Régulièrement abattus et rarement remplacés, ces arbres géants qui rafraîchissaient les grandes artères de nos villes de leur ombre agréable, disparaissent peu à peu du paysage urbain
Majestueux, le caïlcédrat domine le paysage à bien des endroits sur le boulevard qui mène à la colline de Koulouba. De la place de la liberté au Parc national, l’ombre de ces arbres géants se répand sur les usagers de la route et leur fait oublier la canicule qui écrase souvent la capitale.
Arbre de haute taille, le caïlcédrat dépasse généralement la trentaine de mètres. Son tronc mesure facilement plus de deux mètres de diamètre. C’est une espèce de la famille des méliacées qui présente une écorce grisâtre généralement écaillée avec un feuillage disposé à l’extrémité des rameaux et des feuilles alternées de teinte grise à verte.
Le caïlcédrat est un arbre originaire d’Afrique qui pousse spontanément. On en retrouve au Sénégal, au Bénin et au Burkina Faso, ainsi qu’au Cameroun et dans de nombreux pays de ce continent, mais aussi en Australie.
Arbre « chouchou » du colonisateur français, les caïlcédrats ont été plantés un peu partout dans notre pays. On peut les admirer sur la route du gouvernorat à Mopti ou encore au bord du fleuve à Diré, dans la région de Tombouctou. A l’entrée de la plupart des agglomérations du pays, ces arbres formaient une haie ombragée comme pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs.
Le directeur régional des Eaux et Forêts, Ousmane Sidibé confirme que l’introduction de cette espèce végétale dans notre paysage remonte à la période coloniale. « Partout où le colon est passé, il a planté ces arbres», souligne le spécialiste.
Dans les années 60, il y en avait en quantité à travers le pays. Jusque dans les années 90, les caïlcédrats étaient les arbres qui symbolisaient la présence d’une agglomération dans notre pays. « On les trouvait partout, avec de jolis ombrages. Mais aujourd’hui, ces géants disparaissent peu à peu du paysage tel une peau de chagrin », déplore, nostalgique, l’instituteur Moustapha Touré, un habitant de la capitale.
Depuis quelques années, des campagnes d’abattage des caïlcédrats sont organisées par les services spécialisés durant la saison des pluies. Ces actions en tendance à faire disparaître ces arbres géants du panorama urbain de la capitale. Il existe cependant quelques « poches de résistance ». Mais pour combien de temps encore ? Pour le bonheur de ses défenseurs, le caïlcédrat est toujours visible vers le 1er arrondissement en allant vers Missira et à Medina Coura dans la zone de l’ECICA. C’est sur la route de Koulouba que l’on retrouve la plus importante concentration de caïlcédrats de la capitale. Quelques pieds tiennent encore debout au Quartier du fleuve, du côté de la Base militaire, de Bolibana, à l’Hippodrome et à Quinzambougou.
L’enseignant Moustapha Touré dénonce l’abattage des arbres et met en avant le fait que le caïlcédrat est lié à l’histoire de la ville des trois caïmans. Le directeur régional des Eaux et Forêts explique que ce n’est pas de gaieté de cœur que ses services abattent les arbres. Les campagnes d’abattage des caïlcédrats répondent à un souci de sécurité, précise Ousmane Sidibé qui avance des arguments techniques. « Cette espèce d’arbre perd sa racine principale au bout de 50 ans d’existence. Le poids est dès lors supporté par des racines secondaires qui finissent par céder et l’arbre s’écroule ». C’est ce qui explique, dit-il, les nombreuses chutes de caïlcédrat, occasionnant des dégâts matériels et même des pertes en vies humaines. L’ingénieur des Eaux et Forêts note que les caïlcédrats, naturellement vulnérables quand ils prennent de l’âge, sont exposés désormais aux vents violents qui soufflent du fait de la déforestation. « C’est ce qui nous oblige à intervenir en abattant les pieds menaçant la sécurité des populations », souligne notre interlocuteur.
ARBRE AUX MILLE VERTUS. Sur instruction du Premier ministre, un projet d’abattage est ainsi en cours. A la différence des campagnes antérieures du genre, le remplacement des pieds abattus est prévu. Mieux, la direction régionale des Eaux et Forêts a dans ses tiroirs un grand projet de sauvetage de l’espèce. Mais le financement ne suit pas les initiatives. Au total, 83 pieds de caïlcédrats sont à abattre cette année et seront remplacés, assure le technicien qui ajoute que 47 autres pieds sont à élaguer. Pour cela, les Eaux et Forêts ont besoin d’un financement d’environ 7 millions de Fcfa. Selon le responsable de la conservation de la nature de Bamako, la solution est de prendre politiquement en charge cette question afin d’apporter des solutions durables. « L’État mettait les moyens pour élaguer les arbres. Ce n’est plus le cas », déplore Ousmane Sidibé.
Le directeur régional des Eaux et Forêts précise que ses activités se concentrent aussi sur la forêt de Koulouba, classée depuis 1935. L’objectif du colonisateur était de créer un poumon vert pour protéger la ville de Bamako des éboulements et des inondations. Ce réservoir d’oxygène qui doit absorber le gaz à effet de serre, fait malheureusement l’objet d’une occupation anarchique et de spéculation foncière. Le pire, ajoute le technicien, est que ces lotissements ne tiennent pas compte des aspects environnementaux. Sur la colline de Koulouba, une superficie de 8 ha a été reboisée de caïlcédrats cette année.
Le technicien souligne la nécessité de préserver le caïlcédrat en insistant sur sa valeur économique et ses vertus thérapeutiques. Le caïlcédrat est recherché pour sa robustesse par les menuisiers qui achètent à prix d’or son bois afin d’en faire des tables bancs et des pirogues.
Le caïlcédrat est un arbre à mille vertus, confirme le thérapeute Mamadou Dougnon qui révèle qu’il contient des coumarines et bien d’autres composants actifs. Son écorce bien connue pour son goût amer est un remède contre de nombreuses pathologies. Il entre dans la préparation de nombreuses décoctions thérapeutiques de la médecine traditionnelle. Notre thérapeute révèle que l’écorce du caïlcédrat est à la fois un tonifiant, un vermifuge, un abortif, un cicatrisant, un anti diarrhéique. Il permet aussi la désaccoutumance à de nombreuses toxines, précise-t-il ajoutant qu’une macération de son écorce permet de traiter aussi les dermatoses. Sa résine et ses feuilles avec l’écorce sont un traitement du paludisme et de la fièvre, mais aussi de l’ictère, des migraines et de certaines coliques, ainsi que de l’urticaire et de l’anémie. Son fruit soulage les gastrites et la syphilis. Ses graines soignent la fièvre et la gomme extraite de cet arbre est un calmant de la toux.
Le caïlcédrat est utilisé aussi en médecine vétérinaire. Son écorce élimine les parasites intestinaux des bovins, soigne les plaies et soulage les lumbagos des chevaux. Elle réduit les fièvres et son emploi est efficace contre la douve du foie des bovins (un parasite), des ulcères du chameau, des ânes et des chevaux, ainsi que les troubles associées à la diarrhée muqueuse des équidés.
M. CISSE
source : Essor