La chute du président Ibrahim Boubacar Keita dit IBK à partir de la journée du mardi 18 août et dans les premières heures du mercredi 19 août, livre peu à peu ses secrets. Contesté par la rue malienne et cible d’un rapport onusien distillé la veille, le président IBK n’était plus en odeur de sainteté auprès de ses soutiens internes et externes..
Pour cerner les enjeux de la crise socio-politique malienne qui a conduit au putsch, il est important de prendre en compte le fait qu’elle résulte, non pas d’une crise post- électorale, mais de la difficulté du Président Ibrahima Boubacar Keita (IBK) de gérer les problèmes sécuritaires que vit son pays depuis l’occupation, sous l’ère de son prédécesseur, Amadou Toumani Touré, de la zone Nord par des nébuleuses islamiques et terroristes alliées à certains groupe séparatistes.
L’ avènement du président IBK au pouvoir en 2013, suite à une éclatante victoire dans les urnes, avait été le fruit de la combinaison de plusieurs circonstances. D’abord, le soutien de la France dirigée à l’époque par François Hollande, membre tout comme lui de l’internationale socialiste. Ensuite le soutien du Conseil islamique du Mali dirigé par un certain imam Mahmoud Dicko et, enfin, le soutien des communautés touarégues du Nord.
L’on se souvient d’ailleurs qu’IBK avait été le seul candidat en 2013 à battre, symboliquement s’entend, campagne à Kidal, ville occupée par les séparatistes du Mouvement National de Libération de l’Azawad, MNLA, branche francophile des groupuscules touaregues qui porte encore en elle, à travers ses membres, très à l’aise dans les boulevards parisiens, les réflexes surannés des lauréats des écoles d’otages de William Ponty et d’ailleurs.
Avec l’avènement du président Emmanuel Macron au pouvoir en France, en mai 2017, le langage entre l’Elysée et Bamako avait évolué. La nomination de Soumailou Boubeye Maïga, sur recommandation express des réseaux français, à la primature constituait une sorte de courroie de transmission entre la colline de Koulouba et le palais de l’Elysée.
Formé à l’école régionale de journalisme de Dakar (le CESTI) Soumeylou Boubé Maïga est un ancien chef des services des renseignements maliens qui avait conservé ses liens avec les réseaux des renseignements généraux français. D’abord ministre de la Défense en septembre 2013, Soumeylou démissionnera avec force et fracas en mai 2014, au lendemain de la cuisante défaite de l’armée malienne à Kidal non sans avoir essayé de faire ratifier l’accord de défense franco malien. Peu avant la défaite qui laissera 50 corps des FAMA sur le champ de bataille, le premier ministre malien de l’époque, Moussa Mara, aux antipodes de Soymeylou, effectuera une visite controversée à Kidal, le 17 mai et manquera de peu de tomber entre les mains rebelles n’eut été l’intervention des forces de la MINUSMA et les éléments de Serval.
Le mois de mai 2014 a sonné le glas du premier mandat du président IBK discrédité par la suite par une série de scandales de surfacturation et de zones d’ombre sur l’achat des équipements militaires et de l’avion présidentiel. Plusieurs personnalités sont mouillées dans cette affaire encore pendante devant la Justice malienne. Certains protagonistes de cette affaire ont obtenu des promotions dans les organisations sous régionales.
Les casseroles du régimeIBK pousseront les partenaires technico -financiers, déjà attiédis par la rutilance de la carrosserie de la délégation malienne lors de la table ronde sur le pays organisée à Bruxelles, suspendront brièvement leurs concours exigeant de la transparence. Dans le même temps, des enregistrements du président malien en conversation avec le roi corse des casinos, Michel Tomi, viendront encore affaiblir l’image d’un président, amateur de costumes, qui ne faisait plus rêver.
Le pacte avec Paris
A l’approche de la présidentielle de 2018, Paris qui voyait d’un mauvais oeil l’arrivée éventuelle de Soumaila Cissé au pouvoir aurait conditionné son soutien à IBK pour un second mandat à la cooptation de Soumeylou Boubeye Maïga au poste de premier ministre durant tout son mandat afin de faire de ce dernier son dauphin. Si le président IBK a accédé à cette demande, il sera vite confronté à la montée en force de l’Imam Mahmoud Dicko qui ne ménagera aucun effort jusqu’à obtenir le départ du premier ministre au grand dam des Français.
