Ce 8 octobre s’est finalement tenu le « Nouveau Sommet Afrique-France » à Montpellier. Un sommet avec un nouveau format mais qui laisse toujours un sentiment de malaise selon vous…
Gilles Yabi – Oui, le format du sommet est novateur, c’est certain, mais cela ne suffit pas à éliminer l’impression de malaise qui s’est toujours dégagé de ces rendez-vous. Le président français qui invite et s’adresse à des jeunes entrepreneurs africains, des acteurs de la société civile, des artistes, pourquoi pas, mais la posture présidentielle française reste celle de la personnalisation.
Le président Emmanuel Macron, qu’il parle aux chefs d’État africains ou à des personnalités de la société civile et du secteur privé africain, paraît investi d’une mission personnelle au bénéfice du continent. Le propos, parfois trop amical et trop familier, parfois trop corrosif comme ce fut le cas récemment avec les autorités politiques maliennes, donne finalement le sentiment que l’approche des hautes autorités politiques françaises à l’égard du continent reste au mieux condescendante.
Le malaise était déjà présent au moment du discours du président Macron à Ouagadougou en novembre 2017 annoncé comme un discours à la jeunesse africaine, dites-vous.
Gilles Yabi – En effet. On n’aura jamais vraiment compris pourquoi un président français devait s’adresser à la jeunesse d’un continent vaste, divers, dont seule une partie a un lien historique particulier avec la France. C’est un peu lassant de devoir le rappeler : l’Afrique, c’est 54 pays dont une vingtaine qui ont connu sous une forme ou une autre la colonisation française. C’est beaucoup mais ça reste moins de la moitié des pays africains, et les raccourcis induisent des erreurs d’analyse qui ne sont pas mineures.
Il est intéressant de s’arrêter par exemple sur les statistiques du commerce extérieur entre la France et les pays africains. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique, aucun n’était issu de ce qu’on appelait le pré carré français. Le Maroc était le premier partenaire commercial de la France en Afrique avec 18,9 % des échanges commerciaux franco-africains et le 20ème partenaire commercial de la France au plan mondial. En deuxième position, l’Algérie, la Tunisie, le Nigéria et l’Afrique du Sud. La Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone ne vient qu’en neuvième position.
Même constat s’agissant des investissements directs étrangers français. En 2017, leur première destination était l’Angola suivie de près par le Nigeria puis par l’Afrique du Sud. En fait, la France a entrepris depuis longtemps de développer ses relations économiques avec les principales puissances économiques du continent et d’identifier aussi des niches dans des pays plus petits mais dynamiques en Afrique australe et de l’Est.
La France s’efforce aussi d’enrayer la chute de ses parts de marché en Afrique, dites-vous.
Gilles Yabi –Oui, les parts de marché des entreprises françaises en Afrique ont été divisées par deux pendant les vingt dernières années, parallèlement à la progression des relations commerciales avec de nouveaux acteurs surtout asiatiques, la Chine en tête. Pour des États dont les dirigeants se soucient d’aider leurs entreprises à trouver des marchés, partout où c’est possible, il est certain qu’un objectif légitime est de rester dans le jeu. Du seul fait de sa croissance démographique, l’Afrique représente un marché d’avenir et la France ne veut évidemment pas continuer à perdre pied face aux autres acteurs.
Cela est vrai sur le plan économique et commercial, cela l’est aussi sur le plan géopolitique. Le lien entre les intérêts économiques immédiats et les intérêts économiques à long terme, c’est en grande partie l’influence géopolitique, qui inclut la présence militaire et les relations avec les élites gouvernantes. Comme les États-Unis et quelques autres qui ont des programmes de formation et d’échanges ciblant des jeunes Africaines et Africains prometteurs dans différents domaines, la France fait ce qu’elle a à faire pour créer et entretenir des liens avec les futurs décideurs économiques et politiques des pays africains.
Ce serait génial que les gouvernants africains écoutent eux aussi de manière pensée, organisée, attentive, leurs compatriotes et plus généralement des voix africaines d’avenir. Qu’ils les écoutent et qu’ils les prennent au sérieux. Ils n’ont même pas besoin de les faire voyager pour y arriver.