers la patrie et l’amour?”.
Cette citation est en réalité tout un projet éducatif. Korczak évite de transmettre les savoirs. Il invite ses apprenants d’abord à chercher à se connaître et de s’engager à la quête du savoir.
Mieux encore, il est prêt à leur donner le désir d’une vie meilleure… “Le désir est l’essence de l’homme”, comme le dit Spinoza. Avant de rentrer dans les apprentissages. Chaque enseignant doit d’abord susciter le désir ou l’envie de s’intéresser à son enseignement.
Le pédagogue Bruno Giuliano dira : “Si notre école est en crise, ce n’est pas parce que les professeurs ne savent pas enseigner ou parce que les élèves ne veulent pas apprendre, c’est parce qu’elle ne respecte pas assez le désir essentiel des êtres humains, le désir d’être heureux”.
Comme tout être humain, un enfant est un être de désir. Il n’accomplit une action que s’il y trouve un intérêt, que s’il se sent motivé dans son être par cette action et le fruit de cette action.
Le but de l’école n’est pas seulement de transmettre des connaissances ou de socialiser les enfants, il est de transformer un être immature en personne autonome, responsable et épanouie, capable de bien vivre avec les autres, conformément à son désir.
Par conséquent le critère d’une bonne école c’est là où les apprenants ont la joie d’apprendre. Les grands pédagogues le disent depuis Rousseau, Pestalozzi, Montessori, Freinet, Steiner, etc., qu’il faut mettre le désir d’évoluer de l’enfant au cœur du processus éducatif. Mais les meilleurs témoins sont les élèves. Ils savent immédiatement reconnaitre les bons professeurs des?mauvais professeurs. La distinction est certes caricaturale, mais elle n’est pas sans pertinence.
Par ailleurs, l’école est un corps social qui est constitué par des élèves, des enseignants, une administration scolaire, des parents d’élèves et des partenaires de l’école. Pour que cette entité soit performante, il faudrait que chaque composante de l’entité soit performante. C’est pour cela qu’il est souhaitable qu’il y ait des contrats de performance pour chaque acteur, contrat qui définit les obligations et les droits. Ainsi nous aurons un contrat pour les enseignants, un contrat pour les familles, un contrat pour les élèves, un contrat pour l’administration scolaire. Par conséquent, c’est l’application correcte de chacun des contrats qui permet à l’établissement scolaire d’aller globalement vers la performance. Exemple de contrat de famille : veiller sur les heures de coucher des enfants ; veiller sur les fréquentations des enfants, veiller sur l’exécution correcte des devoirs à domicile ainsi que sur les correspondances école-famille, etc.
Ma dernière recommandation est en rapport avec la finalité retenue par la Loi d’orientation de l’éducation de 1999 : “La finalité de l’éducation est de former des citoyens bâtisseurs et patriotes qui s’appuient sur les savoirs populaires en s’orientant vers la modernité”. Il serait souhaitable maintenant que notre école s’enracine par la maîtrise des savoirs populaires, qui sont en réalité les savoirs de notre riche patrimoine culturel. Autant il faut encourager l’introduction de nos langues nationales comme disciplines, mais il faudrait évoluer pour en faire le médium de notre enseignement. C’est à ce prix que nous aurons notre nouvelle école malienne qui s’occupera de l’émancipation de nos enfants au lieu d’une école au Mali qui assurera plutôt leur assimilation, voire leur déracinement.
Réalisée par Boubacar Païtao