Si le gouvernement malien assure lutter contre la corruption et l’impunité, l’opposition dénonce une justice sélective et une volonté de faire taire les voix contestataires.
Un avion présidentiel dont l’achat est suspecté d’avoir donné lieu à des malversations financières, un message audio considéré comme une injure, des critiques envisagées comme des « troubles à l’ordre public » ou bien encore un terrain qui aurait été acquis illégalement. La gamme des affaires devant la justice malienne est large, et les poursuites engagées n’ont aucun lien entre elles ; à ceci près que toutes concernent des personnalités politiques ayant fait entendre une voix dissonante aux autorités de transition.
Six mois après sa nomination, le gouvernement de Choguel Maïga a fait de la machine judiciaire un outil redouté de la classe politique malienne. Dans un pays où la dénonciation de la gabegie et de l’impunité des gouvernants fut l’un des ferments du renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en août 2020, l’entrée au ministère de la justice de Mamoudou Kassogué, servi jusque-là par une réputation de procureur intraitable, avait pu être interprétée comme une réponse à la demande populaire et le signe d’une nouvelle donne.
« Rien de plus dangereux que l’impunité »
Celle-ci n’a pas tardé à se faire sentir avec la mise en détention fin août de l’ancien premier ministre d’IBK, Soumeylou Boubèye Maïga, inculpé notamment de « faux, usage de faux et falsification de documents » et d’« atteinte aux biens publics par détournements » dans l’achat en 2014 d’un avion pour la présidence de l’époque. Un dossier que cet ambitieux, aux puissants réseaux tissés d’Alger à Paris en passant par Abidjan, pensait enterré, mais qui a refait surface après une déclaration télévisée du procureur de la Cour suprême, expliquant que le nouveau « ministre de la justice a estimé que cette affaire ne devait pas faire l’objet d’un classement sans suite », car « il n’y a rien de plus dangereux pour la bonne santé d’une République que l’impunité. »
« Le Tigre » comme ses partisans le surnomment, est depuis prisonnier à la maison d’arrêt de Bamako, consacrant son temps à sa défense plutôt qu’à préparer sa campagne pour une présidentielle, dont le report au-delà de la fin février ne fait plus grand doute. Une condamnation le disqualifierait de la course, tout comme Moussa Mara, qui occupa la même fonction quelques années plus tôt, et a été inculpé de « faux et usage de faux » et placé sous contrôle judiciaire le 29 novembre. « Un particulier m’a reproché en 2013 de lui avoir retiré son terrain au profit d’un autre [au moment où il était maire de la commune IV de Bamako], mais cette plainte a déjà été annulée par le tribunal administratif. Je ne veux accuser personne, mais s’il y a une volonté de me bloquer, elle est malhabile », déclare prudemment Moussa Mara.
« Atteinte au crédit de l’Etat »
Une prudence verbale que n’ont pas eue Issa Kaou Ndjim et Oumar Mariko – deux anciens partenaires de Choguel Maïga au sein du mouvement populaire qui a précipité le renversement d’IBK – et qu’ils payent cher. Le premier, gendre de l’influent imam Dicko, laudateur du président de la transition, le colonel Assimi Goïta, et vice-président du Conseil national de transition qui sert de Parlement intérimaire, a été condamné le 3 décembre à six mois de prison avec sursis et 500 000 francs CFA (760 euros) d’amende pour « atteinte au crédit de l’Etat et injures commises via les réseaux sociaux ». Fin octobre, il avait été envoyé quelques jours derrière les barreaux après avoir déclaré que le premier ministre, engagé dans un conflit avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) qui pourrait déboucher sur de nouvelles sanctions le 12 décembre, « tient un discours irresponsable qui embarque le pays dans l’abîme ».
Le second, Oumar Mariko, figure de la gauche radicale malienne, également réputé pour son langage fleuri, a lui été interpellé le 6 décembre avec deux de ses proches après avoir traité dans un message circulant sur les réseaux sociaux le premier ministre de « menteur ». Il avait aussi affirmé s’être retenu de lui botter le train pour avoir manqué de respect aux « martyrs » de la démocratie, tombés en 1991 sous les balles du dictateur Moussa Traoré, dont Choguel Maïga demeure l’un des premiers défenseurs. Placé en détention préventive jusqu’à l’audience fixée au 15 février 2022, il est accusé notamment de « diffusion d’injures et de menaces ». « On ne sait pas qui est le plaignant, ni comment la pièce constitutive de la plainte a été obtenue. Ce qui est clair, en revanche, est qu’Oumar Mariko est l’un des opposants les plus virulents à la prolongation de la transition et que le meilleur moyen de le faire taire est de le mettre en prison », dénonce son avocat Mamadou Ismaïla Konaté.
Museler les voix critiques
Alors que le pouvoir malien entame samedi 11 décembre la première phase des « assises nationales de la refondation », à l’issue desquelles Bamako devrait produire un nouveau calendrier électoral, plusieurs observateurs sur place estiment que si les poursuites engagées répondent à une demande populaire insatisfaite sous les régimes précédents, elles visent surtout à écarter ceux qui pourraient contester trop fortement une rallonge du calendrier de la transition.
« Avec Boubèye Maïga, qui se pensait protégé en tant qu’ancien patron des services de renseignement, le pouvoir a envoyé le message que personne au sein de la classe politique n’est intouchable, analyse un observateur sur place, relevant les liens forts qui existent désormais entre les autorités de transition et la magistrature. Avant sa chute, pour faire passer l’élection frauduleuse de 31 députés auprès de la justice, IBK avait dû relever considérablement le revenu des magistrats, rappelle cette source. Le pouvoir d’aujourd’hui, qui assume sa volonté de museler les voix critiques, tient les juges avec ce dossier. »