Véritable légende de la planète foot, le lion du Cameroun désormais à la retraite, est devenu l’ambassadeur VIP de la Coupe du monde du Qatar 2022 et à ce titre, multiplie les rencontres de haut niveau à travers le continent. Ecartant toute considération directement politique ou entrepreneuriale, il plaide aujourd’hui pour un développement par le sport. Entretien exclusif pour La Tribune Afrique.
Vous avez été sélectionné par le Conseil Suprême du Qatar pour promouvoir la Coupe du monde de football 2022. Quel est votre rôle en tant qu’ambassadeur du Qatar Legacy ?
Samuel Eto’o, Ambassadeur du Qatar Legacy : Le Conseil suprême du Qatar m’a demandé de m’exprimer en leur nom, en qualité d’Ambassadeur pour la prochaine coupe du monde de football qui se déroulera du 21 novembre au 18 décembre 2022. Je ne suis pas le seul, car il existe toute une famille d’Ambassadeurs qui soutiennent l’organisation du Mondial au Qatar. A la base, ce choix ne faisait pas l’unanimité, mais nous allons prouver que ce pays est capable d’organiser une superbe coupe du Monde. Je vis à Doha depuis près de 4 ans et je peux vous dire qu’à côté des infrastructures qui sont actuellement en construction, le pays possède des équipements et des stades qui lui permettraient d’accueillir le Mondial dès demain ! Par ailleurs, les nouvelles technologies vont porter le succès du prochain Mondial et puis cet événement aura lieu pendant la meilleure saison de l’année, avec des températures agréables. Toutes les conditions pour la réussite de ce grand rendez-vous des amoureux du foot seront réunies.
Contrairement à la décision des autorités japonaises qui n’ont pas voulu ouvrir leurs frontières à l’occasion des Jeux olympiques de Tokyo, le Qatar sera-t-il en mesure d’ouvrir ses stades aux supporters étrangers pendant le Mondial ?
A Doha, la majorité de la population est vaccinée et nous comptons sur le fait que, d’ici quelques mois, l’essentiel des supporters de football sera également vacciné. Nous souhaitons que ce Mondial soit une fête ! Toutes les mesures de protection sanitaires seront prises comme c’était le cas pendant le dernier Championnat d’Europe, qui a d’ailleurs réuni un public important. Je lance un appel pour que tout le monde aille se faire vacciner. La pandémie nous concerne tous.
Comment utiliser cette coupe du monde de football pour améliorer la visibilité de l’Afrique à l’international ?
Il est temps pour les Africains de s’assumer. Il faut anticiper cette Coupe du Monde avec l’ambition de jouer la finale. Si nous y arrivons, cela participera à améliorer la visibilité de l’Afrique. Pour réussir, il faut donner aux joueurs africains les moyens d’y arriver avec une assistance technique et une préparation excellentes (…) Aujourd’hui, l’Afrique n’a plus vraiment de grandes nations du football. Il reste encore le Cameroun, le Nigéria, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, qui sont en haut de l’affiche et plusieurs équipes progressent vite, mais globalement, il n’y a plus de grandes nations du football tout comme il n’y a pas non plus de petites nations du foot. Chacun a sa chance.
Que recouvre « Generation Amazing » qui s’inscrit dans le cadre de la Coupe du monde de football 2022 ?
Samuel Eto’o : Il s’agit du programme phare du Conseil Suprême en matière de développement par le foot. Il utilise le pouvoir du football pour enseigner des compétences de tous les jours à des habitants du monde entier. Il est mis en œuvre dans 10 pays aujourd’hui et plus de 750 000 personnes ont déjà bénéficié de ce programme. L’objectif est d’avoir un impact positif sur la vie d’un million de personnes d’ici à la fin de la compétition. « Génération Amazing » travaille dans la droite ligne des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Cela concerne par exemple, l’inclusion des femmes et des filles dans le sport (ODD numéro 5 de l’ONU), les initiatives pour rendre les villes durables (ODD numéro 11) ou le renforcement du développement humain (ODD numéro 17) pour des sociétés plus justes (ODD numéro 16).
