C’est sans doute l’un des plus anciens arts divinatoires au monde. Pratiqués dans toutes l’Afrique de l’ouest, les cauris sont ces coquillages qui disent l’avenir au voyant, à la voyante. Installée dans les Hautes-Pyrénées, Aoua est l’héritière d’une longue tradition familiale.
Elle vit non loin de Tarbes. Une maison discrète dont l’ocre peut rappeler son pays, le Mali. Va-et-vient de toutes celles et ceux qui discrètement la consultent… Parfois, une Ferrari rutilante se gare devant chez elle. Une dame en descend et lui fait la bise avec effusion. Mais parfois aussi, c’est elle qui voyage en première classe, direction l’Afrique, à l’invitation de ses clients. «La preuve que les gens sont contents de mes prédictions», sourit-elle.
Elle ? C’est Aoua. «Aoua Dilika, Dilika étant le nom que j’ai choisi pour exercer la voyance», explique-t-elle. Car «Dilika», «ça veut dire «la prémonitrice» dans ma langue, en bambara». Un gri-gri accroché au-dessus de la porte de la cuisine, «pour contrer les éventuelles mauvaises pensées des visiteurs», deux cicatrices discrètes sur chaque tempe, «parce qu’on est Peul du côté de mon père» le don, lui, «il vient du côté maternel, de mon arrière-grand-mère et de ma grand-mère», précise Aoua, posant sur la table un tapis soigneusement plié.
«Mon arrière-grand-mère voyait, elle avait des flashs et ne se trompait pas. Ma grand-mère maternelle qui m’a élevée, elle, faisait les cauris, mais que pour nous, pas pour les gens et j’ai beaucoup appris d’elle», se souvient Aoua.
Et dans ses coquillages, justement… elle avait même vu que plus tard Aoua épouserait un Français, «un blanc». «Elle m’a donné des détails sur sa famille et c’était vrai. J’avais 17 ans et à l’époque, je n’y croyais pas. Mais elle a dit plein d’autres choses qui se sont vérifiées pour mes copines aussi… Moi, j’avais également des flashs depuis l’enfance, mais tout ça me faisait plutôt peur quand j’étais jeune.»
Cependant un jour, désormais mariée en Bigorre, curiosité ou nostalgie… elle s’est mise à faire les cauris, «comme ça, pour les amies». Et «ça marchait tellement bien pour elles, mes prédictions, qu’elles m’ont poussée à m’installer officiellement». Ce qu’elle a donc fait dans les règles, il y a onze ans.
Sur la table de la cuisine, elle déplie maintenant le tapis. Et sort ses «outils de travail», dit-elle avec un sourire respectueux. Petit rectangle en peau de léopard, «contre les mauvaises ondes», miroir «pour protéger du mauvais œil», mais aussi bâtonnet de bois, encens et petit flacon… «Avant toute consultation, il y a un rite de purification avec l’encens et cette potion spéciale que je rapporte du pays», précise Aoua. Et puis il y a la ceinture «pour les génies de protection», explique-t-elle en la nouant autour de sa taille.
Car les cauris, ce n‘est pas seulement lancer ces dix-sept porcelaines blanc-beige qu’elle sort de leur sac plastique, ni déchiffrer ce que disent leurs formes féminines ou l’alphabet de leur structure hélicoïdale que révèle la coquille ouverte. C’est être, depuis des siècles, depuis les empires disparus d’Afrique de l’ouest, du Mali, du Songhaï, du Ghana, l’intercesseur entre deux mondes. Celui de l’ombre, des esprits protecteurs de la famille qui se transmettent de génération en génération, mais «qu’il est interdit de nommer». Et celui des vivants en quête de réponses, de consolation et surtout d’un baume immémorial apaisant toutes les plaies : «l’amour».
L’amour, question prioritaire
«L’amour, c’est ce que veulent d’abord savoir les gens, puis viennent la santé, le boulot. En fait, moi, je leur dresse un état des lieux, un bilan de leur vie, ce qui va bien, ce qui ne va pas, ce qui ira mieux», explique Aoua. Car si les gens ont peur des mauvaises nouvelles, comme ça arrive parfois… «je ne leur dirai que le bon», résume-t-elle.
Elle pioche quatre cauris pour le consultant, y ajoute la pièce de monnaie qu’il doit prêter. Elle croque une éclisse de bois, la mâche, pose la question du client aux coquillages. Puis lance les autres. Sur le tapis, les petites porcelaines forment leur aléatoire figure dictée par le destin, premier tableau de la consultation qui s’affinera de jet en jet, durant une demi-heure, une heure. «Et chacun est un symbole qu’il faut savoir interpréter».
Facile ? Le maniement d’un rituel complexe, plutôt, toujours en lien avec le pays. Savoir se protéger, ne pas endosser le mal des gens, respecter les génies : préoccupations constantes de la voyante… «Au début, ça me prenait pas mal d’énergie, ça me provoquait des migraines, je dormais mal aussi… Maintenant, ça va et là-bas, j’ai quelqu’un qui m’aide et me protège», explique Aoua. Qui tous les étés retourne donc au Mali, «indispensable pour m’y ressourcer», conclut-elle.
« Dilika, ça veut dire la «prémonitrice» dans ma langue, en bambara»
source : ladepeche