Il y a un vieux dicton russe qui peut s’appliquer à beaucoup de situations : « on a voulu faire mieux mais finalement on a fait comme d’habitude ». C’est avec un réel plaisir que nous dépoussiérons ce dicton russe dans la mesure où le pays est tenu par des russophiles haletants à tous les étages (de la Primature aux directions générales en passant par les ministères). Parler le Russe, en donnant du « tavarich » et du « kak gèla», en bombant quelque peu le torse vaut tous les CV. Mais la réalité est toute autre.
« On a voulu faire mieux mais finalement on a fait comme d’habitude ». On est tenté de croire que non seulement ils ne font pas mieux mais ils ont même tendance à être en deçà de ce à quoi on était en droit d’attendre d’eux. Prenons le cas du décret N°2023-0275/PT-RM du 03 Mai 2023 fixant le régime des marchés des travaux, de fournitures et de services exclus du champ d’application du code des marchés publics et des délégations de service public. Depuis deux jours, ce décret a subitement fait irruption dans la sphère des réseaux sociaux. En attendant d’y revenir dans les détails, nous donnons à lire l’article 17 : « le présent décret qui abroge toutes dispositions antérieures contraires ….prend effet à partir du 1er août 2020 ». Tout béotiens que nous sommes dans les affaires de loi, nous savons tout de même qu’aucune loi n’est rétroactive. Les juristes qui sont amis de ceux qui viennent de faire ce décret peuvent leur dire que ce n’est pas possible, qu’ils exposent le Mali à la risée du monde, encore. Pire, ils peuvent leur dire que l’impression qu’ils laissent avec ce décret rétroactif est qu’ils cherchent à couvrir leurs arrières et des actes ne répondant pas aux normes légales en vigueur. Nous aurons le temps de revenir en détails sur ce décret pour le moins inédit. Mais quand on voit la manière dont certains aspects personnels sont introduits dans le projet de Constitution, il ne faudrait pas être surpris outre mesure.
« On a voulu faire mieux mais finalement on a fait comme d’habitude ». Vendredi on célébrait la Journée de l’Afrique. Une Journée qui perd de sa valeur, année après année. Mais ce n’est pas l’objet. Vendredi c’était aussi l’anniversaire de la visite du ministre de l’Économie et des Finances en Russie, l’année dernière. L’avantage du numérique est qu’il est facile de retrouver intacts des faits, des gestes et des déclarations d’il y a quelques mois ou quelques années. Mercredi soir déjà la VAR comme on dit sur les réseaux a repassé le reportage de l’ORTM du 25 mai 2022. Le ministre déclarait que nos amis Russes allaient nous approvisionner rapidement en engrais, en carburant et qu’ils allaient nous donner 3 nouvelles locomotives et réparer les deux locomotives à l’arrêt en envoyant des techniciens dans les 15 jours suivant sa visite.
C’est vrai que le temps semble suspendu, c’est vrai que les Maliens sont très patients, mais ça ne coute rien de rappeler que cela fait tout de même 12 mois. Et que dans tous les secteurs qui devaient voir l’expertise, le savoir-faire et l’altruisme des Russe, nous avons connu des crises sans précédent. Si l’on en croit les explications fournies de ci, de là concernant les coupures de courant intempestives, la faute serait le manque de carburant et qu’il a fallu que le très patriote Assimi Goïta, président de la Transition, mette la main à la poche et allonge 6 milliards de nos francs pour que la lumière revienne, disons pour que la situation s’améliore. Vous aurez remarqué qu’on ne dit pas que c’est le Trésor qui a sorti l’argent, mais que c’est le Président Assimi qui a donné 6 milliards). Tout le monde sait que c’est une solution palliative afin de faire retomber la grogne sociale qui enflait de tous les côtés du pays. On a vu par exemple la forte mobilisation de la société civile de Gao menaçant d’empêcher la tenue du référendum.
Ce qui n’est évidemment pas acceptable pour les autorités qui tiennent à ce référendum comme à la prunelle de leurs yeux. La grogne est retombée parce que la fourniture de l’électricité s’est nettement améliorée. Mais le problème de l’EDM est un problème structurel. Quand on regarde les montagnes de milliards engloutis, on se demande toujours pourquoi on ne change pas d’option. Nous ne sommes pas naïfs parce que nous savons que c’est dans cette situation que certains mangent des deux mains et des deux pieds, en privilégiant des amis comme fournisseurs incontournables. Si rien n’est entrepris en profondeur, les 6 milliards pour le carburant c’est presque pipi de chat. Et nous n’avons entendu personne dire que c’est le carburant russe qui a permis de juguler la pénurie. Et puis, disons-le à haute voix, c’est avec la Transition que la dette de l’EDM a explosé, passant de 180 milliards à 600 milliards. Pour ce qui est des engrais, nous en avons parlé ici, dans ces colonnes. Des aigres-fins, comme il en a toujours existé, ont fait main basse sur les marchés sans en avoir ni la compétence ni l’expérience.