Que répondez-vous aux menaces de boycott du Mondial suite à la dénonciation des conditions de travail des ouvriers étrangers sur les chantiers de la coupe du monde 2022 ?
Il y a encore des choses à faire sur ce sujet au Qatar, mais l’on devrait aussi reconnaître les progrès accomplis. Le Qatar a travaillé avec des organisations internationales comme l’Organisation internationale du Travail (OIT), des ONG et des syndicats et cela a donné suite à des réformes comme le salaire minimum non discriminatoire ou de nouvelles normes de santé et de sécurité dans les hébergements et sur les sites de travail… Je pense qu’il serait contreproductif de boycotter le Mondial, dans la mesure où ces changements ont été permis en partie, par l’organisation de la Coupe du Monde et par la publicité autour de l’événement. Un boycott ralentirait ce processus. L’exemple du Qatar est une illustration de la manière dont le foot et le sport peuvent être utilisés pour lancer des évolutions positives.
Jusqu’où porterez-vous votre fondation éponyme créée en 2006 et où en est sa réorganisation?
Samuel Eto’o : Nous avons décidé de nous réorganiser en interne pour optimiser nos projets. Cela dit, nous avons déjà construit des hôpitaux et permis à de jeunes footballeurs de rejoindre certains des plus grands clubs européens, comme c’est le cas d’André Onana qui joue aujourd’hui à l’Ajax Amsterdam et qui sera peut-être demain à Lyon. Je pense aussi à Christian Bassogog, Fabrice Ondoa ou encore Fabrice Olinga. Parmi tous les jeunes Africains qui rêvent d’une carrière internationale, le pourcentage de réussite est encore trop faible, à cause d’un ensemble de facteurs manquants pour créer des conditions qui favoriseront les carrières des sportifs en Afrique. Au niveau de ma fondation, nous travaillons aussi bien sur le sport, la santé que le développement des conditions de vie des plus pauvres, avec cette idée qu’il nous faut soutenir et accompagner les leaders de demain depuis le continent. J’ai toujours du mal à accepter que l’Afrique soit à la fois le continent le plus riche en ressources naturelles, mais aussi le continent le plus pauvre sur le plan économique. La solution doit venir des Africains eux-mêmes, nous devons trouver des solutions pour notre continent.
Précisément, dans quelle mesure le sport peut-il être un levier de développement ?
Samuel Eto’o : Le sport peut servir le développement, car il va beaucoup plus loin que la politique. Regardez de quelle façon le Qatar a réussi à s’appuyer sur le sport en termes de politique et de rayonnement dans le monde [En 2011, Qatar Sports Investment, un fonds d’investissement de l’Etat du Qatar, rachetait le Paris-Saint-Germain (PSG), ndlr]. Cela dit, pour que le sport soit un levier qui fonctionne, il faut une vision. J’espère que cela sera possible en Afrique, car le football participe activement à la visibilité du continent. D’ailleurs, certains joueurs de football sont plus connus que les Chefs d’Etat de leur propre pays.
