Une crise peut en cacher une autre. Alors que le pays subit depuis une décennie les affres d’une crise multidimensionnelle, il est devenu un carrefour pour la réception et la réexpédition de stupéfiants. Conséquence de l’insécurité et de vastes frontières incontrôlées avec l’Algérie au nord (1 376 km), le Niger à l’est (821 km), la Mauritanie à l’ouest (2 237 km) et le Burkina Faso au sud (1 000 km), des régions désertiques au nord où sévit la contrebande de marchandises entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
La Tour de l’Afrique est un grand carrefour giratoire de la capitale malienne. Reliant les Routes nationales (RN) 7 et 6, elle est aussi le point de passage vers d’autres régions du pays ou des destinations extérieures. Au pied du monument de 46 mètres de long situé à Bamako, la nuit se côtoient vendeurs et acheteurs de cannabis. À l’abri des regards ou presque, dans ce Bamako underground des transactions s’effectuent. Tout comme ce lieu, Bagadadji et Missira, en Commune 2 du District de Bamako, sont réputés être deux des quartiers de la capitale où la drogue est la plus vendue. Dans le cadre de l’Opération Founou-founou (tourbillon), le Commissariat du 3ème Arrondissement a annoncé l’arrestation de plusieurs vendeurs de drogue et le démantèlement de certains réseaux. Les policiers assurent avoir arrêté un grand trafiquant de la Commune II connu pour son rôle dans le ravitaillement des différents marchés de la capitale, des zones d’orpaillage et des réseaux terroristes. Toujours dans la même commune, le 4 février dernier, la police a mené une opération au marché de N’Golonina, laquelle a abouti à la découverte d’une cache abritant une importante quantité de cannabis et de Tramadol, entre autres stupéfiants.
Hors capitale, ces dernières années plusieurs saisies de drogues ont été effectuées à Sikasso, Koutiala, Yanfolila … et Gao. « Il y a beaucoup de dépôts dans la ville et même un lieu appelé Quartier Cocaïne. C’est de là que c’est acheminé vers Bamako, en camion », dénonce une source locale qui a requis l’anonymat, « sous peine de se faire tuer ». Dans la Cité des Askia, on trouve en « Jamaïque » du cannabis, en « Colombie », de la coke, à « Miami » et à la Place de l’Indépendance des médicaments psychotropes et des sachets d’alcools frelatés.
Enclavé mais consommateur
Bien que pays enclavé, le Mali est depuis la décennie 1990 utilisé comme lieu de déconditionnement et d’acheminement vers les marchés européens pour la cocaïne et l’héroïne. « Le phénomène a connu une expansion rapide au milieu des années 2000, comme conséquence directe des mesures répressives drastiques prises par les États-Unis. Désormais, les cartels des drogues latino-américains vont élire l’Europe comme marché de remplacement du marché́ américain et l’Afrique de l’Ouest comme plateforme d’acheminement vers ce marché », affirme l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dans un rapport d’évaluation de la réduction de la demande de drogues publié en 2017.
La nouveauté est que le pays de transition est devenu un consommateur considérable des stupéfiants. Deux facteurs coexistants sont en cause, note l’ONUDC : l’immigration des Maliens en Europe et l’essor du tourisme européen au Mali. Un premier groupe de dealers d’héroïne est découvert dans les années 80 dans le quartier huppé́ de l’époque, l’Hippodrome. « Ces deux groupes ont importé́ les produits au pays et ont initié́ des personnes proches aux modalités de leur consommation. Quelques années auraient suffi pour faire émerger une génération d’usagers autochtones qui n’a jamais immigré en Europe ni été contact avec des touristes européens », indique-t-il.
Depuis, cela s’est métastasé dans la ville de Bamako. En 1989, une enquête épidémiologique menée, entre autres, au service de Psychiatrie, à la Maison d’arrêt de Bamako, à Bollé et auprès des usagers de la rue, sur un échantillon de 639 usagers de substances psychoactives (592 soit 93% hommes et 43 soit 7% femmes), a démontré que 240 (41%), consommaient des médicaments comme produit principal et toute petite minorité́ de 5 personnes (1%) de l’héroïne. En 2000, des substances comme la cocaïne chlorhydrate (poudre) et free base (crack) font leur apparition dans le marché local du fait de l’utilisation de l’Afrique de l’Ouest comme plaque tournante du transit de cocaïne et comme le début de sa diffusion à une large échelle en Europe.
