L’affaire de la rupture de l’approvisionnement d’engrais subventionnés continue de défrayer la chronique. Chacun : les paysans, le ministre de l’Agriculture et du Développement Rural, et les fournisseurs, donne sa version. Mais ce qu’on doit rapidement faire, c’est de mettre fin à cette rupture qui risque de baisser le taux de la production qui, à son tour, conduirait à la cherté intenable de la vie. Il est donc important de désamorcer la bombe pendant qu’il est encore temps.
En 2022, le gouvernement du Mali a subventionné les intrants agricoles. Pour cela, un budget de 17 milliards de francs CFA a été alloué au ministère du Développement rural pour l’achat des engrais et une partie pour l’achat de semences de maïs hybride. Mais malgré cette volonté des plus hautes autorités, la situation est alarmante. Les paysans dans beaucoup de localités du pays, dont dans la zone de l’Office du Niger, sont manque d’engrais. La rupture d’approvisionnement est plus qu’inquiétante et commence à susciter la colère des paysans. Certains, surtout ceux de la zone office du Niger, parle plutôt d’un sabotage par le ministre Modibo Keïta.
Selon nos confrères de l’Enquêteur, des paysans de la zone Office du Niger ont même dénoncé, dans une lettre adressée au président de la transition, le « mépris » du ministre en charge de l’Agriculture et du Développement durable. « Il ressort de cette lettre de dénonciation en date du 14 août 2022, adressée au président de la transition les constats suivants :que des fournisseurs retenus au nombre de six, un seul a pu être opérationnel en occurrence la société KO2, mais ne dispose pas de stock suffisant pour satisfaire les besoins des producteurs. Et les cinq autres fournisseurs sont sans adresse fixe et ne sont pas connus comme fournisseurs d’engrais en zone Office du Niger », indique l’Enquêteur. La lettre des paysans rapportée par l’Enquêteur accuse la société Toya Agro Business de prendre l’argent des paysans sans livrer la moindre quantité d’engrais. « Imaginez-vous, avec la subvention le paysan achète le sac d’engrais de 50 kg d’urée à 12.500 F CFA et l’Etat paye le reste soit 21.250 F CFA comme subvention. Par la faute des fournisseurs retenus et l’amateurisme du ministre, les paysans sont obligés de débourser plus de 40.000 pour avoir un seul sac d’engrais. Cette méthode du ministre Modibo Keita est devenue de nos jours un véritable casse-tête chinois pour les producteurs, qui ne savent plus à quel saint se vouer », argumente l’Enquêteur.
Les arguments du ministre Keïta
Face à la persistance des tensions au sujets de la rupture de la fourniture d’engrais, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural a brisé le silence. Dans un entretien accordé au quotidien national, il a expliqué les raisons de la mise à disposition tardive ou de la non mise à disposition de l’engrais subventionné dans la zone hors système coton (offices, agences, DRA, projets/programmes). Si les paysans crient à la menace de la campagne agricole, le ministre Keïta, estime que la problématique liée à la subvention, ne représentant que 15% des besoins en engrais minéraux des exploitants agricoles, ne saurait compromettre la campagne.
Si certains paysans parlent du clientélisme dans la passation du marché, le ministre, lui, justifie les raisons de son choix. « Le ministre du Développement rural souligne que ces préalables définis, l’avis de manifestation d’intérêt a été publié le 14 janvier 2022 dans le journal L’Essor en vue de répertorier 46 opérateurs économiques. Le marché a été passé dans les règles de l’art, assure-t-il, reconnaissant que ces prix n’ont pas été du goût des fournisseurs traditionnels. Ceux-ci ont, selon lui, posé des exigences : ‘’apurer les arriérés de subvention au titre des campagnes agricoles de 2019, 2020 et 2021 ; payer au comptant la subvention 2022 sans cautions techniques ce qui n’est pas conforme au manuel de gestion de la subvention ; le prix du sac de 50 kg fixé à au moins 55.000 Fcfa’’. », a-t-on dans les colonnes de l’Essor. Le ministre a ajouté, dans le même article, : «Face à ces exigences, le département a été contraint de collaborer avec les acteurs qui ont manifesté un intérêt à accompagner l’État malgré les contraintes que le pays traverse. Ces derniers ont été, selon lui, confrontés à un problème d’accompagnement au niveau des banques, les empêchant ainsi de pouvoir honorer intégralement leur engagement. D’où les difficultés constatées dans la mise à disposition de l’engrais subventionné qui est de deux sacs de 50 kg par hectare ».