Très jeune, vous avez été « sans papier » à Paris à l’instar de nombreux jeunes talents du foot. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Samuel Eto’o : J’ai été dans cette situation pendant quelques mois, il y a plus de 25 ans. J’étais si mal que j’ai décidé de rentrer au Cameroun. Mes parents n’ont pas compris mon choix. Je n’avais que 12 ans et je ne pouvais plus aller à l’école, ni même jouer au football. Je me rappelle avoir dit à ma grande sœur Sidonie, que je souffrais au point où j’aurais été capable de me suicider. Je voulais rentrer. L’Europe est souvent un très beau rêve qui répond rarement à nos attentes […] J’enrage quand je vois les moyens mis à disposition des fédérations par la Confédération africaine de football (CAF) et la Fédération internationale de football association (FIFA). Comment expliquer qu’il y a de nouvelles infrastructures régulièrement en Europe et jamais en Afrique ? J’ajoute qu’il ne faut pas tout attendre de nos gouvernements, il faut aussi que les Africains s’impliquent aujourd’hui pour créer un environnement favorable aux sportifs et éviter que demain, les jeunes n’aient qu’une idée en tête, celle de partir en Europe ! Il faut que les Africains s’épanouissent dans leur propre pays. En construisant des infrastructures, nous sauverons beaucoup de vies. D’autre part, nous aurons une chance de mieux vendre notre football et les joueurs africains pourront vivre de leur passion sur le continent. A partir de ce moment-là, nous pourrons développer des sélections plus compétitives qui seront en mesure de rivaliser avec les meilleures équipes du monde.
C’est néanmoins en Europe, où vous reviendrez à l’âge de 14 ans, que l’Espagne vous ouvrira en grand les portes du football professionnel…
A l’âge de 14 ans, je suis revenu en Europe pour rejoindre l’un des plus grands clubs au monde [le Real Madrid, ndlr]. Aujourd’hui, avec ma fondation, nous avons créé l’initiative Fundesport dédiée au football, pour favoriser l’Intégration des jeunes camerounais grâce au sport, à l’éducation et à la formation. Dans le cadre de cette initiative, nous avons construit des stades de proximité. Je reviens d’ailleurs d’Afrique du Sud où il en a été question. Nous venons d’inaugurer 2 stades et nous allons bientôt en construire 4 autres, pour permettre un maillage qui évitera aux jeunes de faire 20 kilomètres pour pouvoir jouer au foot. Nous voulons multiplier ces projets dans toute la sous-région.
Vous avez pris votre retraite du football professionnel en septembre 2019. Comment s’organise votre nouvelle vie ?
Samuel Eto’o : J’ai eu la chance de reprendre mes études. J’ai voulu élargir mes connaissances en dehors du monde du football. J’ai décidé de suivre une formation en commerce international à l’Université de Lyon. Je suis titulaire d’un doctorat (honoris causa) et je continue à me préparer pour la vie de demain..
N’aviez-vous pas envisagé de suivre une formation à l’université américaine de Harvard ?
C’était prévu, mais le Covid-19 est arrivé et cela m’a empêché d’intégrer cette prestigieuse Université. A 40 ans, je ne peux pas me permettre de mettre des projets entre parenthèses en attendant la fin du Covid-19. Je poursuivrai ma formation en Europe, car on ne sait vraiment pas quand la pandémie finira.
Lorsque vous étiez enfant, vous étiez surnommé « petit Milla ». Quels ont été vos rôle-modèles et quel serait le « petit Eto’o » d’aujourd’hui ?
C’était bien mon surnom et c’était à la fois une fierté et une charge énorme d’être comparé à Roger Milla qui est pour moi, sinon le plus grand, du moins l’un des plus grands footballeurs africains de tous les temps. J’espère que j’ai été à la hauteur. En tout cas, j’ai essayé de marcher dans ses pas (rires). La plupart de mes idoles sont africaines, comme Roger Milla, George Weah dans le football ou Salif Keita dans la chanson. Ils ont écrit une page de l’histoire de l’Afrique et ont bercé mon enfance. Je suis souvent frustré de voir que ces légendes vivantes n’ont pas la reconnaissance qu’elles méritent [..] Pour le « petit Eto’o », je dirais que c’est mon fils Etienne qui a montré qu’il savait jouer au foot ! On a essayé de l’empêcher d’intégrer la sélection nationale camerounaise au prétexte que c’était mon fils, mais malgré tout, il a réussi à marquer et ça m’a rendu très fier. C’est lui le nouvel Eto’o.
Propos recueillis par Marie-France Réveillard
La Tribune Afrique