Le 14 Juillet, c’est son jour à elle aussi ! Si le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, est le chef des Armées, c’est à sa ministre, Florence Parly, qu’il revient de mettre en musique sa politique au quotidien, et de gérer un monde militaire plus sollicité que jamais… et avec lequel les relations étaient mal parties en 2017, suite à la démission fracassante du chef d’état-major d’alors, le général de Villiers.
Sur l’avancée des ambitions européennes de la France, sur la guerre secrète et vitale de l’espace, sur les dangers persistants de Daech au Levant et de l’enlisement au Sahel, sur les ventes d’armes controversées de la France, la ministre des Armées se livre.
L’EUROPE ET LA DÉFENSE
Il y a un an, le président a lancé une Initiative européenne d’intervention (IEI). L’Europe de la défense existe, aujourd’hui ?
FLORENCE PARLY. L’Europe de la Défense avance, avec des Etats qui ont des capacités militaires avérées ainsi que la volonté politique de s’en servir. Nous sommes dix réunis aujourd’hui, à vouloir donner une impulsion politique. Ces questions sont apparues il y a vingt ans, mais avaient connu peu de progrès. On est en train de passer à la vitesse supérieure.
Concrètement, à quoi cela ressemble-t-il ?
L’IEI, c’est dix pays qui sont d’accord pour être prêts, en cas de crise, à y répondre ensemble et qui, pour le faire bien, rapprochent leurs états-majors et partagent leurs analyses, leurs capacités d’anticipation et leurs savoir-faire. Cela couvre un spectre large de situations, comme porter secours à des victimes de catastrophes naturelles pour le volet humanitaire, ou évacuer des ressortissants, et des scénarios plus exigeants sur le plan militaire.
Par exemple ?
Lorsque nous sommes obligés d’intervenir, comme nous l’avons fait au Mali en 2013, plutôt que de dire on part et on verraqui sont les Européens qui peuvent nous rejoindre, soyons préparés à l’idée que certains seraient prêts à le faire d’entrée de jeu avec nous… à condition d’être informés et de comprendre à l’avance nos intentions ! Et l’inverse est vrai pour des situations dans lesquelles d’autres pays européens nous demanderaient d’intervenir. L’IEI, nous l’avons lancée politiquement. Les états-majors travaillent ensemble depuis plusieurs mois. En septembre, nous aurons une deuxième réunion au niveau ministériel aux Pays-Bas. Ce 14 Juillet est le bon moment pour montrer que la France travaille avec ses partenaires européens.
Les Européens peuvent-ils rejoindre l’opération Barkhane, au Sahel ?
C’est déjà le cas ! Les Espagnols et les Allemands forment les forces armées maliennes, les Britanniques ont engagé des moyens aériens, des hélicoptères lourds qui font du transport logistique. Pour prendre leur relais, les Danois nous rejoindront avec des hélicoptères Merlin. Il y a aussi des Estoniens qui assurent la protection de la base de Gao, au Mali.
Mais aucun ne mobilise d’unités combattantes…
Pas encore, mais le soutien, la protection, c’est une partie du combat. Si l’opération Barkhane ne bénéficiait pas de tout ce soutien, notre action serait beaucoup plus compliquée. Nous travaillons aussi à rassembler des Européens volontaires pour mettre ensemble des Forces spéciales dans le Sahel.
Un conflit avec la Russie fait-il partie des scénarios étudiés ?
Cela ne fait pas partie des scénarios étudiés dans ce cadre.
Quand les choses sont sérieuses, il vaut mieux les Américains que les Européens, disent nombre de pays européens…
C’est un sujet de débat assez vif avec les Etats-Unis. Quand l’Europe de la Défense monte en puissance, certains trouvent que c’est formidable, d’autres sont plus dubitatifs. Le parapluie américain a été totalement structurant, et le demeure. Loin de nous l’idée que faire monter en puissance l’Europe de la défense est une remise en cause de la force de l’alliance atlantique. L’OTAN reste le pilier sur lequel repose la sécurité en Europe.
Même avec Donald Trump ?
Le président Trump a été un excellent ambassadeur pour l’Europe de la Défense. Les interrogations voire les menaces à peine voilées qu’il a pu exprimer vis-à-vis du continent européen ou sur la pérennité de l’engagement américain ont accéléré le processus de constitution de cette Europe de la Défense. Nous avons intérêt à être beaucoup plus solidaires. Cela incite les Européens à investir plus en faveur de leur propre défense, à travers leurs budgets nationaux. Les statistiques de l’OTAN montrent une croissance de 3 à 4 % par an du budget, tous Etats confondus, au sein de l’Alliance atlantique. Tout ce que les Européens font entre eux est une contribution de l’Europe à l’Alliance atlantique.
Des Européens sont inquiets de la menace russe. L’Estonie, la Suède… Une confrontation avec la Russie fait partie de leur scénario.
Nous entendons leurs préoccupations. L’Estonie vient nous exprimer sa solidarité au Sahel. Nous sommes déployés sur la frontière des pays baltes dans le cadre de l’opération Enhanced Forward presence (OTAN) aux côtés des Britanniques… Il faut que nous acceptions de prendre en compte les différents défis de sécurité qui concernent les Européens.
