TV5MONDE : Où en est la transition au Burkina Faso, plus de sept mois après le renversement du président Roch Marc Christian Kaboré et la prise de pouvoir du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba ?
Windata Zongo : La persistance de l’insécurité a été utilisée par les militaires, et notamment par le président Damiba, pour justifier leur coup de force. C’est donc dans ce domaine qu’est fortement attendu le nouveau chef de l’État. Sept mois plus tard, les résultats ne sont pas assez concrets – comme souhaité par la population.
Néanmoins, les choses avancent pour plusieurs raisons. Premièrement, grâce à la proximité de Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même militaire, avec les troupes. Il se rend très souvent au front et encourage les soldats. Deuxièmement, depuis son accession à la présidence, l’armée a été restructurée pour l’adapter au contexte sécuritaire. Par exemple, un « commandement des opérations du théâtre national » et de nouvelles zones militaires ont été créés, des forces de sécurité ont été recrutées…
Les soldats disposent également d’outils logistiques plus performants. En résumé, l’armée burkinabé est en train de basculer dans une nouvelle ère qui va lui permettre de mieux s’adapter au contexte régional et sécuritaire actuel. Il y a donc de l’espoir.
TV5MONDE : Pourquoi Paul-Henri Sandaogo Damiba a choisi le Mali pour son premier déplacement hors du Burkina Faso ?
Le Mali dispose d’une frontière avec le nord du pays. Côté malien, ce territoire est une zone d’affrontement continu avec les djihadistes depuis le début des années 2010. Et ces forces franchissent régulièrement la frontière pour se retrouver au Burkina Faso.
Windata Zongo
Les deux pays coopéraient au sein du G5 Sahel. À cause de ses relations conflictuelles avec la France, le Mali a suspendu sa participation. Pour le président Damiba, il y a désormais la nécessité de créer un cadre bilatéral afin de rendre les opérations de lutte contre le terrorisme plus efficaces. Bamako comme Ouagadougou doivent optimiser leurs actions anti-terroristes et lutter contre un phénomène qui les touche tous deux.
TV5MONDE : Quel est l’intérêt pour le chef de l’État burkinabé de se rendre ensuite en Côte d’Ivoire et de rencontrer le président Alassane Ouattara ?
Ce choix s’explique doublement. Il y a d’abord un intérêt sécuritaire. Depuis 2014 puis les premières attaques à Grand Bassam [NDLR : revendiquée par AQMI], le nord de la Côte d’Ivoire, frontalier avec le Burkina Faso, fait face au phénomène terroriste.
Là-aussi, une coopération militaire a été mise en place entre les deux pays : les troupes ivoiriennes et burkinabé échangent des informations, entreprennent des actions communes etc… La visite du président burkinabé s’inscrit ainsi dans ce contexte.
Le second volet, plus politique, est la vaste réconciliation nationale entreprise par le président Damiba. Depuis l’insurrection de 2014 et la chute de Blaise Compaoré, l’ex-chef de l’État et une grande partie de ses collaborateurs sont réfugiés à Abidjan. En plus, une grande partie des étrangers en Côte d’Ivoire viennent du Burkina Faso.
Le chef de l’État burkinabé a tendu la main à tous les acteurs politiques à l’origine de la crise politique que vit le pays. Cela s’est déjà traduit par la demande de pardon de Blaise Compaoré vis-à-vis de la famille de Thomas Sankara, puis par son retour en juillet dernier. Le président Damiba devrait enfin discuter avec les exilés politiques pour voir comment le ministère burkinabé de la Réconciliation nationale fonctionnera.
TV5MONDE : La dimension économique est-elle importante dans ces déplacements ?
Au-delà des dimensions politique et sécuritaire, la dimension économique est toujours présente dans les relations burkino-ivoiriennes. Depuis quelques temps, les échanges commerciaux par le port d’Abidjan et de San Pedro sont en croissance. Cette augmentation est toutefois liée à l’inaccessibilité des ports de Cotonou (Bénin) et Lomé (Togo) à cause du terrorisme qui sévit sur une grande partie du territoire du Burkina Faso.
Source: TV5