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ASSOCIATION DES ELEVES ET ETUDIANTS DU MALI : Comment une lutte estudiantine a viré à la terreur sur le campus

Créée le 27 octobre 1990 par des étudiants en médecine, l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) a joué un rôle essentiel dans l’avènement de la démocratie au Mali car fortement impliquée (aux côtés du Syndicat national de l’enseignement et de la culture-SNEC, du Congrès national d’initiative démocratique-CNID, l’Alliance pour la démocratie au Mali-ADEMA…) dans les manifestations réprimées par le pouvoir, mais qui ont précipité sa chute le 26 mars 1991. Ce rôle primordial lui a valu la légitimité de participer au Comité de Transition du Salut du Peuple (CTSP) à travers son Secrétaire général, Oumar Mariko. Cet « honneur » a sans doute été aussi une grave erreur politique puisqu’ayant contribué à ouvrir l’espace scolaire aux politiciens. Aujourd’hui, l’organisation estudiantine a perdu toute crédibilité car devenue un outil de déstabilisation manipulé par la classe politique, toute les tendances confondues. Et du coup, elle a perdu sa légitimité de représenter les élèves et étudiants dont les intérêts sont éclipsés par ceux de ses dirigeants.

 

 

A quoi sert encore l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM) trente ans après sa création (27 octobre 1990) ? La question revient une fois de plus dans l’actualité. Et ce n’est malheureusement pas un débat suscité par le 30e anniversaire, mais suite à des actes de violence qui ont fait un mort et des blessés le 12 octobre 2020 sur la « Colline du savoir » à Badalabougou. Selon de nombreux témoignages, ces violences ont un lien avec le renouvellement des Comités AEEM de la Faculté des sciences et techniques (FST) et de l’Institut universitaire de gestion (IUG). Même si la coordination nationale soutient le contraire.

En 30 ans d’existence, l’AEEM a progressivement perdu sa notoriété, sa crédibilité et sa légitimité à réellement représenter et défendre les vrais intérêts des élèves et étudiants de ce pays. Depuis plus de deux décennies, elle est incapable de poser des actes concrets au nom de ses militants. « Nous n’avons jamais vu l’AEEM revendiquer des livres, des bibliothèques ou même organiser un camp d’excellence pour les étudiants », a dénoncé une étudiante sur son compte twitter après les événements du 12 octobre 2020.

« Le plus choquant et ce qui est inadmissible, c’est la politisation de cette association. Au lieu d’avoir la connaissance comme arme, la plupart des leaders de l’AEEM possèdent des machettes comme arme en lieu et place du stylo, de la craie et des livres », a renchéri l’un de ses camarades. En effet les descentes policières qui suivent les fréquents affrontements violents, c’est un arsenal (pistolets, armes blanches…) digne d’une véritable milice urbaine qui est mis en évidence. Comme si la lutte estudiantine a allègrement glissé à la guérilla urbaine.

Et quand on s’entretient avec les élèves et étudiants, loin des yeux et des oreilles de ceux qui les terrorisent sur les campus, ils sont très critiques : trafics d’influence, corruption, violences, assassinats, vols… reviennent dans les critiques. « Le problème est que les dirigeants de l’AEEM, à tous les échelons, se battent pour leurs propres intérêts et non pour nous défendre », dénonce un interlocuteur. Et généralement, ils indexent les différents régimes et leurs opposants qui ont « transformé l’AEEM en instrument de déstabilisation » qu’ils cherchent tous à manipuler.

 

La lutte estudiantine pervertie par la politique et l’appât du gain

Politique et argent ! Voici les racines du mal qui a aujourd’hui totalement discrédité cette organisation créée pour revendiquer de meilleures conditions d’études pour les tous les enfants de ce pays. Elle est devenue une organisation que les tous les régimes veulent contrôler, malheureusement pas pour une meilleure gestion de l’espace scolaire et académique, mais à des fins inavouables. Ainsi, selon des indiscrétions ici et là, le gouvernement finance annuellement le congrès de l’AEEM à hauteur d’au moins 15 millions de francs CFA. Sans compter les dons en nature, comme ce 4×4 offert à la coordination nationale par le président Ibrahim Boubacar Kéita il y a trois ans, pour mieux corrompre et manipuler ses dirigeants.

C’est en réalité cette association qui gère tout l’espace universitaire en ayant droit de vie ou de mort sur les occupants. C’est elle qui cède à ses conditions les parkings, les restaurants et autres zones commerciales. Elle a un droit de regard sur les inscriptions, l’accès aux allocations, l’octroi des bourses. Selon nos investigations, les parkings de la Cité universitaire de la « Colline du Savoir » (Badalabougou) rapporteraient à l’AEEM au moins 500.000 F Cfa par mois, soit près de 183 millions F Cfa par an.

L’AEEM a la main-mise sur l’université malienne et ses leaders armés s’y livrent à tous les abus, à toutes les dérives en semant la terreur sur les élèves et étudiants ainsi que sur leurs professeurs et les responsables des facultés pour imposer leur diktat. Les sommes en jeu son colossales d’où l’enjeu crucial du renouvellement des instances de la base au sommet parce qu’à tous les échelons (cellules, coordinations régionales et nationales) on se lèche les mains.

