Suite à l’invasion de l’Ukraine débutée jeudi dernier, la Russie se retrouve isolée sur la planète sport. Entre l’exclusion du Mondial de football, le bannissement recommandé par le CIO des sportifs russes de toutes les compétitions ou encore les sponsors russes qui voient leurs contrats cassés, le phénomène est massif. Cela peut sembler dérisoire étant donné la situation en Ukraine. Cependant, le sport a une place à part en Russie. Comment cela s’est mis en place ?
Lukas Aubin : “Depuis 1917, le sport a toujours été un enjeu majeur à la fois pour l’URSS et la Russie. Mais dans les années 90, le sport russe s’est effondré suite à la chute de l’URSS en 1991. Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine, qui est lui-même un enfant de l’époque soviétique et répète qu’il a réussi à commencer à s’en sortir grâce au judo notamment, a alors essayé de construire un système politico-économico-sportif très performant, c’est ce que j’appelle la ‘sportocratura’ dans mon livre. C’est-à-dire qu’il a utilisé tous ses réseaux politiques et économiques habituels et les a transposés dans le sport pour le contrôler tout en le rendant très efficace. Ce qui a très bien fonctionné, le sport russe se retrouvant sur le devant de la scène régulièrement ces dernières années avec notamment l’organisation de grands événements sportifs.”
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ÉVÉNEMENTS ANNULÉS, SÉLECTIONS EXCLUES, BANNIÈRE NEUTRE… QUI A DÉCIDÉ QUOI CONTRE LA RUSSIE ?
Quel était le but premier de Poutine avec cette politique du sport ?
L.A : “La Russie a cherché à investir le sport mondial pour tenter d’améliorer son influence dans le monde, ce n’était ainsi pas anodin d’avoir Gazprom comme sponsor de la Ligue des champions.”
Etes-vous surpris par l’ampleur des décisions prises par les différentes institutions sportives planétaires ?
L.A : “Pour moi, c’est un moment charnière dans l’histoire du mouvement sportif mondial car on voit les plus grandes institutions qui se disaient apolitiques ou neutres prendre des décisions politiques dans un contexte dramatique. J’ai cherché des précédents dans l’histoire et il y en a peu. On pourrait citer la Yougoslavie et l’Afrique du Sud avec l’Apartheid ou encore les pays qui ont perdu la première guerre mondiale. Mais rien n’est comparable car là, on parle d’une des premières puissances du sport de la planète.”
A partir de ce constat, en quoi la mise à l’écart de la Russie du monde sportif n’a rien d’anodin pour un pays comme celui-ci et son président Vladimir Poutine ?
LA : “On peut imaginer l’impact que cette exclusion du sport mondial peut avoir sur la personne de Vladimir Poutine. Même si actuellement, c’est le cadet de ses soucis, ça doit évidemment le toucher dans une certaine mesure car il a fait du sport un élément essentiel de son pouvoir. Mais l’enjeu se joue à mon avis plus au niveau de la société civile. Le sport est un fait social total, c’est-à-dire que ça touche l’ensemble des populations du monde entier qu’on le veuille ou non. Alors même si la machine médiatique russe est relativement opaque et contrôlée par le pouvoir, la population russe et les sportifs vont évidemment être au courant de ce qui se passe. Ils vont forcément voir que leur équipe de football n’est pas présente au Mondial 2022 par exemple. La question qui va se poser alors, c’est comment la population et les sportifs vont réagir à cela.”
Justement que peut-on imaginer dans cette Russie de Poutine, où manifester peut-être synonyme de prison ? Est-ce que cela peut avoir un vrai impact ?
L.A : “C’est pour le moment difficile à dire. Mais je vois deux possibilités. La première : la population va se ranger derrière son président. C’est la possibilité la plus classique mais pas la plus évidente. La deuxième possibilité est que cela cristalliserait une forme de contestation en Russie. D’abord via les sportifs qui ont déjà commencé à se manifester contre la guerre ces derniers jours (ndlr : Daniil Medvedev ou Andrey Rublev). Ce qui est complètement nouveau en Russie et très important à prendre en compte. Cette mobilisation des sportifs va probablement se répercuter sur la population et donner du courage à ceux qui sont déjà en train de manifester. Il y a quand même eu plus des manifestations dans plus de 95 villes différentes. C’est énorme, même si on ne connaît pas le nombre exact de manifestants. Cependant, on sait qu’il y a eu 6000 arrestations, ce qui donne une idée de l’ampleur de la contestation. Il se passe donc quelque chose, même s’il est trop tôt pour savoir si cela va être important ou pas.”
Source: eurosport