Aux yeux de l’allié historique du Mali, ce départ arrangeait IBK qui n’a pas pu dissuader son partenaire religieux et allié. Donc, vu de Paris, le départ de Soumeylou de la primature était considéré comme un non respect des engagements pris par IBK vis-à-vis du département Afrique de l”Élysée.
La nomination d’un nouveau Premier ministre, l’impopularité du fils du président, Karim Keita, député, qui dirigeait la juteuse Commission Défense du parlement, l’enlèvement de l’opposant Soumaïla Cissé, le 25 mars au centre du Mali et la crise née des dernières législatives ont vidé la légalité de la présidence d’IBK de la légitimité sans laquelle tout pouvoir ne peut s’exercer. Depuis le 5 juin, le pays est paralysé. L’imam Mahmoud Dicko, figure de proue des contestations anti-IBK, a fragilisé le pouvoir en plusieurs manifestations poussant à celui-ci à la bavure lors des manifestations du 10 juillet dernier.
L’OPA amicale de l’armée malienne
Face à l’impasse, et devant les exigences de la rue, l’armée malienne a fini par prendre fait et cause en faveur du peuple qui occupait la place de l’indépendance. Dans la journée de mardi 18 août, Emmanuel Macron qui a mis sur pied une cellule de crise a joint 3 chefs d’État pour analyser la situation, à savoir Mouhamadou Issoufou du Niger, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal. Pendant ce temps, les choses évoluaient en défaveur de IBK sur le terrain. Plusieurs de ses collaborateurs sont mis aux arrêts dont le chef d’état-major , le ministre des Finances…La situation devenait tendue. Selon nos sources, Alassane Ouattara demandera à Macron l’intervention de l’armée Française stationnée au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane. Le français opposera une fin de non-recevoir en déclarant à son interlocuteur au bout du fil que “ce n’est pas notre rôle de nous substituer à la souveraineté du Mali”.
De son côté, IBK tente de faire en vain le rappel des troupes. Trop tard, le président est coupé de son commandement militaire. Alors qu’il était à la dure évaluation du terrain, son premier ministre, Boubou Cissé, débarque avec de mauvaises nouvelles. Il aurait quitté sa maison de justesse cinq minutes avant l’arrivée de ceux qu’on désignait toujours par “mutins”.
En ce moment, IBK tente de joindre le commandant des forces spéciales, le Colonel Goita qui se révélera être le véritable cerveau de l’opération de neutralisation de Bamako et des institutions. La rue s’impatiente. Les mutins s’organisent à faire une descente à la résidence du président IBK suspendu au téléphone avec les chefs d’État de la région.
C’est dans ce contexte que plusieurs groupes de jeunes mutins se rendent au domicile du désormais ex-président du Mali afin de l’arrêter et de le contraindre à la démission. Informé de l’arrivée d’un détachement à son domicile qui avait déjà été pris d’assaut par les manifestants, le président, selon une source sécuritaire malienne, croyait que ce détachement militaire était venu pour assurer sa sécurité.Il a demandé à son ministre de la défense de sortir pour s’enquérir de la situation, ce dernier a été mis de côté et placé immédiatement en “sécurité” selon le jargon des putschistes.
Ensuite les jeunes mutins ont pris calmement d’assaut le contrôle de la résidence du président sans aucune résistance de sa garde. Le président IBK n’oppose aucune résistance et accepte d’être conduit dans la garnison de Kati (située à 15 kilomètres de Bamako) en compagnie de son chef de gouvernement. Après plusieurs heures de tractations, le chef de l’État accepte finalement de s’adresser à la nation : ‘’Je voudrais en ce moment précis tout en remerciant le peuple malien de son accompagnement au long de ses nombreuses années et de la chaleur de son affection vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment et avec toutes les conséquences de droit, à savoir, la dissolution de l’assemblée nationale et celle du gouvernement”.
Face à la rapidité des événements, la CEDEAO a tenté de réactiver le mécanisme d”alerte précoce” en convoquant de toute urgence un sommet extraordinaire par visioconférence. Selon une source diplomatique, 24 heures avant la tenue de ce sommet, le Quai d’Orsay avait fait parvenir à certains chefs d’État de la CEDEAO une note dans laquelle la France faisait remarquer aux dirigeants de la région, notamment aux voisins du Mali, que le rétablissement de IBK au pouvoir était “irréaliste et dangereux”. Du realpolitik.
Le mauvais diagnostic de La CEDEAO
La CEDEAO, en réduisant les difficultés du Mali à une «crise électorale», a fait des recommandations ajoutant à la crise sécuritaire et sociopolitique du Mali une crise institutionnelle. En atteste la demande de démission de députés, pourtant élus au suffrage universel direct, avec validation par la Cour constitutionnelle, alors que la même CEDEAO considérait illégitime l’exigence de l’opposition malienne de démission du Président Ibrahima Boubacar Keita, au motif que ce dernier est élu au suffrage universel direct.
Une incohérence qui ne traduit pas que l’ampleur de la crise au Mali mais révèle aussi l’embarras des chefs d’Etat de la sous-région. Toutefois le médiateur désigné par la CEDEAO, l’ex président du Nigeria, Goodluck Jonathan, avait bel bien cerné le problème Malien qui était entre autres un problème de gouvernance mais n’a pas eu assez de marge de manoeuvre dans les premières heures de sa médiation.
Globalement, à la suite de la France, la CEDEAO, l’Union Africaine, l’Union Européenne et l’ONU considèrent que le Mali est victime du terrorisme djihadiste international. Un terrorisme qu’il faut éradiquer pour sauver l’Afrique sahélienne et préserver la sécurité de l’Europe, étant donné leur proximité géographique. Mais, derrière ce bel engagement de solidarité, se cachent de gros intérêts économiques et géostratégiques de la France soutenue par l’Union Européenne (UE) et les Etats Unis.
Intérêts économiques et géostratégiques de la France
Bien avant l’éclatement de la crise au Nord Mali, la France a été confrontée à la fin de la décennie 2000-2010, au Niger, à un puissant mouvement citoyen s’opposant à des contrats léonins dans l’exploitation de l’uranium du pays. Pays le plus pauvre au monde selon le classement IDH, le Niger n’en contribue pas moins à hauteur de 40% dans la couverture des besoins en électricité de la France, faisant de celle-ci une puissance militaire nucléaire de rang mondial.
A cette contestation civile, qui déstabilisait dangereusement le Niger, s’était ajoutée une vague d’arrestations et de prises d’otages de travailleurs français et européens d’Areva (devenu aujourd’hui Orano), la société qui exploite l’uranium nigérien. Une situation qui n’a pas manqué de faire réagir l’opinion française et à l’adoption d’une double stratégie: d’une part, le Gouvernement français, recourant à l’intermédiation des Présidents du Mali et du Burkina Faso de l’époque, Amadou Toumani Touré (ATT) et Blaise Compaoré, a, de façon récurrente, cédé aux pressions des groupes armés, souvent djihadistes, en leur versant des rançons dans le but d’obtenir la libération des otages et, d’autre part, pour rassurer son opinion publique, a déployé des «troupes spéciales» dont les interventions musclées ont causé des dégâts collatéraux avec mort de soldats que l’opinion publique française a du mal à supporter.
C’est bien ce qui avait motivé le Président français d’alors, Nicolas Sarkozy, à faire les «yeux doux» au Président libyen de l’époque, Mouammar Khadafi. Il s’agissait d’obtenir le soutien de celui-ci contre les groupes armés preneurs d’otages, d’avoir un plus grand accès au pétrole libyen et de faire adouber le projet de «l’Union des Peuples du Pourtour Méditerranéen», UPM, morte de sa belle torpeur, au détriment du projet américain du grand Moyen-Orient institutionnalisé par le groupement des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, appelé «Middle East North Africa» (MENA) par la Banque mondiale et le FMI.
Ne parvenant pas à embarquer Khadafi dans ses projets, (notons que celui-ci s’opposait à toute tentative française ou américaine de détacher l’Afrique du Nord du reste de l’Afrique et s’attelait à matérialiser l’unité économique et monétaire des pays africains regroupés dans « l’Union Africaine »(l’UA)), Sarkozy vit un changement de donne avec le “Printemps Arabe”. Les résolutions onusiennes conjuguées aux forces de l’Otan et aux manifestations intérieures emportèrent le régime de Kadhafi. La Libye devient une bombe à retardement, un foyer de déstabilisation pour toute la zone Sahel.
