Ce matin, dans décryptage, la question de la reconnaissance dans les régimes transitoires, tiraillés entre le terrorisme et les besoins des populations : école, justice, santé, sécurité, etc.
La reconnaissance incarne l’unité des rapports humains
Il existe toute une riche littérature philosophique sur la notion de reconnaissance. Il faut néanmoins noter que, d’un point de vue purement sociologique, la notion de reconnaissance recouvre une dimension relationnelle (Honneth : 2002) : amicale, juridique, politique ou solidaire. Primo, reconnaitre quelqu’un, c’est confirmer les capacités et les valeurs qu’il incarne de par son travail ou son rôle dans la société. Deuzio, reconnaitre quelqu’un, c’est aussi lui témoigner une certaine solidarité. La reconnaissance traduit une demande de satisfaction de légitimité culturelle, politique, sociale ou traditionnelle. Evidemment, la notion de reconnaissance exprime un sentiment d’appartenance et de confiance des uns envers les autres. Qu’il s’agisse des relations entre Etats, entre individus, entre dirigeants et citoyens, la valorisation de nos valeurs communes est au cœur de la notion de reconnaissance. Enfin, elle incarne aussi bien l’unité des rapports humains que celle des liens entre dirigeants et citoyens. Comment traduire cette notion de reconnaissance dans les transitions ?
Les déficits de reconnaissance
Sur les cendres des combats inachevés de la démocratie, les régimes transitoires sont confrontés aux déficits de reconnaissance. Aussi bien au Mali qu’au Niger, la reconnaissance des pairs et de la communauté internationale est quasi inexistante. Autre déficit social : les régimes transitoires sont en proie au rejet d’une partie de leurs populations, faute de résultats concrets contre l’insécurité. En effet, les putschs militaires portant au pouvoir leurs auteurs, ne préparent pas ces derniers à l’exercice du pouvoir. Effet immédiat : rejet, isolement. D’autant que reconnaitre un putsch militaire, c’est piétiner les relations internationales régissant l’ordre mondial. Reconnaitre un putsch militaire, c’est aussi renier les valeurs de l’idéal démocratique telles que l’organisation de la vie politique grâce aux choix des dirigeants (suffrage universel), les règles de séparation et de contrôle des pouvoirs ou la garantie des libertés individuelles et collectives. Les régimes transitoires actuels s’usent à donner des garanties sécuritaires et démocratiques permettant aux citoyens de croire profondément en eux.
Le Niger, foyer des règlements de compte géopolitiques
Ibrahim Traoré du Burkina-Faso peine à ramener la sécurité au pays des hommes intègres. Les tueries à Noaho d’août 2023 reflètent les limites des stratégies de contreterrorisme de Traoré. Certains le représentent Sankariste, mais d’autres le découvrent impuissant face au terrorisme. Au Mali Assimi Goïta se démène à rétablir le dialogue avec la CMA, qui reproche à Bamako d’enterrer l’Accord de paix (2015) en raison des bombardements de ses positions le 28 août 2023 à Anéfis (Kidal). Signe d’un nouvel embrasement du Mali ? En attendant, à Tombouctou ou à Sofara, les sbires d’Aqmi et de l’EIS terrorisent les populations. Au Niger, le pouvoir d’Abdourahmane Tchiani est fragile. Certains de ses collaborateurs s’irritent. Un manitou des renseignements considère Tchiani comme le putschiste le plus désespéré du Sahel. Le Niger est devenu le foyer des règlements de compte géopolitiques. La responsabilité du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est gigantesque, surtout au sujet des tensions avec la France.
Américains et Français naviguent de conserve sur le Niger
La confrontation entre Paris et Niamey est loin de connaitre son épilogue. Paris rejette la demande d’expulsion de son Ambassadeur, Monsieur Sylvain Itté, par le Niger. Une première. La suite : Paris oppose l’idée de l’illégitimité du pouvoir de Tchiani. Comme la Cedeao, Paris ne reconnait pas Tchiani. En mal de reconnaissance internationale, Tchiani tente d’agir comme ses homologues malien et burkinabé, qui ont expulsé les ambassadeurs français et obtenu le départ des armées françaises (Barkhane et sabre). Mais le contexte malien est différent de celui du Niger. Rappelons qu’au Niger, contrairement au Mali, il y a deux acteurs majeurs : les armées américaine et française. Deux puissances occidentales, tête de pont de la lutte contre la pénétration russe en Afrique. Décryptage : toute belligérance contre l’un suscitera le soutien de l’autre quelques soient les intérêts parfois divergents. Pour l’instant, Américains et Français naviguent de conserve sur le Niger. Par conséquent, Tchiani est obligé de composer avec la France et les Etats-Unis d’Amérique s’il veut sauver les meubles.
Le CNSP se claquemure
D’autant que, à en croire les spécialistes, une crise économique s’annonce au Niger. Des millions de Nigériens parmi les plus vulnérables, manqueraient de l’essentiel : électricité, nourriture, sécurité. Comme toujours, le putsch suscite une angoisse chez les populations. Difficile de tenir un pays sous sa botte. La colère d’une partie des Nigériens pourrait se transformer en rejet de Tchiani. Les soutiens réconfortants des exécutifs burkinabé et malien permettraient-ils à Tchiani de remettre sur les rails le train nigérien ? Evidemment, à force d’être rejeté par la communauté internationale et une partie des Nigériens, le CNSP se claquemure. Espérons que les négociations entre le Niger et la Cedeao et la médiation algérienne débouchent sur une sortie de crise. D’autant qu’un quelconque soutien russe serait un mirage au moment où Evgueni Prigojine (patron de Wagner), l’homme des basses œuvres de Poutine, meurt à Tver (Russie) dans un crash d’avion le 23 juin août 2023. Aujourd’hui, la présence américaine (1100 soldats) et française (1500 soldats) oblige à réfléchir deux fois avant d’imaginer une implantation russe au Niger.
Des compromis intelligents
Pour conclure, les crises institutionnelles découlant des putschs militaires aboutissent à des crises de reconnaissance. Qu’il s’agisse du dernier putsch militaire (30 août 2023) de Brice Oligui Nguema contre Ali Bongo au Gabon ou de tous les putschs antérieurs, les régimes transitoires doivent oser ce qu’ils s’interdisent : s’adapter pour trouver des compromis intelligents. Il serait difficile d’espérer construire des régimes militaires au 21eme sans s’attendre à un retour de bâton. Donc, il serait habile de s’inscrire dans une quête de reconnaissance en donnant des gages de retour à l’ordre constitutionnel pour réguler la vie politique.
Mohamed Amara
Sociologue
Mali Tribune