Pis, l’AEEM est impliquée dans toutes les malversations et de toutes magouilles dans les écoles et facultés. « Quand on accepte les conditions des responsables de l’AEEM, on peut tout se permettre comme par exemple passer d’une clase à une autre en faisant seulement acte de présence aux devoirs et aux examens », confesse une étudiante qui eut le diplôme d’un Institut de formation des maîtres (IFM) de l’intérieur du pays tout en étant régulièrement inscrite dans un Institut universitaire de la capitale.

« L’argent s’emploie pour transformer les dirigeants syndicaux en hommes-liges du pouvoir par le financement d’activités syndicales au sein de l’école. Comme les subventions accordées ne sont pas gérées dans la transparence, les appétits grandissants des uns et des autres contribuent à susciter l’émergence de clans, dont les revendications divergentes alimentent l’agitation scolaire », avait bien résumé Pr. Drissa Diakité (historien et ancien doyen de l’ex-FLASH) ans un rapport intitulé « La crise scolaire au Mali » et publié dans le «Nordic Journal of African Studies» en 2000.

 

Plus un problème qu’une solution aux problèmes de l’Ecole malienne

Naturellement pour les responsables de l’AEEM (en conférence de presse le jeudi 15 octobre 2020) tout cela est exagéré et leur association est presque un mal nécessaire. Mais, on peut aisément et objectivement constater de nos jours qu’elle nuit beaucoup plus aux élèves et étudiants qu’elle ne leur apporte en termes de revendications de leurs droits. C’est pourquoi les voix ne cessent de s’élever pour exiger sa dissolution pure et simple.

Et cela d’autant que l’AEEM a eu beaucoup d’opportunités de changer le fusil d’épaule en s’inscrivant dans l’apaisement de l’espace scolaire et universitaire et en contribuant à l’amélioration des conditions d’études et d’apprentissage. Si « osez lutter, c’est osé vaincre », la lutte ne peut pas aboutir sans la légitimité requise.

Et on peut donc aisément dire que l’AEEM est plus un problème qu’une solution aux problèmes de l’Ecole malienne. C’est pourquoi, pour de nombreux interlocuteurs, sa dissolution est une « nécessité absolue ». Et cela d’autant plus qu’une grande majorité des militants naturels ne se connaissent plus dans les combats menés par les dirigeants. Aujourd’hui, l’Ecole doit être au cœur des enjeux sociétaux. Ce qui suppose sa meilleure gestion dans tous les domaines.

Si, comme le dit un influent confrère de la place, « le combat de l’AEEM d’alors était noble (amélioration des conditions de vie et d’études des élèves et étudiants du Mali), la violence d’aujourd’hui n’est pas digne des héritiers d’Oumar Mariko, Yéhiya Ould Zarawana, Opéri Berthé… ». Le visage présenté par cette association doit faire honte à ses « pères » fondateurs.

La question de dissolution ne date pas d’aujourd’hui. Mais, si aucun régime politique n’avait eu le courage de prendre ce taureau par les cornes, les regards sont de nos jours tournés vers les autorités actuelles. Ils sont en effet nombreux à penser que «la transition est beaucoup mieux placée pour prendre des décisions courageuses concernant l’AEEM que n’importe quel autre régime ».

Et cela d’autant plus que c’est la période la mieux appropriée pour les réformes dans tous les secteurs et réseaux, donc à faire avaler les couleuvres qu’on n’oserait pas par exemple envisager en période ordinaire. Et certains proposent que l’association soit remplacée par un Conseil national des élèves et étudiants. Et pourquoi pas des Comités de gestion scolaire ou académique composés des représentants des élèves et étudiants, des parents, des syndicats d’enseignements et d’autres partenaires de l’Ecole ?

 

Un symbole de la démocratie à refonder et non à dissoudre ?

Pour d’autres, il faut juste des corrections en coupant des têtes, en établissant des normes qui doivent être scrupuleusement respectées. Ainsi, à leur avis, l’AEEM doit exister, mais sur «la base de réformes statutaires soutenues par un bon comportement, un leadership soutenu par une culture de la non-violence et celle du bon élève ». Aux yeux de ceux-ci, cette association reste toujours « un symbole de la démocratie, de la vie associative ; un symbole de la défense des intérêts matériels et moraux des élèves et étudiants » du Mali. « Tout comme l’on doit refonder l’Etat, l’AEEM mérite aussi une refondation en revenant aux valeurs fondamentales qui sont à l’origine de sa création », défend notre confrère Chahana Takiou

Un avis qui ne fait pas l’unanimité.  « A un certain moment de l’histoire de notre pays, des élèves gendarmes ont été rappelés à l’ordre. Et le syndicat des officiers de l’armée a été tué dans l’œuf ! Pourquoi deux poids et deux mesures dans le même pays ? A qui profite ce machin (AEEM) qui n’est que l’ombre de lui-même depuis 1995 », a répliqué un activiste sur les réseaux sociaux.

En tout cas, il est clair que nos enfants ne peuvent pas continuer à perdre innocemment la vie ou à vivre avec les séquelles de coups et blessures causés par des camarades barbares sans qu’aucun acteur ne soit inquiété. Les organes de la transition (présidence, gouvernement et Conseil national de la Transition-CNT) sont très attendus sur la question.

Et restaurer l’autorité de l’Etat à tous les niveaux est l’une des fortes attentes aujourd’hui des Maliens vis-à-vis des dirigeants de cette transition qui aussi pour mission de refonder l’Etat !

Hamady Tamba

Source : LE MATIN

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