Concomitamment à l’effondrement de la Libye, le Nord Mali éclata rapidement. Le Mouvement de libération du Nord Mali, dénommé «Mouvement National de Libération de l’AZAWAD » (MNLA), en alliance avec des groupes armés islamistes, attaque des garnisons de l’armée malienne, et proclame depuis Paris, «l’indépendance de l’AZAWAD» !
C’est ainsi qu’une crise sécuritaire s’est déclenchée au Mali avec, il faut bien en convenir, la complicité du président ATT du Mali. En effet, c’est bien ce dernier qui a permis l’entrée à Kidal de Touaregs lourdement armés, même si ce fut sous la férule pleine et entière de la France, dans sa stratégie de défense de ses intérêts économiques au Niger et géostratégiques au Sahel.
Malheureusement pour Sarkozy, le partage du nouveau pouvoir à Kidal conduisit à un affrontement entre les groupes islamistes et le MNLA, le dernier nommé finissant du reste par être contraint à s’exiler au Burkina Faso après avoir subi de lourdes pertes en hommes et en matériels.
Malheureusement, face au massacre de ses soldats, à la débâcle de ses troupes au nord de son pays et aux exactions perpétrées contre de paisibles citoyens, en lieu et place de mobiliser le peuple et toutes les ressources de l’Etat pour libérer le Nord Mali, ATT a préféré se consacrer aux préparatifs de l’élection présidentielle pour s’assurer une succession tranquille, encouragé en cela par la France, l’UE et les Etats Unis. Contre tout bon sens, ATT semblait obnubilé par la conservation du titre de «Président démocrate» que les puissances occidentales lui avaient conféré…
C’est dans ces circonstances, à moins de 45 jours de la fin de son mandat que de jeunes officiers, devant ce qu’ils ont qualifié de «haute trahison» ont décidé de renverser pour mettre le pays en état de faire face aux groupes armés qui décimaient le Nord du pays. Ce qui a été interprété par Sarkozy comme une menace contre les projets de la France au Nord Mali, par de jeunes officiers ouvertement nationalistes, et l’a amené à exiger leur départ sans délai, sous couvert du «rétablissement de la légalité républicaine».
C’est d’ailleurs fort de cet argument que la France est parvenue à faire bloquer, par la BCEAO, les avoirs de l’Etat du Mali et à faire mettre ce même pays sous embargo, par la CEDEAO. Dans ce contexte, les militaires furent contraints de négocier, avec la CEDEAO, les conditions de passation du pouvoir aux civils, sous l’égide du Président du Faso, Blaise Compaoré, désigné comme «médiateur» en dépit du fait qu’il ait accueilli chez lui, les rescapés indépendantistes du MNLA à l’origine du déclenchement de la crise sécuritaire au Nord Mali entrainant la crise politique dans ce pays.
Il faut dire que le rôle principal que les militaires attendaient de ce pouvoir intérimaire était de réunir les conditions nécessaires à la libération du Nord, alors que, pour la France, il s’agissait de reprendre les préparatifs, interrompus, de la tenue de l’élection présidentielle. Une France qui est parvenue à faire endosser sa position à l’UEMOA avec à sa tête les Présidents Ouattara, Compaoré et Wade, puis à la CEDEAO, à l’UA, à l’UE, et à l’ONU, aux dépens de la lutte pour la libération du Nord Mali.
Le Gouvernement de transition co-dirigé par Dionkounda Traoré et Cheick Modibo Diarra fut ainsi pris en tenaille entre ces deux orientations paralysant l’action gouvernementale et donnant le temps aux mouvements armés islamistes parvenus par ce biais à consolider leur pouvoir à Kidal et de l’étendre à Gao et Tombouctou.
