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UN RENVERSEMENT BRUTAL ET RADICAL

Absurde, le coup de force l’avait été enfin dans ses conséquences sur la gouvernance malienne. Les putschistes – ou plus exactement le groupe qui s’appropria les commandes – ont rapidement cédé aux excès, aux délices et aux tentations qu’ils étaient venus combattre. A cette dérive morale, ils ajoutèrent très vite un culte de la force violente et des représailles sanglantes qui était totalement inconnu dans notre pays. L’entreprise de redressement de la démocratie et de restauration de l’autorité de l’Etat pompeusement affichée dans le sigle (CNRDRE) que s’étaient donné les tombeurs de Amadou Toumani Touré n’a fait illusion que quelques semaines, le temps pour les simples citoyens de comprendre que si le proche passé était blâmable à bien des égards, le présent n’était guère préférable à tous points de vue et que l’avenir s’annonçait plus que problématique.

general sanogo et ses troupes

 

La seconde épithète pour qualifier l’aventure déclenchée par Amadou Haya Sanogo pourrait sembler provocatrice. Mais, dans un certain sens, le putsch était aussi logique qu’il pouvait être considéré comme absurde. L’affaiblissement de l’autorité publique avait si visiblement atteint le stade du dépérissement, la perte de crédibilité de l’élite politique était devenue si catastrophique, l’exaspération du citoyen moyen avait atteint un tel niveau de radicalité, le manque de cohérence et de visibilité dans la conduite des opérations militaires dans le Nord du pays avait si profondément perturbé l’opinion publique et désarçonné l’armée qu’un renversement brutal et radical de la situation ne relevait plus de « l’inenvisageable ». Dans les semaines qui avaient précédé le 22 mars 2012, la probabilité d’un coup d’Etat était d’ailleurs évoquée de manière à peine voilée et répétée dans divers cercles, et même au sein de la population. Le chef de l’Etat avait lui-même ajouté aux supputations en faisant allusion sans équivoque le 8 mars 2012 à une tentative avortée. Tous les indices convergeaient donc pour signifier que la déliquescence du pouvoir, l’accumulation des situations critiques laissées sans solutions et la montée de la réprobation populaire avaient fini par rendre possible un événement qui avait cessé d’être absurde pour devenir attendu.

Le fait que deux symboliques aussi contradictoires s’entrechoquent dans la même date devrait nous inciter à nous interroger sur le chemin emprunté par la gouvernance malienne en deux décennies de pratique démocratique. La nécessité de cette évaluation est unanimement admise. Mais jusqu’ici une seule tentative d’explication exhaustive a été réalisée à travers l’ouvrage collectif « Mali : entre doutes et espoirs » (Editions Tombouctou) sous la direction de l’historien Doulaye Konaté. On y trouve un exercice de réflexion de haute volée mené par des intellectuels maliens et étranger. Le diagnostic qui y est établi a le mérite d’être asséné sans complaisance, mais aussi sans tendance à verser dans l’auto-flagellation. Ce point est important à relever, car il convient de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La résilience démontrée par notre nation dans des circonstances exceptionnellement difficiles se fonde certes sur notre fond culturel malmené, mais encore intact et sur l’aptitude historique que nous avons développée depuis 1960 à affronter les remises en cause les plus éprouvantes. Mais cette résilience intègre aussi les acquis implicites de la démocratie comme l’attachement à la liberté d’expression et le goût retrouvé du choix démocratique, tel qu’il s’est exprimé lors de la dernière présidentielle.

 

L’ESPRIT DU 26 MARS. « Mali : entre doutes et espoirs » doit cependant être accepté pour ce qu’il est, un précieux préliminaire à un effort d’investigation plus poussé. L’ouvrage présente en effet des limites objectives. Tout d’abord, les différents auteurs de l’équipe multidisciplinaire se sont astreints à une obligation de concision et seraient donc en mesure de produire des analyses plus détaillées. Ensuite, écrit au moment de la Transition (en début d’année 2013) l’ouvrage ne disposait ni du recul nécessaire, ni des récents éléments d’information pour analyser entièrement le comportement de la junte militaire. Il ne pouvait non plus évaluer l’action du pouvoir de transition, encore moins revenir sur les premières leçons de la libération du Nord du Mali et sur celles délivrées par les consultations présidentielle et législatives. La réflexion ainsi entamée sera-t-elle poursuivie ? La question vaut d’être posée. Car au cours de ces vingt dernières années, s’il y a bien eu une constante dans la pratique démocratique malienne, c’est bien la réticence à s’évaluer.

Nous ne parlons pas de ces messes convenues comme par exemple le complaisant atelier sur l’expérience du consensus politique qui sous le président Touré substitua le panégyrique à l’analyse. Nous évoquons une véritable entreprise intellectuelle avec la participation des personnalités marquantes de la vie publique. C’est sans doute ce genre d’initiatives qui a manqué pour maintenir vivace sinon dans toute la population, au moins dans la génération montante, l’esprit du 26 Mars. Car il faut constamment se rappeler que les principes qui ne s’entretiennent pas sont autant de valeurs condamnés à l’étiolement et à la disparition. Pour se convaincre de cette triste vérité, il suffit de relever la prolifération des positionnements opportunistes après le 22 mars 2012. Il y a une différence de taille entre approuver le coup d’Etat (comme le firent de nombreux citoyens) et aller faire allégeance aux putschistes (ce à quoi s’adonnèrent certains cercles). