Mon invité de ce mois est Moussa Bolly, journaliste de formation sortant du Centre d’étude des Techniques de l’information (CESTI). Il est titulaire aussi d’un master en Management des Organisations sportives (MEMOS). Nous allons découvrir le parcours de ce journaliste teigneux originaire de Kadiolo au Mali. Il nous laisse voyager dans son univers journalistique celui d’un homme de rigueur profondément humain et sportif qui a su garder les pieds sur terre dans ce métier qui «mène à tout pourvu qu’on reste professionnel», nous conseille t-il.
Blog Reines d’Afrique : Moussa Bolly, tout en vous remerciant pour votre temps de disponibilité pour cet entretien, veuillez-vous présenter à nos lecteurs.
Moussa Bolly : Je tiens d’abord à te remercier jeune sœur non seulement de me donner la parole, mais aussi pour ton engagement avec ton «Blog Reines d’Afrique». Sans complaisance aucune, tu fais un formidable travail. Je suis journaliste de formation (25e Promotion CESTI/UCAD de Dakar, Sénégal). En plus du diplôme du CESTI, je suis aussi titulaire d’un master en Management des Organisations sportives (MEMOS) obtenu en France. J’ai aussi bénéficié de nombreux stages de formation dans de nombreux domaines, notamment en critique cinéma. Je suis également titulaire d’un Master en Management des Organisations Sportives (MEMOS) à travers un programme partenarial entre le Mouvement olympique, l’Université Claude Bernard de Lyon (France) et l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) de Paris, France.
J’ai la cinquantaine. Je suis marié et père de 4 enfants biologiques ainsi que de nombreux enfants adoptifs. Je suis passionné de sports, de musique et de nature. J’aime aussi beaucoup lire…
A quand remonte votre passion pour la presse ? Qui étaient vos idoles ?
Ma passion du journalisme est liée à celle du football. C’était à l’époque de la radio et je ne ratais presque jamais la retransmission des matches sur la Radio-Mali, Radio-Côte d’Ivoire, Africa N°1… Et il m’arrivait de me cacher pour commenter des matches imaginaires amenant les gens à croire qu’il y avait un match à la radio. Mes idoles ont été les Demba Coulibaly, Jean-Louis Fara Touré, Boubacar Kanté, Ronny Mba Minko, Gassimou Sylla… J’aimais tellement lire que je ne pouvais pas passer à côté d’un journal même jeté sur un tas d’ordure… J’ai donc découvert la presse écrite avec les «Kouakou», «Calao» que j’achetais les jeudis, jour de la foire hebdomadaire de Kadiolo. J’ai produit mon premier article alors que j’étais en 10es Lettres au Lycée régional de Sikasso. Il était intitulé : Les filles-mères ! Un texte qu’un professeur de littérature a lu dans presque toutes les classes littéraires du lycée… Aujourd’hui, j’essaye de marcher sur la trace des Gaoussou Drabo, Alain Agboton (paix à son âme), Mamadou Koumé, Seydou Sissouma…
Parlez-nous de vos débuts…
Après le Bac (LLT) en 1991, j’ai été orienté à la section Administration publique (AP) de l’Ecole Nationale d’Administration de Bamako (ENA). Mon rêve était de devenir diplomate ou journaliste. Malheureusement, l’ENA ne forme pas au journalisme. J’avais donc commencé à économiser sur ma bourse afin de pouvoir suivre des cours à distance à travers EDUCATEL. Mais, en 1994, il y a eu l’année Blanche après des années de perturbation à cause des grèves des élèves et étudiants. J’en ai profité pour tenter la chance au concours d’entrée au CESTI et, Dieu merci, j’ai été admis. Je me considère comme un privilégié parce que le journal «Les Echos» (hebdo puis quotidien) m’a donné la chance d’écrire dans le journal dès mon premier jour de stage.
Chaque année, pendant mes vacances, je faisais un mois de stage au «Les Echos» avant d’aller voir ma famille à Kadiolo. Et j’ai eu le privilège de tomber sur des gens formidables comme feu Aboubacar Salif Diarrah, Tiégoum Boubèye Maïga, Alexis Kalambry, Abdoul Majid Thiam, Sounkalo Togola… qui m’ont protégé et guidé. J’ai donc commencé à écrire dès ma première année au CESTI. En 3e année, feu Alain Agboton nous a proposé des stages au «Le Matin» de Dakar qui venait d’être lancé par l’imprimeur Baba Tandia… J’ai donc cumulé les études avec le stage dans ce journal.
J’ai eu aussi la chance de faire mon stage officiel de fin d’étude au quotidien national du Sénégal, «Le Soleil», précisément au desk-étranger dirigé à l’époque par Seydou Sissouma. Après ma soutenance et la cérémonie de baptême de la promotion, je suis rentré au Mali malgré de nombreuses propositions faites au Sénégal. Je me suis engagé avec Jamana. Officiellement, j’ai été recruté pour animer le magazine des jeunes «Grin-Grin», mais j’écrivais essentiellement pour «Les Echos». Au départ, je me suis spécialisé dans les enquêtes (dossiers thématiques) avec les encouragements du doyen Tiégoum Boubèye Maïga qui n’hésitait pas à mettre la main à la poche pour mes frais de déplacement.
Quel focus faites-vous sur cette époque ?
A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de journaux. Et il y avait un vrai travail de formation dans les rédactions. J’ai beaucoup appris des Aboubacar Salif Diarrah, Tiégoum Boubèye Maïga, Alexis Kalambry, Abdoul Majid Thiam, Sounkalo Togola, Oussouf Diagola et même du directeur Général (Hamidou Konaté) qui participait souvent à nos conférences de rédaction. Le métier, à l’époque, était un vrai sacerdoce et il fallait réellement se donner à fond pour avoir la chance d’écrire dans un journal.
Et le travail était très fastidieux parce qu’il n’y avait pas d’ordinateurs portables, de téléphones et Internet était au stade de balbutiement au Mali. Il fallait écrire à la main avant qu’agent de saisie ne s’en occupe. J’ai donc connu la hantise de la feuille blanche, des articles qu’on reprenait chaque fois parce qu’on n’était pas satisfait de ce qu’on écrit. Aujourd’hui, les NTCIs ont facilité tellement les choses que j’ai souvent du mal à prendre des notes sur un calepin ou écrire à la main sur une feuille blanche.
Dans ce parcours, quels sont les médias qui vous ont marqué ?
Difficile de répondre à cette question car j’ai travaillé et je travaille encore avec beaucoup d’organes et d’agences de presse qui ont chacun leur particularité. Chacun de ces médias m’ont marqué en leur manière. Et surtout qu’on n’a pas le même ressenti voire la même sensation au début de sa carrière qu’à une certaine maturité. J’ai pu jouir du respect et de la considération à tous les niveaux.
Quelles étaient vos difficultés à l’époque en tant que journaliste?
Je ne peux pas mentionner de difficultés en tant que telles parce que, pour moi, il s’agissait plutôt d’épreuves à surmonter sur le parcours de formation. Au début, le manque de moyens de locomotion m’a beaucoup éprouvé. Je me déplaçais dans les «Duruni» et «Sotrama» (transport en commun). Et souvent, on pouvait faire de longs trajets entre un arrêt et le lieu de rendez-vous. Sans compter qu’on rédigeait à la main. Il fallait souvent tout reprendre quand on était pas satisfait… Et il faut imaginer si on devait rédiger deux à trois articles comme cela m’arrivait fréquemment.
Vous êtes aussi un CESTIEN, quel souvenir gardez-vous de cette prestigieuse école de formation en journalisme basée au Sénégal ?
Une école prestigieuse qui a su s’adapter à l’évolution de la profession à tous les niveaux. Je suis fier d’avoir été formé au CESTI par des professeurs qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour faire de moi ce que je suis devenu aujourd’hui.
Que représente pour vous le journalisme ?
Une passion ! Une arme pour aider mon pays, pour défendre des causes nobles comme la revalorisation de la culture malienne voire africaine ; la reconquête de l’identité africaine ; l’autonomisation de la femme ; la protection de l’environnement… J’ai travaillé au Ministère de la Jeunesse et des Sports de 2007 à 2014 comme Chargé de Mission-Communication. Et depuis, j’ai fréquemment des propositions pour occuper de nouvelles responsabilités. Mais, jusque-là, j’ai décliné toutes ses offres parce que je ne me sens mieux qu’avec ma plume. Et j’ai l’habitude de dire que c’est avec ma plume que je me sens le plus utile à mon pays.
Qu’est ce qui a changé dans la pratique du journalisme de votre époque à maintenant ?
Beaucoup de choses. La profession est en perte de vitesse au Mali parce qu’exercée de nos jours par n’importe qui. L’éthique et la déontologie sont sacrifiées au quotidien pour le profit, l’argent. Les jeunes ne se forment plus parce qu’ils viennent dans la presse pour les avantages financiers et matériels. Notre génération comme les précédentes ont épousé ce métier par passion. Aujourd’hui, on devient de plus en plus journaliste par intérêt.
Quelles sont vos distinctions les plus marquantes ?
La meilleure des distinctions, c’est la reconnaissance et le respect de ses confrères, des lecteurs. Quand des gens respectables vous appellent pour saluer votre «courage» et votre «professionnalisme», je pense que cela vaut toutes les médailles. Cela dit, j’ai remporté de nombreux prix de «Meilleur journaliste», «Meilleur article»… et j’ai reçu de nombreux trophées et diplômes de reconnaissance du début de ma carrière à nos jours. Mais, franchement, je ne suis pas impressionné par la reconnaissance matérielle et financière. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, j’ai rarement été à l’abri du besoin. La preuve est que je vis toujours à l’étroit en location. Le respect et l’estime constituent les meilleures récompenses auxquelles j’ai toujours aspiré.
-Comment voyez-vous le journalisme à l’heure des réseaux sociaux, des fake news et du journalisme mobile ?
Il s’agit d’un environnement concurrentiel très difficile pour les vrais professionnels. Avec ces nouvelles technologies, tout le monde s’improvise journaliste. On balance n’importe quoi sans aucun recoupement. Et comme les gens aiment le sensationnel, difficile de soutenir la concurrence si l’on veut rester un bon journaliste, c’est-à-dire à cheval sur l’éthique et la déontologie.
N’empêche que l’évolution technologique offre aussi aux professionnels des avantages indéniables, notamment en termes d’équipements professionnels, de gain de temps et d’argent, d’accès à l’information… Les réseaux sociaux permettent par exemple d’avoir des avis divers (divergents ou convergents) sur une question d’actualité, un résultat sportif, un événement culturel…
En termes d’équipements, il est presque révolu le temps des dictaphones. Et les techniciens ne sont plus condamnés à se «fouler» les épaules pour transporter à longueur de journées des lourds nagras ou des caméras pesant des kilos. Tout est miniaturisé. Depuis le début de la pandémie du Covid-19, je fais fréquemment mes entretiens par téléphone, sur Messenger ou WhatsApp… Autant d’avantages (la liste est loin d’être exhaustive) qui ont un effet positif sur la qualité des productions, notamment au niveau de la radio et de la télévision.
Un conseil n’est précieux que si celui à qui il est donné y prête une oreille attentive. J’ai l’habitude de dire à mes jeunes stagiaires que la formation est la meilleure arme pour mieux profiter d’une profession. Si on veut être meilleur, il faut accepter de se former. Et pour un journaliste, cette formation ne prend jamais fin, surtout que la technologie et notre environnement socioéconomique évoluent à la vitesse de l’éclair. Les journalistes vivent et exercent dans des conditions financières très difficiles parce que, ici au Mali, les rédactions n’ont pas assez de moyens pour mieux les payer et leur assurer les meilleures conditions de travail. Ce qui fait que la tentation de déviation est forte. Difficile de ne pas se laisser manipuler. Mais, je dis aux jeunes que celui qui cherche à te manipuler n’a aucun respect pour toi. Il cherche juste à se servir de toi. Et il n’aura jamais confiance en toi parce qu’il va toujours se dire : Si je parviens à le manipuler, ceux qui lui donneront plus que moi pourront aussi le retourner contre moi !
Quels conseils donnez-vous aux jeunes journalistes ?
Comme l’a dit Justin Janin, «Le journalisme mène à tout à condition d’en sortir» ! J’ajouterais : à condition d’être aussi un grand professionnel !
Propos recueillis par
Oumou Seydou Traoré
Source : Le Matin