Depuis 1960, chaque régime, à hue et à dia, bataille pour la conquête du cœur des Maliens, refusant toute remise en question de sa politique par les citoyens.
L’acceptable et l’inacceptable
En dépit des postures antinomiques, les Maliens se rassurent en accordant du crédit à leur dirigeant au moment de leur prise de pouvoir. En septembre 1960, les Maliens se consolent lorsque que Modibo Kéita sauve l’honneur en proclamant l’indépendance du Mali, après la rupture de la Fédération du Mali : Sénégal-Soudan. Bientôt, il incarnera le Mali.
Très tôt, il œuvre à l’émancipation du peuple malien par la création d’entreprises nationales. Un souvenir devant lequel les Maliens s’inclinent. Profondément. Mais, l’homme de la Première République, Modibo Kéita, perd vite pied à cause des dérives de sa milice populaire. Sa politique de révolution active (1967) divise. Bien que cette analyse soit contestable, Modibo Kéita perd aussi le contact avec le terrain. Un sentiment de détournement des idéaux d’autonomie, de décolonisation des mentalités, d’émancipation vers une dérive politique que les Maliens reprouvent.
Quel dommage ! Dans les relations entre les dirigeants et les citoyens, la question de la limite entre l’acceptable et l’inacceptable se pose toujours. La suite : en novembre 1968, Kéita est évincé du pouvoir par le lieutenant Moussa Traoré du Comité militaire de libération nationale (CMLN). Mais la lune de miel entre Traoré et le peuple malien ne saura durer.
Quand le pouvoir abuse du pouvoir
Moussa Traoré est le seul chef de l’Etat du Mali indépendant à demeurer 23 ans au pouvoir. Par la force ! Mais au cours de son règne, la société malienne est traversée par des tensions permanentes. La capacité de Moussa Traoré de permettre à la société malienne de se transformer était presque nulle. La répression politique précipite la chute de son régime.
D’ailleurs, ses tentatives de récupération du peuple malien échouent à cause de l’invisibilité de l’action politique. Ni la Constitution du 2 juin 1974 instaurant le parti unique, ni la création de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) le 30 mars 1979 ne règlent l’affaire. La mort en prison de Modibo Kéita le 16 mai 1977 et celle (sous la torture) le 17 mars 1980 d’Abdoul Karim Camara (Cabral) de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem) aggravent les rapports entre l’homme de la IIe République (Moussa Traoré) et le peuple malien.
Quand le pouvoir abuse du pouvoir ! Le Mali est économiquement et socialement défait par 23 ans de dictature militaire. Le dialogue social est inexistant. C’est dans ce contexte que le Mouvement démocratique (associations, syndicats, politiques, citoyens ordinaires…) est venu à bout du régime de Moussa Traoré, le 26 mars 1991, grâce au putsch militaire d’Amadou Toumani Touré (ATT) au nom du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP).
L’histoire du Mali indépendant est ainsi faite. Aucun régime n’y échappe. Opportunément, on se laisse avoir par notre mémoire lacunaire. L’élection du 1er président de la IIIe République, Alpha Oumar Konaré, a aussi suscité de l’enthousiasme chez les Maliens. A son actif, l’amélioration des conditions salariales et la liberté de la presse.
Autre changement important, c’est la réforme institutionnelle (décentralisation) qui a œuvré au rapprochement des Maliens pour l’accès facile aux services sociaux de base. Mais la réforme de décentralisation a été instrumentalisée par les élites et les milieux clientélistes de l’administration dans le but de contrôler les populations. Quel gâchis !
A chacun sa vision du Mali
Quant à son successeur ATT (2002), son retour au pouvoir par les urnes est accueilli avec joie par les Maliens. Ses réformes sociales – Amo, logements sociaux – ont retenu l’attention des Maliens. Des réformes sociales révolutionnaires. But : éliminer les inégalités d’accès aux soins de santé, réduire l’inégal accès au logement, etc.
Mais le régime d’ATT s’égare. Il s’enferme dans le déni de la dégradation sécuritaire. Il chute le 22 mars 2012 à la faveur d’une mutinerie militaire, portée par le capitaine Amadou Haya Sanogo du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE).
La complexité croissante du Mali oblige à faire le deuil de l’instrumentalisation du peuple. D’ailleurs, le dernier président, IBK, démocratiquement élu l’a appris à ses dépens. IBK a fait battre le cœur des Maliens dans sa campagne électorale de 2013. A maintes reprises, les thèmes de “le Mali d’abord”, “Kati ne fera plus peur à Koulouba”, “Kankélétigui : l’homme qui n’a qu’une parole” se situaient implicitement dans le sillage d’une récupération des Maliens.
Elu en 2013, et réélu en 2018, IBK n’a pu tenir ses promesses. Probablement à cause de l’insécurité. Le peuple s’est senti floué. Finalement, IBK a été balayé par le putsch du 18 août 2020, conduit par le colonel Assimi Goïta du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). A chacun sa politique du Mali.
Transition, une aventure collective
La Transition actuelle en fait naturellement autant. Partagés entre l’imprescriptible (article 121 de la Constitution du 25 février 1992) et les humiliations des populations du Centre et du Nord infligées par les narcoterroristes, une partie des Maliens s’est montrée bienveillante à l’égard des auteurs du putsch de 2020.
Aujourd’hui, les Maliens attendent de la Transition qu’elle rende le Mali mieux qu’il ne le fût auparavant. Les mots refondation, souveraineté ou autorité sonnent forts à l’oreille des Maliens, qui rêvent de progrès social et économique. Ils rêvent également de sécurité et de libertés. Or l’approche militaire des libertés par la Transition est loin d’être incontestable. Ce n’est pas le moment d’y insister.
Le projet de nouvelle Constitution divise. Les opinions publiques sont à cran. Sur les réseaux sociaux, certains tentent de manipuler la capacité de discernement des Maliens. D’autres les poussent à se détester les uns les autres. Dans les salons, le reste pérore. Le virtuel et le réel se confondent. La pente est raide. En toute objectivité, la Transition doit être une aventure collective où le nous (Le Mali) l’emporte sur le jeu (l’égo).
Un autre Mali n’est-il pas possible ?
Mohamed Amara
Sociologue
Source : Mali Tribune