La réaction de Youssouf Coulibaly
Le président du Collectif des Fournisseurs d’Intrants Agricoles du Mali (CFIAM), Youssouf Coulibaly, a répliqué à la sortie du ministre Modibo Keïta. Pour lui, les arguments du ministre ne tient pas. «Ce que le ministre a affirmé ne correspond pas à ce que nous, nous avons sur le terrain dans le cadre des approvisionnement de cette année », a-t-il laissé entendre.
A en l’en croire, les fournisseurs n’ont manifesté aucun désintérêt contrairement aux arguments du ministre de l’Agriculture. « Concernant le désintérêt dont a parlé de ministre Keïta, je trouve que ce ne sont pas les fournisseurs qui ont manifesté un désintérêt. Habituellement, en termes de volume, la quantité subventionnée en engrais minéraux porte environ 90% des volumes d’intrants distribués aux producteurs. Cette année, le ministre a converti les engrais minéraux en engrais organiques, soit 91% dédiés à la fertilisation organique et seulement 9% aux engrais minéraux. Comment s’étonner que les fournisseurs qui, habituellement travaillent sur les engrais minéraux, constituent des stocks importants d’engrais alors qu’en face il n’y a que 9 % de volumes exprimées contrairement aux autres années. S’il y a eu désintérêt, c’est plutôt de la part du ministère de l’Agriculture et du Développement durable » a laissé entendre Youssouf Coulibaly.
Aussi, a-t-il formellement démenti les propos du ministre Modibo Keïta selon lesquels « des agricultures vendent les sac d’engrais à 55000f ». Même s’il admet que les prix repères ont été légèrement majorés, il précise quand même que ces prix n’ont pas atteint 55000.
Concernant les arriérés, Youssouf Coulibaly trouve normal que les fournisseurs réclament leur dû. Selon lui, les arriérés réclamés concernent les services faits il y a 3 ou 4 ans.
Les difficultés d’approvisionnement d’engrais que le Mali a connu cette année, dit-il, sont dues aux volumes insignifiantes, parfois nulles qui ont été attribuées à des fournisseurs historiques qui ont été absents du marché. « Si les fournisseurs historiques sont mal servis, ça impacte sur les autres approvisionnement », précise Youssouf Coulibaly.
Désamorcez la bombe
Les autorités de la transition bénéficient d’un soutien populaire des Maliens. Cela est dû au résultat honorable dans la lutte contre le terrorisme et la restauration de la souveraineté et de l’indépendance du Mali. Les Maliens ont été très fiers d’apprendre que le Mali a retrouvé sa place dans la production du coton. Ils ont aussi été très content d’apprendre que l’État a alloué 17 milliards en termes subventions d’intrants agricoles. Mais l’engrais manque toujours. Pourtant, la majorité des Maliens, des soutiens de la transition, ce sont ces paysans.
Le gouvernement doit tout faire pour résoudre rapidement ce problème afin d’éviter d’agrandir le rang des mécontents. Si rien n’est fait, ces ruptures d’engrais vont causer la baisse de production et conduirait, sans nul doute, à la hausse des prix des produits. Le Président de la transition doit donc vite s’impliquer désamorcer cette bombe.
B. Guindo
Source: LE PAYS