Dix pays font partie de l’IEI. D’autres se sont-ils manifestés pour vous rejoindre ?
Sûrement. Deux autres pays sont actuellement candidats, la Suède et la Norvège. Un pays qui n’a pas voulu rentrer le regrette aujourd’hui.
Lequel ?
Joker !
Allez-vous construire des matériels en commun ? Lesquels en priorité ?
Nous avons lancé le projet d’Eurodrone. Quatre pays sont impliqués : la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Et le système de combat aérien du futur, c’est-à-dire un avion de chasse capable de prendre le relais du Rafale, doté d’un système de connectivité avec plusieurs avions ou drones pour supplanter les défenses adverses. C’est un projet franco-allemand et depuis peu espagnol dont la première pierre symbolique a été posée au salon du Bourget il y a quelques jours. De même, au niveau terrestre, les blindés Griffon, des véhicules connectés entre eux permettant d’avoir une compréhension tactique en temps réel du théâtre, vont changer le combat de demain. Ces révolutions commencent tout juste et les Français pourront découvrir les Griffon lors du défilé sur le Champs Elysées.
Qui sera leader ?
La France pour le système de combat aérien du futur, l’Allemagne pour le char de combat du futur.
Ces projets se passeront mieux que l’A400 M, l’avion de transport ?
C’est l’objectif ! L’A400M, c’est un excellent avion, mais en termes de conduite de programme d’armement, c’est le chiffon rouge, l’exemple à ne pas reproduire. Nous n’avons toujours pas toutes les fonctionnalités attendues… même si c’est pour bientôt.
Quand Macron parlait de « véritable armée européenne », c’est au schéma que vous décrivez qu’il faisait référence ou à une vraie armée ?
L’armée européenne, c’est l’ambition.
Réaliste ?
Oui, mais à terme. Tous les projets lancés n’aboutiront pas à l’échelle d’un quinquennat. Il faut construire cette envie de travailler et coopérer, et être capable de mieux analyser les menaces communes auxquelles nous devons faire face.
Quelles sont ces menaces ?
Le risque de prolifération nucléaire est grand, le risque cyber aussi. Les Estoniens ont vécu des attaques cyber redoutables. Ils ont beaucoup à nous apprendre.
D’un point de vue budgétaire, malgré les mesures d’urgence post-Gilets jaunes, on est dans la bonne trajectoire ?
Le Président l’a dit très clairement hier à Cherbourg : les engagements pris seront tenus. Reconstituer l’outil et le préparer pour les guerres du futur, c’est le cœur de notre loi de programmation militaire.
La défense a souvent été la variable d’ajustement…
Cela s’est passé pendant vingt ans. Il faut que ça s’arrête.
LA GUERRE DE L’ESPACE
Le champ de l’armée de l’air a été étendu à l’espace. Pourquoi ?
L’espace est devenu lui aussi un espace de conflictualité entre des puissances qui ont des satellites. Environ 1 500 satellites tournent autour de la terre, civils ou militaires. S’ils sont détournés de leur trajectoire ou perturbés, ils peuvent compromettre le fonctionnement des sociétés modernes ou des opérations militaires. Aujourd’hui, même au Sahel, théâtre où il n’y a pas d’antenne 4G tous les cinq mètres, nos militaires opèrent grâce aux satellites pour leur communication ou leur géolocalisation. Le jour où le satellite se coupe, ils reviennent à la boussole !
C’est un risque ?
Nous avons été victimes d’une opération inamicale avec un satellite qui s’est approché d’un de nos satellites militaires. Nous l’avons paré. Il y a des tentatives qui peuvent consister à observer, espionner, détourner ou détruire les satellites.
D’où venait cette « opération inamicale » ?
D’un satellite russe. Nous l’avons vu arriver et nous avons fait ce qu’il fallait pour que le nôtre ne soit pas compromis. Nous avons prévu de renouveler toute notre capacité satellitaire dans les sept prochaines années. Nos moyens spatiaux sont importants, mais disséminés dans les armées. L’objectif est de regrouper tout le monde à Toulouse pour conduire nos capacités spatiales où nous pourrons développer nos capacités de pilotage des satellites. Le spatial est une priorité, nous avons besoin d’être plus efficaces. Nous avons compris que l’espace n’est plus simplement un bien commun au service du progrès technologique humain, c’est aussi un espace disputé, contesté, et la sécurité de nos sociétés et de nos opérations militaires exige de renforcer notre vigilance. C’est pourquoi le président de la République a annoncé ce samedi la création d’un grand commandement de l’espace le 1er septembre prochain. Ce commandement sera rattaché à l’armée de l’air qui deviendra, à terme, l’armée de l’air et de l’espace.
DAECH, LE MALI, LA LIBYE
Des cellules de Daech se reconstituent en Syrie comme en Irak. Quel est l’état de ce groupe terroriste ?
