Le double coup d’État militaire et l’influence grandissante de Moscou dans le pays font monter le ton entre Paris et Bamako.
Il faut y voir une étape de plus dans le bras de fer que se livrent depuis quelques semaines Paris et Bamako. Mardi, l’ambassadeur de France au Mali a été convoqué au ministère des Affaires étrangères après une sortie du président Emmanuel Macron à l’encontre de la junte militaire au pouvoir pour «inviter» «les autorités françaises à la retenue, en évitant des jugements de valeur».
Dans un communiqué, les autorités maliennes fustigent des «propos inamicaux et désobligeants» et expriment une «vive protestation contre ces propos regrettables».
Une convocation «sans surprise», selon un diplomate africain, qui montre la dégradation des relations entre les deux anciens meilleurs alliés. Au cœur des tensions se trouve le double coup d’état qui a porté le colonel Goïta au pouvoir et l’influence grandissante de Moscou avec les rumeurs de contrat avec la société militaire privée russe Wagner. Jean-Yves Le Drian affirme, mi-septembre que la présence de mercenaires est «absolument inconciliable avec notre présence (…) au Mali». La joute verbale continue dans les jours suivants, Bamako accusant Paris «d’ingérence».
Puis, le 25 septembre, à la tribune de l’ONU, le premier ministre Choguel Maïga qualifie le redéploiement des troupes françaises de Barkhane «d’abandon en plein vol», puis dans la foulée accuse la France ne pas tenir les engagements pris par François Hollande. Les mots, qui arrivent juste après la mort d’un caporal français au Mali, 52e victime tombée au Sahel, sont particulièrement mal pris à Paris.
Réduction d’effectifs
Florence Parly, la ministre des Armées, prend alors la parole et dénonce «des contre-vérités», «des déclarations inacceptables, indécentes» qui reviennent «à s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français». Le Quai d’Orsay, tout en tentant d’apaiser les choses, monte aussi au créneau.
Mais le président français garde le silence. Le 30 septembre, en marge d’un dîner clôturant la saison Africa 2020, Emmanuel Macron prend finalement la parole et se montre particulièrement véhément. À RFI, le chef de l’État assure que le discours de Choguel Maïga est «inadmissible». «C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement». Emmanuel Macron va encore plus loin, remettant en question la légitimité du premier ministre «démocratiquement nulle» car reposant sur un double coup d’État. Il dit «ne rien en attendre» sinon l’organisation rapide d’élections.
Le président français ne dit rien, du moins pour l’instant, concernant Barkhane. L’évolution du dispositif, décidé lors du sommet de N’Djamena en février dernier, mais annoncé seulement à l’été n’évolue pas.
Au Sahel, où elle intervient militairement depuis 2013 contre les groupes djihadistes, la France a entrepris de réorganiser ses troupes, avec une réduction de ses effectifs d’ici à 2023 à environ 3000 hommes, contre plus de 5000 aujourd’hui. «Cette montée de tension ne peut pas être comprise sans prendre en compte en double contexte électoral, souligne le diplomate. À Bamako, la junte tente de manière manifeste de trouver des marges pour repousser le scrutin censé se tenir fin février et à Paris, Macron, qui vise un deuxième mandat, ne peut tolérer la remise en cause des coûteux efforts au Sahel.»