Le lieutenant Timbiné, de la garde nationale du Mali, est tombé, dans sa chambre à la caserne de Gossi, le 9 juillet, sous les balles d’un de ses soldats qui exigeait de son chef que son unité monte en découdre à Kidal, la ville du nord du pays prise par les rebelles touaregs en 2012, avant d’être libérée début 2013 par les militaires français de l’opération « Serval ».
Aujourd’hui, la petite ville focalise l’attention. Si le vote pour l’élection présidentielle du 28 juillet, par laquelle la communauté internationale espère remettre l’Etat malien sur de bons rails, ne peut se tenir à Kidal, il n’y aura pas d’élection du tout. Dans cette perspective, l’armée est arrivée en marchant sur des œufs, 200 hommes, pour l’heure peu visibles en ville.
Au bord du fleuve Niger, sur le camp d’instruction verdoyant de Koulikoro, à 60 km au nord-est de Bamako, la capitale, d’autres militaires rongent leur frein : des « bérets rouges ». Ces commandos parachutistes étaient la garde prétorienne de l’ancien régime. Ils se sont fait humilier par les Touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) lors de la bataille d’Aguelhok, en janvier 2012, avant de se faire dépasser par la base quand le putsch du capitaine Sanogo, deux mois plus tard, a déposé le président Amani Amadou Touré. Le bataillon parachutiste a été dissous.
« ILS VEULENT COMBATTRE »
« Ils sont tous allés combattre au nord ces dernières années, on peut dire qu’ils ont perdu une guerre, et leur moral n’est pas bon. Ils veulent reprendre leur position etfaire quelque chose de bien », témoigne l’adjudant T., un instructeur des forces spéciales espagnoles, membre de la mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM). En clair : « Ils veulent combattre. » Dans cette nouvelle section commando en cours de formation, 9 des 34 bérets rouges ont participé à l’exercice américain Flintlock, un rendez-vous consacré à la coopération entre les forces spéciales américaines et leurs homologues d’Afrique. Tenir les troupes et éviter les règlements de comptes sont une des préoccupations majeures du chef d’état-major général de l’armée malienne, Ibrahim Dembélé.
En costume civil dans son ministère, le général Yamoussa Camara, ministre de ladéfense du gouvernement intérimaire, promet : « Il n’y aura pas de vengeance. Nous avons une armée nationale, avec toutes les composantes ethniques du pays. » A Kidal, les hommes du colonel El Hadj Ag Gamou – le plus haut gradé touareg de l’armée malienne –, partis au Niger pendant la rébellion, ont pris position non sans tension. « Ce sont des soldats de l’armée régulière, ils sont intégrés », poursuit le ministre. Quant au capitaine Sanogo, « il fait partie de l’armée régulière lui aussi. Il n’est pas arrêté ».
M. Camara conclut : « Nous concourrons tous ensemble à la refondation de notre outil de défense. » Des putschistes ne restent que 14 soldats dans le Comité de suivi de la réforme de l’armée, affirme le ministre de la défense. Les autres sont partis du camp de Kati, près de Bamako, où ils ont été cantonnés après le putsch, et déployés à Anefis, Kayes, ou encore Gao.
L’armée malienne est à reconstruire. Elle vient, entre autres malheurs, de perdreun tiers de ses pilotes d’hélicoptère dans des accidents récents. Plusieurs rentraient de formation en Russie.
« C’EST LA MÊME ARMÉE »
A Koulikoro, Français, Britanniques ou Espagnols de la mission EUTM commencent tout juste la formation d’un deuxième bataillon de 700 hommes. Le premier, « Waraba » (les lions en bambara), formé entre avril et juin, est déployé à Gao. Le second s’est déjà baptisé « Helou » (éléphants) en tamachek, la langue touareg, confie son commandant Mamadou M. Samaké
La section des commandos sera un des éléments du nouveau bataillon, aux côtés de compagnies d’infanterie et d’artillerie. Plus question, pour l’heure, que les bérets rouges voguent seuls. « C’est un groupement de mêlée, un tout, dans lequel chacun va travailler, assure le commandant. Tout le monde s’est ressaisi, c’est la même armée. » Les Touareg, dit-il, sont de « beaux frères ». Ils sont 160 dans le bataillon Helou. Le commandant vient de Sikasso, une région au sud, près de la frontière ivoirienne. Va-t-il aller dans le nord ? « Moi, je suis toujours prêt, assure-t-il, mais il n’y a pas mieux que d’y aller en étant organisés. »
Sur les hauteurs du camp de formation, les soldats ont des treillis sortis du magasin et se familiarisent avec des kalachnikovs flambant neuves par petits groupes, à l’ombre des arbres. Armes et munitions viennent du camp de Kati. Mais les instructeurs européens doivent être patients. Les Maliens n’étaient plus entraînés depuis des années, il faut tout reprendre, même pour les plus anciens.
Poussée par la France, l’Union européenne (UE) s’est engagée dans cette tâche début avril, non sans péripéties. EUTM a un budget de 12 millions d’euros pour quinze mois. Une goutte parmi le 1,3 milliard d’euros d’engagements divers pris par les Européens lors de la conférence de Bruxelles pour la reconstruction du Mali, en mai.
EUTM est toutefois une machine complexe appliquée à un but simple. Treize pays participent à l’instruction, avec chacun sa doctrine : à Koulikoro, le génie sera allemand ; l’artillerie, britannique ; le renseignement, grec. Il a fallu recruter 40 interprètes. La France aurait voulu tenir la formation d’infanterie ; elle est partagée avec le Royaume-Uni, l’Irlande, la Finlande et la Suède. Le budget avait prévu des bâtiments en dur pour les formateurs, rien pour les soldats. Des tentes ont été acquises au dernier moment, pour 160 000 euros.
Mais la mission tourne, sans d’autre choix que d’ignorer les échecs passés et les innombrables aléas du présent. « S’il y a un truc auquel on ne touche pas ici, c’est la politique ! », sourit le colonel Christophe Paczka. Le patron du centre de Koulikoro est aussi celui du 2e régiment d’infanterie de marine, basé au Mans. Celui-là même qui avait formé le général Dembelé il y a vingt ans.
Sous la pression des Français, EUTM est allée plus loin que prévu au départ dans son volet « conseil ». Elle a entrepris d’instituer une direction des ressources humaines de l’armée malienne – jusqu’à trouver bureaux, ordinateurs, personnels. Elle bâtit le commandement opérationnel. C’est EUTM encore qui aide à préparer la loi de programmation militaire malienne.
TENIR LE TERRITOIRE
Son chef, le général François Lecointre, va proposer la semaine prochaine à Bruxelles de prolonger la mission de trois ans, pour former huit bataillons au lieu de quatre prévus. Il s’agit de préparer l’armée à tenir le territoire immense du Mali. L’UE pourrait aider la garde nationale à devenir une unité nomade de présence et de renseignement, tout en continuant d’instruire les cadres des unités militaires.« La condition du succès, c’est la durée, il faut être prêts à essuyer la critique de l’ »embourbement » ou de la « recolonisation »”, plaide-t-il.
L’armée malienne a engagé 4 000 nouvelles recrues depuis janvier. Ils viennent pour vivre, les 80 000 francs CFA (122 euros) de solde ne sont pas rien dans ce pays où le salaire moyen tourne autour de 30 000 FCFA. Comment vont-ils secomporter ? « La meilleure garantie contre la barbarie, c’est le sentiment de la collectivité. Ils se comporteront de manière digne quand on aura restauré une cohésion et un lien hiérarchique forts », assure le général Lecointre.
LE MONDE | 12.07.2013 à 11h36