Au Mali, les drogues les plus prisées sont le cannabis, la cocaïne, l’héroïne et des médicaments psychotropes. « Ils représentent à eux seuls plus de 90% des quantités saisies », témoigne Hamidou Keïta, chef de la division Juridique et formation à l’Office central des stupéfiants (OCS). Le cannabis, le plus consommé en résine, vient du Maroc, et en herbe du Ghana, du Burkina. Il est aussi cultivé localement. On le retrouve sur le marché sous les appellations « joint », « yiri » (arbre), « chichi » (fumée), « falibo » (crottin d’âne), « pétard », marijuana, etc.
La cocaïne est transportée du Venezuela, de la Colombie et du Brésil sous forme chlorhydrate (poudre) et les médicaments prohibés (benzodiazépines, Tramadol, amphétamines…) viennent du Niger, du Burkina et de la Guinée.
Itinéraires divers
La drogue au Mali transite principalement, selon l’OSC, par l’axe Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) – Yorosso (Mali). Du cercle de Yorosso, une quantité est propagée à Ségou, qui ravitaille des villes du centre et du nord. Le reste s’achemine vers Koutiala, qui approvisionne Sikasso et Bamako par la route en contournant les points de contrôle des forces de sécurité. Souvent camouflés et dispersés dans des sacs de céréales ou de légumes, les stupéfiants traversent des localités de la région avant d’être stockés dans des fermes agricoles près de Bamako puis versés discrètement dans les marchés.
Au nord, « les psychotropes quittent le Niger, passent par Labbezanga et Ansongo et se retrouvent à Gao. Quant à la cocaïne, elle transite par la frontière algérienne », assure un notable de la localité. Selon ce dernier, de la ville, les drogues sont souvent acheminées par bateaux dans les localités, sur l’axe fluvial Gao – Tombouctou – Mopti.
« Quant au réseau de la cocaïne, il opère par voie aérienne et sur l’axe Guinée – Kourémalé – Bamako. La route transahélienne, communément appelée autoroute A-10, qui passe par le nord du Mali, est à présent peu pratiquée en raison de la forte présence militaire et de la montée en puissance des FAMa », explique M. Keïta. Mais en 2009 un avion cargo, renommé par la suite « Air Cocaïne » s’est posé en plein désert à Tarkint, à une centaine de kilomètres de Gao. L’avion, qui venait du Venezuela, a été déchargé de son contenu puis incendié. D’autres réseaux du cannabis – haschich pratiquent « l’axe Ghana – Burkina Faso – Mali, celui Maroc – Mauritanie – Mali et l’axe Côte d’Ivoire – Mali ».
Nombreux acteurs
Autant les routes sont diverses, autant le sont les acteurs et les ramifications vont souvent loin. L’affaire Air Cocaïne et les récentes saisies et arrestations de personnes transportant de la drogue à l’aéroport international Modibo Keita de Sénou le prouvent. Certaines de ces personnes « sont issues des importantes diasporas ouest-africaines d’Europe et d’Amérique du nord et latine. Elles servent à la fois à établir des liens avec les cartels, les producteurs, les revendeurs et les intermédiaires sur le terrain, qui peuvent les aider et les soutenir en cas de problème, mais aussi à rapatrier les bénéfices vers l’Afrique sous diverses formes », explique la Commission ouest-africaine sur les Drogues (WACD). Selon elle, un baron de la drogue ouest-africain peut aussi bien être avocat, cadre supérieur ou homme politique que jeune déscolarisé ou passeur de diamants.
Dans le Septentrion malien, traditionnellement, ce sont les tribus Arabes lamhar du Tilemsi (région de Gao) et Bérabiche (principalement à Tombouctou et à Taoudénit) qui détiennent le quasi-monopole le trafic de drogue, indique une enquête d’International Crisis Group de 2018. Depuis, la sociologie des acteurs s’est complexifiée, à cause « des revenus générés par la drogue ». Selon notre source à Gao, « les groupes terroristes, sous couvert du djihad, et certains groupes d’ex-rebelles » s’adonnent également à la pratique. Ce qui est attesté par plusieurs rapports, dont celui très détaillé d’International Crisis Group. Ces groupes profitent de la déstabilisation de l’État et de plusieurs « No go zone » pour leurs trafics. De fait, le petit vendeur de la Tour de l’Afrique n’est que la partie immergée de l’iceberg.
Aly Asmane Ascofaré
Source : Journal du Mali