Le Président du Sam, Cheick Mohamed Chérif Koné, dégage toute responsabilité de la Cour suprême et du Syndicat autonome de la magistrature dans l’affaire d’usage frauduleux de plaques d’immatriculation qui secoue depuis quelques jours le monde judiciaire. L’on sait que l’Etat du Mali, malgré les maigres ressources, vient de prêter une oreille attentive aux doléances des magistrats soutenues par le président du Sam avec des arguments qui ont emporté l’adhésion d’une grande partie des populations. Quelques semaines seulement après, nous découvrons des faits impensables auxquels s’est livré un magistrat de la Cour suprême, non moins membre du Comité Directeur du Sam. Cette affaire, qui met en cause la moralité de certains de nos magistrats, semble donner raison à ceux qui soutiennent que des magistrats commettraient le pire même avec des salaires et des traitements surabondants. Suite à notre article du 07 avril sur cette affaire d’usage frauduleux de plaques d’immatriculation qui fait la une de l’actualité nationale et internationale, et qui secoue la magistrature malienne, nous avons rencontré Cheick Mohamed Chérif Koné, Président du Sam, qui se prête comme d’habitude et sans détour à nos questions.
Pour des faits similaires, des citoyens sont passés devant la cour d’assises pour faux et usage de faux, d’autres sont en attente de l’être. En dépit du caractère flagrant des faits incriminables au magistrat, celui-ci semble bénéficier d’une présomption d’impunité. Est-ce à dire que l’indépendance du magistrat rend licite tous ses actes en le mettant au-dessus de la loi ?
C.M.C.K: S’agissant de faits personnels ou d’actes individuels sans liens avec l’exercice de la profession de magistrat, ou avec des activités syndicales, la Cour suprême ne saurait être dans la tourmente ou se retrouver au centre de polémiques, encore moins la magistrature malienne dans son ensemble. Le Sam a certes vocation de défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats dans le respect de la loi et des valeurs républicaines ; il ne saurait cependant s’opposer au libre arbitre des uns et des autres. Autrement dit, à chaque niveau de responsabilité, chacun devra répondre de ses actes personnels posés en dehors de l’exercice de ses fonctions. Vous appréhendez aujourd’hui suffisamment l’importance de l’indépendance du magistrat en tant que garantie d’une bonne justice. L’indépendance du magistrat implique avant tout la soumission de celui-ci à la seule loi ; elle va nécessairement de pair avec la responsabilité du magistrat. Nul n’étant censé ignorer la loi, le magistrat n’est pas et ne saurait être au-dessus de la loi. Toutefois, il convient de faire remarquer que la qualité de magistrat ne lui fait pas perdre le bénéfice de la présomption d’innocence. Pour en venir à ces faits largement et abondamment relayés par les réseaux sociaux à l’encontre d’un des nôtres, ils interpellent toute la magistrature malienne qui devra se donner les moyens de les élucider. Ils sont très sérieux pour nous laisser indifférents. L’on est en face d’actes individuels, sans lien avec l’exercice des fonctions de magistrat, lesquels ne sauraient mettre en cause la crédibilité de la Cour suprême ou engager la responsabilité du corps de la magistrature. Le statut de la magistrature et le statut du Sam sont suffisamment clairs. Ni l’un, ni l’autre n’autorise les faits tels que présentés dans l’article, à savoir l’usage perçu comme anormal ou même frauduleux de plaques d’immatriculation par un magistrat de la Cour suprême. Je suis d’accord avec vous à reconnaître que pour diverses raisons, cette affaire éclate à un moment qui n’est vraiment pas le bon pour la magistrature malienne qui cherche aujourd’hui à se donner la meilleure image d’elle-même, afin de mieux mériter les efforts en cours visant à l’amélioration des conditions de vie et de travail des acteurs de la justice. Certes, toute question liée à l’éthique ou à la déontologie mettant en cause un magistrat, touche obligatoirement le corps de la magistrature. Cependant, la Cour suprême n’est ni au centre de la tourmente, ni au centre de vives polémiques. Elle reste à tout égard une institution digne de considération et de confiance. À ce niveau, il importe surtout de ne pas faire d’amalgame en jetant le discrédit sur l’ensemble de la magistrature, du fait d’un seul individu pour des actes qui n’entrent ni dans le cadre ses fonctions, ni dans celui de ses activités syndicales. Quant aux magistrats, ils méritent amplement les avantages qui viennent de leur être accordés par le gouvernement, suite au soutien de toutes les composantes de la nation. L’accompagnement de la presse a été déterminant au succès de nos légitimes revendications. C’est encore l’occasion d’exprimer à tous notre gratitude et notre reconnaissance.
En tant que syndicat responsable de magistrats, comme vous aimez présenter le Sam, pourquoi n’avez pas pris des mesures pour faire cesser ce trouble qui avait été signalé par des internautes depuis plus d’un an ?
Le Sam, je le maintiens, demeure un syndicat de magistrats indépendant et pleinement conscient de ses responsabilités. Suite à une réunion informelle entre magistrats, il a été reconnu que le collègue circule depuis quelques temps dans une voiture AUDI avec effectivement des plaques d’immatriculation de fond bleu portant le numéro K 9633, comme déjà précisé dans l’article. Toutefois aucun magistrat ne pouvait donner de détail sur les circonstances dans lesquelles ces plaques de fond bleu s’étaient retrouvées sur un véhicule personnel, qui ne serait même pas dédouané. Seuls des chauffeurs de la cour ont pu donner quelques renseignements sur le sujet qui a troublé plus d’un. C’est vous dire que la surprise des magistrats de la Cour suprême était au comble, en lisant l’article de presse paru dans différents journaux de la place, ce à commencer par le Président de l’institution lui-même et le Procureur Général, qui en ont été scandalisés. Pour couper court à tout amalgame, il est à préciser que les pratiques auxquelles vous faites allusion, ne sont pas connues des magistrats, et le Sam ne saurait non plus les cautionner ou en répondre, encore moins le corps de la magistrature ou la Cour suprême.
Quels sont aujourd’hui les ressentiments des magistrats face à cette affaire, êtes-vous en mesure d’assister efficacement comme vous l’avez toujours fait, Boya Dembélé, le collègue en difficulté ?
Sans avoir de ressentiments personnels, je serai surtout à l’aise s’il s’agissait de soutenir le bien-fondé des revendications des magistrats, ou d’élever la voix contre des formes d’atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. En ma qualité de président du comité directeur du Sam, je me dois d’être prudent face au caractère très vraisemblable de l’article dans la mesure où l’intéressé mis en demeure d’enlever les plaques incriminées, suite à la parution de l’article, s’est aussitôt exécuté. S’agissant de faits matériels constatés, il ne m’appartient pas de répondre à la place de l’intéressé qui a certainement ses arguments et ses raisons. Pour l’heure et par delà toutes les désapprobations de nos concitoyens face à l’acte, nous devons être circonspects dans nos commentaires et analyses. Seules des investigations appropriées permettraient de mieux cerner les circonstances qui ont conduit le collègue à faire usage de ces plaques.
Des renseignements font état des démarches du Sam au niveau de la Cour suprême et au niveau du ministère de la Justice, visant à étouffer cette affaire. Qu’en dites-vous ?
Rassurez- vous, rien de tout cela n’est exact. Le syndicat ne peut exercer aucune influence, ni sur le président de la Cour suprême, ni sur le ministre de la Justice, tous deux étant en droit de faire la lumière sur cette affaire, de faire en sorte que la loi s’applique à tous de la même manière. S’il est évident que le Sam a le devoir de porter assistance à tout collègue en se conformant à la loi, il ne saurait faire entrave ou même tenter de faire entrave au bon déroulement des enquêtes ou des procédures judiciaires. Je vois mal un magistrat ou un syndicat de magistrats qui cautionnerait des actes contraires à la loi, ou qui encouragerait des comportements incompatibles avec le serment, l’éthique et la déontologie de la profession. Dès la parution de l’article, la Cour suprême a pu prendre d’initiative et d’autorité quelques dispositions utiles. Une des premières mesures a été la mise en demeure de l’intéressé à enlever les plaques ; cela est aujourd’hui effectif et vérifiable sur le terrain (c’est le CH 6280 qui est maintenant visible sur le véhicule). Aussi des renseignements font état qu’il en a été de même au niveau du ministère de la Justice qui aurait aussitôt saisi l’Inspection des Services Judiciaires pour l’ouverture d’une enquête. Si j’ai eu des entretiens au plan national et international par rapport à l’attitude à adopter, suite à la parution de l’article qui a expressément visé un des nôtres, il n’a jamais été question de faire obstacle aux enquêtes ouvertes à différents niveaux en vue de faire la lumière sur la question. Pour la crédibilité même du Sam et de la magistrature dans son ensemble, nous avons le plus intérêt à ce que les faits soient éludés.
Et que direz-vous à ces nombreux Maliens qui exigent outre des poursuites judiciaires et disciplinaires contre Boya Dembélé, des sanctions prévues par le statut du Sam ?
S’il y a responsabilité dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’une responsabilité syndicale. Les faits posés par le collègue, l’ont été en dehors de l’exercice de ses fonctions de magistrat et de ses activités syndicales. Sans pour autant nous engager, ces actes interpellent le Sam et le corps de la magistrature dont l’image a été écorchée. Le camarade est lui-même déjà profondément affecté par tous ces commentaires aussi troublants que déroutants qui ont suivi l’article. Qu’il nous le dise ou pas, il a aujourd’hui besoin de l’assistance du Sam qui doit se préparer et aller à cela sans trop attendre. Il serait à ce stade prématuré pour le Comité Directeur de prendre des mesures à l’encontre du collègue, même si de nombreux magistrats estiment que le comité directeur devrait en tirer les conséquences en s’assumant pleinement. En tant que magistrats nous n’avons pas besoin de nous précipiter dans des actions d’éclat parfois regrettables. Sans nous détourner des responsabilités qui seraient les nôtres, nous devons réfléchir mûrement aux conséquences des actes que nous serons éventuellement amenés à poser dans la gestion de cette affaire extrêmement complexe et délicate. Le moment venu nous prendrons les mesures qu’il faut.
Certains avocats reprochent à la cour d’être au centre d’une certaine culture de l’impunité en acceptant en son sein des magistrats impliqués dans des procédures judicaires, lesquels sont nommés, contre toute attente, avocats généraux de la Cour suprême. Que dites-vous à ce sujet ?
Avec plus de précisions, les avocats qui ont la charge de suivre leurs dossiers, permettraient de trouver la solution aux cas d’enlisement des procédures judiciaires qui impliqueraient des avocats généraux. Malgré ma disponibilité à poursuivre cet entretien, je ne saurais me prononcer sur des situations qui échapperaient à ma connaissance. Sans prendre en compte tout le processus, l’on ferait un faux procès à la Cour suprême, laquelle n’est pas l’autorité de nomination de ses membres magistrats. Les avocats généraux dont il est question ici, sont proposés par le ministre de la Justice et nommés directement par le gouvernement, sans aucune consultation du Conseil supérieur de la magistrature.
Propos recueillis par Bekaye DEMBELE
Source: Le Reporter