Dans cette interview, le président du Cercle de réflexion et d’information pour la consolidation de la démocratie (Cri-2002) jette un regard sur plusieurs questions brûlantes de l’actualité : conclusions du Dialogue national inclusif, éventuelle relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation. D’autres sujets, non moins importants, comme la situation sécuritaire du pays, ainsi que la lutte contre la corruption et la délinquance financière n’échappent pas à l’analyse de cet animateur hors pair du landerneau de la société civile
L’Essor : Selon vous, les recommandations et résolutions issues Dialogue national inclusif sont-elles réellement porteuses d’espoir pour une sortie de crise pour notre pays ?
Dr Abdoulaye Sall : Permettez-moi tout d’abord de remercier et de féliciter très chaleureusement l’AMAP et le Quotidien national L’Essor pour l’engagement constant et inébranlable, dans la dynamique de recherches d’informations croisées pour apporter à chaque Malien, à chaque Malienne, bref à l’opinion nationale et internationale, le viatique qu’il faille pour ressourcer le processus et les procédures de la co-construction de la démocratie dans notre pays dans un contexte de crise politico-institutionnelle et sécuritaire aggravée par la prolifération, voire l’essaimage des actes de terrorisme que subissent au quotidien les braves populations de nos hameaux, de nos villages, de nos fractions, de nos frontières avec les Républiques sœurs du Niger, du Burkina Faso, toutes enclavées, toutes appartenant à cet espace, communément appelé « l’Espace sahélien ».
Vous conviendrez avec moi que dans un tel contexte, la conceptualisation, la conception, la préparation et la tenue des concertations maliano-maliennes des communes aux cercles et régions, et au niveau national sous le nom de « réunion au niveau national placée sous la haute présidence du président de la République, chef de l’état » ne peuvent et ne doivent que susciter espérances et espoirs.
Je dis bien « susciter espérances et espoirs ». Espérances au sortir de cette phase du Dialogue national inclusif (DNI) avec des résolutions, de fortes recommandations, d’esquisses de plan d’actions de mise en œuvre, de mécanisme opérationnel de suivi/évaluation, de confiance qui portent à considérer, voire à croire sérieusement que la sortie de crise politico-institutionnelle et sécuritaire tant désirée à portée de mains, est enfin réalisable.
Espoirs par le fait pour les Maliens et les Maliennes, et pour le monde entier qui nous regarde et observe, d’espérer que nous sommes à hauteur, à envergure, et à capacités de résilience, pour prendre en mains, et en charge, notre destin commun, à savoir le passé, le présent, l’avenir et le devenir durable de notre pays. En ma qualité d’acteur d’organisations de la société civile, je suis de ceux qui fondent espérances et espoirs pour notre pays au sortir de cette phase du Dialogue national inclusif. Je dis bien de cette phase du DNI d’autant plus qu’en la matière, et dans ce domaine précis, il y a un avant dialogue, un pendant dialogue et un après dialogue qui est la phase la plus difficile, la plus contraignante, la plus redoutable parce que exigeant de tous, du président de la République, chef de l’état, au citoyen l’ambda, le respect scrupuleux des engagements pris par les uns et les autres pour les uns et les autres.
Ce qui faire dire que la démocratie commençant par le dialogue, vivant par, et grâce, au dialogue, est à la fois désirable » et « redoutable ». Et, nous rentrons de plain-pied dans la phase redoutable, celle de la redevabilité. Face à une telle réalité, et pour s’en sortir, il ne saurait avoir ni de baguette magique, ni de solutions autres, que celle passant par la vertu du dialogue lui-même. Et, le Dialogue national inclusif au rythme duquel vient de vibrer notre pays, ne peut, et ne doit, être par son processus, ses procédures, ses résultats, les attentes, et les engagements solennellement pris, que porteur d’espérances et d’espoirs.
Je m’explique : porteur d’espérances avant le Dialogue, et pendant le Dialogue, marquées par le sentiment profond de confiance à considérer et porteur d’espoirs après le Dialogue avec le champ et les nouveaux espaces d’expressions et d’engagements démocratiques, républicains et patriotiques, ouverts pour l’opérationnalisation des recommandations et résolutions sorties de la réunion au niveau national.
L’Essor : Quelle lecture faites-vous de la conduite des affaires publiques, plus d’un an après la réélection du président de la République ?
Dr Abdoulaye Sall : La République, comme vous le savez, c’est « res publica » la chose publique. En ce sens, elle exige une bonne gestion des ressources publiques, fondée sur le respect et la sauvegarde scrupuleux par l’état et ses agents publics de l’intérêt général au détriment des intérêts privés. à ce titre, les fruits issus de la croissance économique du pays doivent impérativement, et également, être répartis et investis dans les services sociaux de base qu’ils soient immatériels (éducation, culture….) et matériels (santé, accès à l’eau potable, création d’emplois productifs, notamment pour les jeunes et les femmes, habitat….).
La prolifération des frondes sociales actuelles nous invite à interroger, et à s’interroger, sur la question de la conjugaison des fruits de notre croissance économique avec leur utilisation judicieuse pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des populations, notamment des plus vulnérables. Ce qui nous renvoie à mener, non seulement, une lutte implacable pour l’intégrité, la transparence, la lutte contre la corruption et l’impunité, mais aussi, et surtout, à travailler très fortement sur l’émergence et la consolidation de la culture du contrôle citoyen et de la redevabilité dans la conduite des affaires publiques. Sur la question, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 rappelle fort opportunément « la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Qu’en est-il à ce jour ? Ce qui dépasse largement, et amplement, le périmètre de votre questionnement et le plus d’un an après la réélection de l’actuel président de la République, chef de l’état.