Ce n’est qu’avec la chute de Sarkozy et l’arrivée de François Hollande au pouvoir que le sacro-saint principe de « tenue de l’élection présidentielle avant la libération du Nord Mali » fut abandonné par la France, compte étant tenu des velléités des groupes djihadistes de descendre sur Bamako. Ce qui fut davantage remarquable, c’est l’adhésion quasi instantanée à ce revirement stratégique de la France par tous les Chefs d’Etat d’Afrique, de l’Europe et de l’ONU, alors qu’ils s’y étaient opposés farouchement lorsque les militaires maliens prônaient une telle démarche.
Les accords d’Alger, une partition de facto
Ibrahima Boubacar Keita, fortement soutenu par les militaires, les partis politiques, la société civile et religieuse attendant tous de lui la restauration de l’autorité de l’Etat à Kidal, avançait ses pions. Mais, sous la pression de la France, au lieu d’exiger le désarmement du MNLA et la restauration de l’autorité de l’Etat à Kidal, IBK a accepté l’ouverture de négociations de paix à Alger avec ce mouvement, sous le parrainage conjoint de la France et de l’Algérie, en lieu et place de la CEDEAO et de l’UA. En perspective de ces négociations, le MNLA s’allia de nouveau avec des groupes armés issus des djihadistes et créa la «Coordination des Mouvements de l’AZAWAD», (CMA)!
Les accords auxquels ces négociations ont abouti ont été signés après leur validation par la base de la CMA, sans que le gouvernement Malien ne les ait soumis, au préalable, à l’Assemblée nationale du pays.
Ainsi, ceux qui ont porté IBK au pouvoir n’ont eu que leurs yeux pour pleurer en prenant connaissance, par la suite, du contenu des «Accords d’Alger». Des accords qui, de fait, jettent les bases de la partition du Mali en concédant une «autonomie» aux régions du Nord sous le contrôle de la CMA, et leur balise la voie à l’auto-détermination, avec l’obligation de leur verser 40 % des ressources budgétaires de l’Etat, l’obligation de les consulter pour tout projet d’exploitation minière dans ces régions, et, cerise sur le gâteau, la recomposition des forces de défense et de sécurité au Nord Mali, dans lesquelles l’Etat Malien ne disposerait que du tiers des effectifs.
Il a fallu à IBK, pour conserver son pouvoir, tout en se livrant à de telles négociations et accepter ces «Accords d’Alger», procéder à l’arrestation, sous pression de la France, des officiers qui ont largement contribué à son élection, en les accusant de «crimes» lors de leur prise du pouvoir des mains d’ATT. Le même IBK, à cause d’une puissante résistance à la fois populaire et au sein de l’Armée malienne, ne fut jamais en mesure d’organiser un référendum pour changer la Constitution et rendre applicables les «Accords d’Alger», pas plus qu’il n’a pu juger les officiers arrêtés.
Ainsi, face à cette résistance qui exerce une forte pression sur Kidal où l’Etat malien est interdit de revenir par la CMA soutenue par la France, les «Accords de paix d’Alger» se révèlent de plus en plus inapplicables aux yeux des autres partenaires du pays.
Le G5 Sahel ou l’extension de la crise du Mali au Sahel
Le Président Emmanuel Macron, qui a succédé au Président Hollande, créa alors le «G5 SAHEL» pour impliquer dans sa lutte contre les djihadistes, le Burkina, le Niger, la Mauritanie et le Tchad, aux côtés du Mali, jetant ainsi les bases de l’extension de la crise sécuritaire du nord Mali, au centre du pays et à ses frontières. Le retour de l’autorité de l’Etat à Kidal cessait ainsi d’être la préoccupation de la Communauté internationale, mais continuait, pour les forces vives du Mali, d’être l’épicentre de la crise sécuritaire de leur pays et le principal vecteur de sa partition.
C’est sur cette toile de fond de crise que l’élection présidentielle de 2018 a permis à IBK d’obtenir un second mandat. Un mandat que dans un premier temps l’opposition a contesté vainement devant la Cour Constitutionnelle qui l’a validé puis, dans un deuxième temps, a vigoureusement combattu dans la rue, ajoutant ainsi à la crise sécuritaire et politique, une crise sociopolitique.
