C’est l’Honorable Abrahamane Niang qui devrait présider la Haute Cour de Justice, dont les membres ont été désignés par les députés au cours de la séance plénière du lundi 10 mars dernier. Ils sont 18 membres à composer cette la Haute Cour de Justice, 9 juges titulaires et 9 autres, suppléants. C’est la toute première fois que cette institution est mise en place dans notre pays, malgré la mention de son existence dans la Constitution du 25 février 1992.
Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, il se susurre que c’est Abdrahamane Niang qui devrait être désigné par ses pairs pour diriger cette institution républicaine. C’est un Administrateur civil de classe exceptionnel à la retraite. Ce qui fait qu’il dispose d’une riche expérience dans le monde du droit.
Selon la loi n°97-001 du 13 janvier 1997, fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice, ainsi que la procédure suivie devant elle, la désignation de cette institution républicaine doit intervenir au début de chaque législature. Les membres ont toujours été désignés mais l’institution n’a jamais été mise en place.
Aujourd’hui, avec la volonté politique affichée des nouvelles autorités de juger l’ancien Président ATT, il est certain que, dans les jours à venir, la Haute Cour de Justice sera mise en place. Elle est compétente pour juger les Présidents de la République mis en accusation pour haute trahison et les ministres pour crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Selon l’article 3 de la loi fixant les règles de fonctionnement de cette institution, elle «est convoquée pour la première fois par le Président de l’Assemblée nationale pour procéder à l’élection en son sein d’un Président et d’un Vice-président, au scrutin secret et à la majorité des membres la composant».
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant d’entrer en fonction, les juges titulaires et suppléants prêtent devant l’Assemblée nationale, le serment suivant: «Je jure solennellement de bien et fidèlement remplir ma mission, de l’exercer en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, de garder religieusement le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence de la Haute Cour de Justice».
Ce qu’il faut également savoir, c’est que le ministère public près la Haute Cour de Justice est assuré par le Procureur Général près la Cour Suprême ou, en cas d’empêchement, par l’un des Avocats généraux. En effet, pour chaque affaire, l’instruction est assurée par une Commission, composée de 5 magistrats, dont trois titulaires et deux suppléants, désignés par délibération du Bureau de la Cour Suprême parmi les magistrats de la Section judiciaire de cette juridiction.
A leur tour, les membres de cette Commission d’instruction désignent en leur sein un Président parmi les membres titulaires. Les fonctions de ces magistrats prennent fin avec celles de membres de la Cour Suprême. Ils peuvent être récusés pour l’une des causes prévues par le Code de procédure pénale. Dans ce cas, le Bureau, saisi, statue sans recours. En cas de récusation, d’absence ou d’empêchement d’un membre de la Commission d’instruction, le Président de la Cour Suprême désigne celui des juges suppléants qui sera chargé de le remplacer.
La Haute Cour de Justice qui sera bientôt mise en place ne chômera pas, parce que le dossier du Président déchu ATT est déjà sur la table de l’Assemblée nationale. Il est, en effet, accusé de haute trahison, d’avoir, en sa qualité de Président de la République du Mali, donc Chef Suprême des Armées, et en violation du serment prêté, facilité la pénétration et l’installation de forces étrangères sur le territoire national, notamment en ne leur opposant aucune résistance, faits prévus et réprimés par l’article 33, alinéa 2 du Code pénal; d’avoir, au Mali, au moment des faits et en tant que Président de la République, donc Chef Suprême des Armées, détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale, faits prévus et réprimés par l’article 34, alinéa 2 du Code Pénal; d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, participé à une entreprise de démoralisation de l’armée, caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers et de soldats incompétents et au patriotisme douteux à des postes de responsabilité, au détriment des plus méritants, entrainant une frustration qui nuit à la défense nationale, faits prévus et réprimés par l’article 34, alinéa 3 du Code Pénal; de s’être, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, opposé à la circulation du matériel de guerre, faits prévus et réprimés par l’article 34, alinéa 3-c du Code Pénal; d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, participé, en connaissance de cause, à une entreprise de démoralisation de l’armée, malgré la grogne de la troupe et des officiers rapportée et décriée par la presse nationale, faits prévus et punis par l’article 34, alinéa 3-d du Code Pénal; d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, en tout cas depuis moins de 10 ans, par imprudence, négligence ou inobservation des règlements laissé détruire, soustraire ou enlever, en tout ou partie, des objets, matériels, documents ou renseignements qui lui étaient confiés, et dont la connaissance pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale, faits prévus et punis par l’article 39, alinéa 2 du Code pénal.
La mise en accusation éventuelle d’ATT sera votée sous forme de résolution par l’Assemblée nationale, conformément aux dispositions de l’article 95 de la Constitution. Celui-ci stipule que la mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée nationale.
Après cette étape, la Commission d’instruction est convoquée sans délai par son Président, lequel peut décerner un mandat contre l’accusé. La Commission d’instruction peut également décider de poursuivre ou de classer l’affaire. Dans le premier cas, elle ordonne le renvoi devant la Haute Cour de Justice.
Comme vous le constatez, la capture d’ATT n’est pas si lointaine, parce que tout laisse à croire qu’avec la volonté politique actuelle (soutenue par l’écrasante majorité des députés) et, surtout, l’opinion publique nationale, qui le souhaite à plus de 62%, selon un soudage récent, très crédible, un mandat d’arrêt sera lancé contre l’hôte un peu encombrant de Macky Sall.
Le Sénégal étant un pays de droit, rien ne s’opposera à la démarche en cours. ATT lui-même avait déclaré qu’il se mettrait volontiers à la disposition de la justice de son pays. De la part de l’homme du 26 mars, cela ne serait pas étonnant. Comme le disait l’ancien Premier ministre britannique, Winston Churchill, «la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception des autres».
ATT fut un grand homme d’Etat, adulé par son peuple, qui a rendu d’énormes services. Mais cela ne suffit pas, dans un système démocratique, pour être au-dessus des lois, pour échapper à la justice de son pays. ATT est un accusé et non un coupable pour l’instant. Comme on le dit dans le jargon judiciaire, il bénéfice de la présomption d’innocence.
Alors, vivement l’instruction de ce dossier, pour qu’éclate la vérité sur le déshonneur du Mali.
Chahana Takiou et Youssouf Diallo