L’Essor : étes-vous d’avis que la probable relecture de certains points de l’Accord pour la paix et la réconciliation est une garantie qui donnera une nouvelle impulsion au processus de paix ?
Dr Abdoulaye Sall : Mais oui !!!! C’est dommage que l’on ait donné l’envergure, la hauteur, la stigmatisation, à l’Accord pour la paix de sa signature en 2015 à ce jour qu’il n’a pas. Je l’ai dit, écrit, développé, partagé, pour faire connaître, et faire comprendre, que c’est un Accord POUR la Paix et Non un Accord DE Paix comme c’est le cas en République centre africaine et au Soudan du Sud, Accord signé par les présidents de la République, chefs de l’état de ces pays respectifs. Notre Accord est un accord politique signé entre des frères et sœurs maliens à un moment extrêmement difficile et complexe de notre histoire commune. Certains dans le gouvernement, d’autres ayant déposé les armes.
C’est un Accord du Mali entre Maliens pour le Mali condamné à s’adapter à l’évolution, à la marche de notre pays vers la paix, l’unité et la réconciliation donc, comme le stipule son article 65, à savoir « les dispositions du présent Accord et de ses Annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement express de toutes les parties signataires du présent Accord et après avis du Comité de suivi ».
Pour dire bref, et faire clair, « un accord de mariage » et « un accord pour le mariage » ont-ils le même sens, les mêmes contraintes, les mêmes engagements ? L’accord de mariage, si lui est consommé et authentifié par un acte de mariage, l’accord pour le mariage, lui est énoncé, et annoncé, et sujet de modifications, de rectifications à la lumière de valeurs communes, partagées, et acceptées, pour que le mariage soit merveilleux.
Il reste à identifier, à trouver, et à mandater, des hommes et des femmes à hauteur, et à envergure, de cette mission de haute portée patriotique, humaine, et porteuse d’espérances pour l’opérationnalisation des symboles de l’état, à commencer par la Devise « Un Peuple Un But Une Foi », sur le chantier du développement durable de notre pays.
L’Essor : La situation sécuritaire est assez préoccupante, en particulier dans les Régions de Mopti et Ségou. Quelles sont vos recettes pour juguler cette crise ?
Dr Abdoulaye Sall : Je pense que c’est des recettes maliano-maliennes dont on a besoin. Les miennes, du moins les nôtres, en tant que président du Cercle de réflexion et d’information pour la consolidation de la démocratie (Cri-2002), Contact national de Transparency International et ancien ministre des relations avec les institutions, ont été versées dans les documents, résolutions et recommandations du Dialogue national inclusif tant au niveau des communes, que de ceux des cercles, régions, district, national.
Notre cheval de bataille, à travers un projet que nous pilotons depuis 18 mois avec Transparency International Défense et Sécurité (TIDS) basé à Londres en partenariat avec le ministère de la Défense et des Anciens combattants (MDAC) et le Commissariat du secteur de la sécurité (CSS), est de « développer l’intégrité dans le secteur de la sécurité et de la défense au Mali » en travaillant, entre autres, sur le contrôle civil démocratique du secteur par l’accroissement de la contribution de la société civile à sa gouvernance, la transparence et l’audit du budget, le personnel, la promotion et les chaînes de paiement, l’approvisionnement, le changement de la culture institutionnelle…
L’Essor : L’organisation prochaine d’un sommet à Pau en France entre les présidents des pays du G5 Sahel et leur homologue français pourrait-elle être un tournant dans la lutte contre le terrorisme dans cette région ?
Dr Abdoulaye Sall : à ce sujet, il faut retenir que le Sahel est un espace continu de 5.000 km de long s’étendant d’Est en Ouest et fortement marqué par la continentalité et qui prend l’Afrique de l’Ouest en écharpe, des Iles atlantiques du Cap-Vert aux confins désertiques du Tchad, développant une superficie de 5,3 millions de km2 soit 10 fois la France, 28% de la superficie de l’ex-U.R.S.S. et environ 55% de celle du Canada, de la Chine et des états-Unis.
C’est dire que c’est une question qui va au-delà de la rencontre de Pau. Des points seront clarifiés, certes, mais il faut aussi retenir que les opinions sahéliennes observent, veillent, suivent… avec l’intime conviction que le terreau du terrorisme réside, et demeure, dans la pauvreté qui sévit dans, et sur cet espace… Terrorisme comme conséquence, pauvreté, misère, contraintes climato-environnementales, et inégale répartition des richesses, comme causes… Il faut déjà travailler sur l’après-Pau pour mettre nos présidents de la République, et chefs d’état, dans les conditions maximales de s’attaquer aux problèmes de sécurité humaine et de développement durable de l’espace Sahel.
L’Essor : Que pensez-vous de l’initiative prise depuis peu par la justice d’engager une lutte implacable contre la corruption et la délinquance financière. Quelles sont les actions à mener afin d’arriver à bout de ces phénomènes qui freinent le développement de notre pays ?
Dr Abdoulaye Sall : En notre qualité de Contact national de Transparency International, je ne peux que saluer toute initiative allant dans le sens de l’intégrité, de la transparence, de la lutte contre la corruption et l’impunité. Et le Dialogue national inclusif qui vient de boucler sa phase réunion au niveau national a formulé une batterie de recommandations fortes, si elles sont portées, et opérationnalisées, eh bien la justice s’y trouverait confortée à sa place, et dans son rôle, de pouvoir judiciaire indépendant des pouvoirs exécutif (président de la République et gouvernement) et législatif (Assemblée nationale). Nous travaillerons pour que cela soit.
Propos recueillis par Massa SIDIBÉ
Source : L’Essor