L’ampleur de cette crise politique peut être mesurée à l’aune des nombreuses tentatives de son règlement pacifique qui ont abouti à la tenue d’un «Dialogue National Inclusif» (DNI) qui a adopté un «Programme de sortie de crise». Celui-ci recommande, entre autres, une «relecture des Accords d’Alger» pour revoir les dispositions que l’opposition et la société civile considèrent contraires à la Constitution du Mali et «l’ouverture de négociations avec les groupes armés, conformément aux recommandations faites antérieurement par la «Conférence Nationale de Réconciliation et de Paix». Autant de pistes de solution contrariant la stratégie de lutte de la France contre les groupes armés qu’elle considère comme des «djihadistes».
IBK n’a pas pu mettre en œuvre ces recommandations. Entre autres, en raison de l’hostilité de la France à toute «remise en cause des Accords d’Alger» et à «toute négociation avec les groupes armés ». Cette attitude de la France est perçue par les forces vives du Mali, comme le principal obstacle à la «réconciliation nationale, à la paix » et au «recouvrement, par l’Etat malien, de l’intégralité de son territoire, pour permettre à son peuple d’y exercer légitimement sa «souveraineté pleine et entière».
C’est cette perception de l’attitude de la France qui a provoqué un vaste mouvement populaire qui réclame l’aide militaire de la Russie, à l’image de l’appui de celle-ci à la République Centre Africaine, et exige le départ des troupes françaises du Mali, dont les Généraux occupent des fonctions stratégiques dans l’Etat- Major de l’armée malienne et dans le Commandement de la force onusienne (MINUSMA).
Le peuple Malien a la conviction que la «France fait partie du problème et non de sa solution», d’autant qu’en dépit de ses positions stratégiques dans la gouvernance de la MINUSMA, Kidal reste un «sanctuaire» interdit aux autorités de l’Etat, et que la CMA, au lieu d’être désarmée, est plutôt parvenue à se doter d’un puissant arsenal de guerre. De même, malgré les fortes positions françaises dans l’Etat-Major de l’armée malienne et en dépit de «l’Opération Barkhane», les soldats maliens, mal équipées, sous encadrés et démoralisés, continuent d’être massacrés du Nord au Centre du Mali où, dans le même temps, l’insécurité règne jusqu’à atteindre des pays limitrophes.
C’est dans ce contexte que se sont tenues les élections législatives au Mali à la fin mars et début avril 2020. L’opposition et la société civile, malgré toutes leurs réserves quant au système électoral et à l’impartialité de la Cour constitutionnelle, espéraient l’emporter pour imposer à IBK la mise en œuvre des «Recommandations du DNI», et, à l’image du Parlement Irakien avec les Américains, «voter une motion pour le départ des Forces Armées françaises du Mali».
IBK, pour ne donner aucune chance de prospérer à cette éventualité, a instrumentalisé la cour constitutionnelle. Une cour qui a été prise en flagrant délit de falsification des résultats de certaines communes dont l’objectif était de donner au Président malien la majorité parlementaire. Cette entreprise a définitivement discrédité la cour constitutionnelle faisant de sa dissolution, fortement demandée par l’opposition, une exigence populaire pour sauver la démocratie et l’indépendance du Pouvoir judiciaire qui en est la garantie.
En définitive, c’est bien ce «coup de force électoral» qui apparait comme l’étincelle mettant le feu dans la poudrière qu’est devenu le Mali.
Au terme d notre analyse et après avoir fait le tour de la question, il semble peu contestable qu’IBK avait ait atteint ses limites sociales et que son maintien en tant que Président de la République risquait de précipiter le Mali dans un gouffre insondable. L’entêtement dont il fait montre ne fera qu’enfoncer davantage le Mali dans la crise sécuritaire et sociopolitique, avec tous les risques de déstabilisation des pays du Sahel que cela comporte.
La crise sécuritaire et sociopolitique en cours au Mali illustre parfaitement cet état de fait qui prévaut dans le continent et auquel le M5 a été le fer de lance qui a permis in fine la chute de IBK avec le raliement de l’armée a la cause du peuple. L’armée malienne refuse de considérer la chute de IBK comme un coup d’Éta, au contraire de la CEDEAO. Devrait-on en conclure que quand un civil utilise l’armée pour réprimer le peuple et pour se maintenir au pouvoir c’est démocratique mais quand le peuple prend le risque d’utiliser l’armée pour faire abdiquer un tyran c’est anticonstitutionnel ?
Source: financialafrik