La conséquence est connue de tous. Jamais dans l’histoire récente du pays, il n’y a eu une telle pénurie d’engrais malgré la subvention apportée par l’État. Quelques annonces avaient été faites pour dire que les responsables rendraient gorge. Visiblement, il faut croire que ce n’est pas demain la veille. L’entras promis par les Russes auraient pu être d’un indéniable et salvateur secours. Pour ce qui est du train et des locomotives, ça frise souvent le ridicule. A chaque fois qu’on veut distraire nos parents qui vivent tout le long des rails, on attrape une des deux vieilles locomotives, on reprend la peinture, on fait quelques kilomètres sous le regard de quelques vidéomans et les youyous de joie des populations toujours abusées. Une fois le spectacle fini, on remise la pauvre locomotive jusqu’à la prochaine représentation. On attend les 3 locomotives promises et la réparation des deux vieilles qui sont là depuis Faidherbe.
« On a voulu faire mieux mais finalement on a fait comme d’habitude ». Il nous est revenu que les DFM sont dans une sorte de désobéissance vis-à-vis de leur ministre, pas de leur ministre de tutelle qui n’est autre que celui chargé des Finances, mais des ministres auxquels ils sont affectés. C’est connu, les DFM ont leurs petits business et leur short liste de fournisseurs propres à eux. Ils s’arrangent avec les ministres pour qu’il y ait un peu de beurre dans les épinards de tous. C’est comme ça et c’est presqu’immuable. Mais souvent il y a des ministres qui, de par leur gloutonnerie, menacent les grands équilibres et les petits intérêts. Il nous est revenu que certains ministres ont occupé la place en ayant leur liste de fournisseurs qu’il faudrait récompenser du fait de leurs efforts (de guerre) au moment des marches contre IBK. Ils estiment que c’est presque normal qu’on les récompense en les payant sur la bête qu’est le Mali qui n’a jamais si bien porté son nom qu’en cette occasion(pour ceux qui l’ignorent, Mali veut dire hippopotame en bamanakan). Beaucoup de DFM se sont rebiffés. Et depuis quelques jours, les DFM ont été officiellement autorisés à ne plus obéir à leurs ministres, surtout les ministres politiques nous a-t-on dit. Ils ont été invités en haut lieu, pour ne pas dire convoqués, pour qu’il leur soit transmis un message limpide : plus questions de satisfaire les sollicitations et les mesquineries des ministres politiques dont l’intention n’a jamais varié, battre campagne dans l’espoir de reprendre le pouvoir. Et on nous a rapporté que depuis lors, les DFM font du « un laisse » pour les uns et même du « laisse-guidon » pour les autres. Au grand désappointement de leurs ministres qui assistent médusés à cette désobéissance d’une autre nature.
« On a voulu faire mieux mais finalement on fait comme d’habitude ». La campagne référendaire démarre officiellement le 2 juin prochain. Mais nous, nous pensons qu’elle est même terminée du côté des autorités. Pensant jouer au plus malin, le gouvernement a inventé l’histoire de la vulgarisation du projet de Constitution. Tout le gouvernement a été mobilisé pour rencontrer toutes les couches de la société, y compris jusqu’aux élèves qui ne demandent qu’à tenir une année scolaire normale c’est-à-dire des cours de 3 mois sur 9 avec tout le bricolage habituel. Le gouvernement a fait une telle débauche qu’il a dépensé sans compter, allant jusqu’à imprimer ledit projet dans toutes les langues nationales. Quand on connaît le pourcentage de Maliens alphabétisés, on ne peut s’empêcher de penser que c’est une affaire qui n’est pas perdue pour tout le monde. Bref, les autorités violent les règles et les lois qu’elles ont elles-mêmes établies. En effet, personne n’est dupe, la campagne a été lancée par le gouvernement. Nous disions que tous les ministres ont été mobilisés. On peut voir aussi que toutes les institutions, tous les corps de métier, toutes les institutions intermédiaires, les associations de jeunes et de femmes, les artistes ont tous été appelés à rescousse de la vulgarisation. Et nous avons tous entendu à la fin des séances d’explication les appels à voter OUI. Le Premier ministre a non seulement appelé à voter OUI mais il pense que ce serait une sorte de reconnaissance au Président de la Transition, une sorte de reconnaissante pour le Gouvernement, une sorte de reconnaissance pour le CNT et une sorte de reconnaissance pour la Transition. Et bien entendu personne ne dit rien. Ceux qui sont contre le projet de constitution respectent les délais avec beaucoup de stoïcisme sous les insultes et les railleries de ceux qui estiment qu’ils aiment la Transition plus que tous et plus que tout. Nous sommes à une vingtaine de jours de la date du référendum, et nous ne voyons pas grand-chose: ni listes électorales, ni cartes d’électeurs, ni formation des agents électoraux. Comme c’est devenu presque une question de vie ou de mort pour certains, tout porte à croire qu’il se tiendra, avec ou sans les électeurs.
« On a voulu faire mieux mais finalement on a fait comme d’habitude ». C’était la promesse de ceux qui tiennent les manettes et les leviers, tous les leviers. Ils font même pire que d’habitude. Et dans tous les domaines. Ils sont dans l’auto-proclamation. Ils sont dans l’autosatisfaction. Ils sont dans la grandiloquence. De cela nous parlerons la semaine prochaine. In sha allah.
Tiégoum Boubèye Maïga
Source : La Nouvelle République