Il n’y a plus de califat territorial, mais Daech est toujours là. La France ne baisse pas la garde. Daech s’est réorganisé, il y a des cellules dormantes qui, dans certaines zones, réapparaissent. Des populations sont à nouveau sous leur contrôle. Des champs de culture sont incendiés. Il est hors de question de considérer que le travail est terminé. Nous continuons de faire du renseignement et des frappes.
Combien sont-ils ?
Plusieurs milliers. Beaucoup ont été neutralisés, mais ils conservent leur capacité de recrutement. Il y a encore plusieurs centaines de djihadistes français au Levant.
Sait-on si des attentats ciblant la France sont encore planifiés ?
Beaucoup d’attentats sont déjoués. Leur capacité d’organiser des attentats à distance est moins forte qu’il y a trois ou quatre ans mais il ne faut pas sous-estimer leur capacité à mobiliser des acteurs endogènes. Le niveau de menace reste très élevé.
Le retour de ces combattants est surveillé de près…
Nous considérons que ceux qui ont été attrapés, détenus et retenus doivent être jugés là où ils ont commis leurs crimes.
Et ceux qui sont condamnés à mort ?
La France est opposée à la peine de mort et nous n’avons jamais fait le moindre compromis sur cette question. Nous intervenons à chaque fois pour commuer la peine. Nous leur procurons une assistance consulaire pendant la période du procès, et faisons tout notre possible pour que la peine de mort, si elle est prononcée, ne soit pas exécutée.
En Libye, quelle est l’action de la France ?
Daech profite d’une situation chaotique en Libye. La France n’est pas partie prenante militairement. En revanche, elle est très active sur le terrain diplomatique. Il peut y avoir des forces dont l’objectif est de faire du renseignement. Je ne vais pas en parler. Nous ne sommes pas partie prenante sur le plan militaire.
Il y a donc des forces françaises sur place ?
Ce sont des opérations destinées à rester confidentielles. Je n’en parlerai pas davantage.
Comment expliquez-vous la présence de missiles français aux mains du maréchal Haftar ?
Ces missiles, de fabrication américaine, appartiennent aux armées françaises. Ils étaient destinés à assurer la protection d’un groupe qui faisait du renseignement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ces missiles étaient endommagés, hors d’usage et avaient vocation à être détruits. Et en aucun cas transférés à un belligérant sur le terrain.
Dans le Sahel, Barkhane, dure depuis six ans et demi. Pour longtemps encore ?
La lutte contre le terrorisme est un travail de très longue haleine. Il menace très directement des intérêts français nombreux dans la région. Ce que nous faisons au Sahel, c’est d’accompagner les forces de sécurité locales à prendre en charge leur sécurité. C’est un très grand défi. Ces pays comptent parmi les plus pauvres au monde, leurs forces armées sont engagées, mais pas toujours bien équipées. Le territoire est gigantesque, grand comme l’Europe. C’est un combat asymétrique. Les terroristes locaux sont dans l’esquive, ne cherchent pas la confrontation directe. Ce combat est d’autant plus difficile à mener que les institutions ont souvent déserté et que la situation économique est extrêmement difficile pour les populations. Celles-ci peuvent trouver des avantages à fréquenter les terroristes qui sont aussi trafiquants pour percevoir les miettes de leurs trafics.
Pourquoi la situation ne s’améliore pas ?
Il faut que notre présence militaire soit accompagnée d’initiatives politiques qui, côté malien notamment, tardent un peu à se concrétiser. Il faut remettre des gouverneurs, des fonctionnaires dans des zones désertées, faire un travail d’inclusion des ex-rebelles au sein des forces régulières. Il faut que le gouvernement malien s’y engage résolument et sans délai.
La présence de la France ne nourrit-elle pas un certain terrorisme ?
Ce n’est pas la première fois en Afrique qu’une présence étrangère est instrumentalisée. Je veille à ce que nous ne le soyons pas dans des conflits qui n’ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.
LES VENTES D’ARMES
Sur les ventes d’armes, vous êtes droite dans vos bottes ?
Notre processus d’examen des autorisations d’exportation est d’une grande rigueur. Il n’y a que ceux qui ne font rien qui sont droit dans leurs bottes.
Mais sur le plan moral ?
J’entends les polémiques et les débats. Confronter des points de vue, c’est normal. Quand on vend des armes, c’est avec la perspective éventuelle d’avoir à s’en servir un jour. Mais il est important que les Français sachent que nous avons des dispositifs extrêmement rigoureux et une politique d’exportation responsable.
Est-il normal de convoquer à la DGSI des journalistes qui enquêtent sur ces sujets ?
Il y a différents types de lois. Celles qui sont faites pour protéger le secret des sources. Et celles qui sont faites pour protéger le secret de la défense nationale. J’accorde une importance cardinale et égale à ces deux principes qui garantissent une démocratie saine. Par ailleurs, ce n’est pas le gouvernement qui convoque des journalistes ! La DGSI mène l’enquête sous l’autorité du Parquet de Paris.
Pourquoi François Hollande n’a pas été convoqué ? Il a divulgué des secret-défense, révélés dans l’ouvrage « Un président ne devrait pas dire ça ».
Par Ava Djamshidi et Henri Vernet
Le Parisien