Moussa Mara est le président du parti Yelema, membre du Cadre d’échange des partis politiques pour une transition réussie, opposé à la prolongation de la transition. Il a été ministre puis Premier ministre d’Ibrahim Boubacar Keita entre 2014 et 2015. Signature de l’accord de paix de 2015, affairisme, Moussa Mara revient sur les moments saillants de la présidence d’IBK. Il évoque aussi le quotidien du travail avec l’ancien président. Invité d’Afrique matin, Moussa Mara répond aux questions de David Baché.
RFI : En 2013, Ibrahim Boubacar Keita devient président avec près de 78% des voix. Pourquoi un tel plébiscite ?
Moussa Mara : Parce que le président IBK était arrivé à illustrer ce à quoi nos compatriotes aspiraient en 2013, c’est-à-dire de l’autorité pour redresser le pays, parce qu’en 2013, le pays était touché dans son honneur, avait perdu une partie de sa souveraineté au Nord….
Avec la rébellion indépendantiste…
Absolument. Donc, il apparaissait très clairement parmi les candidats comme étant le plus expérimenté, puisqu’il avait été président de l’Assemblée, Premier ministre, ministre, ministre des Affaires étrangères, et surtout son discours et les thématiques de sa campagne laissaient penser qu’il pourrait redresser la situation, et surtout redonner à son pays son honneur perdu.
Moussa Mara, vous avez été son Premier ministre. Travailler avec lui, c’était comment ?
Travailler avec lui était assez agréable puisque la personne elle-même était de commerce agréable, d’une très grande culture évidemment. Surtout, c’était quelqu’un qui était très sympathique et très direct. De manière générale, c’était quelqu’un de très humain.
Quelles sont les principales réalisations que vous mettriez à son crédit ?
D’abord, la restauration des institutions. C’est une transition qui a organisé les élections, le pays n’avait pas d’institutions démocratiques. Quand il est arrivé, le pouvoir civil a été instauré. Je pense que ça, c’est une réalité. La deuxième réalité, beaucoup de personnes l’ignorent parce que, évidemment, les scandales, les actions de mauvaise gouvernance, les autres dossiers dont certains sont d’ailleurs toujours pendants devant la justice, ont occulté un peu ce fait, mais un effort sans précédent pour l’équipement des forces armées et de sécurité. Le budget des forces armées et de sécurité a été simplement multiplié par deux pendant la période d’IBK au pouvoir. Maintenant, une chose est de multiplier par deux le budget, une autre chose est que les ressources aillent bien là où c’est destiné.
La corruption, les détournements d’argent public, c’est ça qui a suscité le renversement de l’opinion à son égard ?
Je pense qu’il y a cela, mais aussi et surtout, l’impression que le pouvoir n’appartenait pas vraiment aux institutions légitimes et que le pouvoir appartenait à un certain nombre de personnes dans son entourage. Il est vrai que le président IBK avait une façon de gérer. Il prenait de la distance avec les choses. Il déléguait énormément de responsabilités, il ne suivait pas beaucoup. Donc, évidemment, cela laissait de la marge à toute personne indélicate, proche de lui, pour se donner à des pratiques qui pouvaient être répréhensibles. C’était quelqu’un qui était assez à cheval sur les relations familiales, les relations humaines, sans doute d’autres personnes ont su aussi en profiter. Ce n’est pas pour le dédouaner évidemment, mais cela explique cela.
Sur le plan international, en Afrique de l’Ouest et au-delà, est-ce qu’Ibrahim Boubacar Keïta a su faire porter la voix du Mali ?
Le ministre des Affaires étrangères qu’il a été, l’ambassadeur qu’il a été, puis le soucieux de diplomatie aussi qu’il a été, ça a bénéficié à notre pays. Comme nous sommes sous l’éclairage des Nations unies avec les mandats de la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali], avec une présence internationale forte, cela lui a donné l’occasion de faire entendre la voix du Mali, non seulement en Afrique, mais au-delà de l’Afrique. Et comme je l’ai dit, c’était quelqu’un qui était de commerce agréable. Ses relations personnelles avec les dirigeants du monde ont pu aussi bénéficier à la diplomatie malienne.
Sur sa gestion de la crise du Nord et de la rébellion indépendantiste. Signature en 2015, sous sa présidence, de l’accord de paix, dont l’application pose toujours problème. Est-ce qu’on peut dire qu’il a cherché la solution ?
Le fait d’accepter d’aller aux négociations, le fait d’engager les autorités à aller vers l’application de la signature sont des éléments indéniables. Mais, il faut savoir que la mise en œuvre de cet accord nécessite que l’ensemble de l’appareil d’Etat soit mis en condition pour accepter des réformes importantes, dont certaines sont des réformes douloureuses, notamment la décentralisation et la régionalisation. Et là aussi, le président n’a sans doute pas su faire preuve de fermeté, et sur ses dossiers pour que ses chantiers importants avancent. Cela a donné beaucoup de retard et aujourd’hui, encore, nous sommes dans cette situation malheureusement.
Source : RFI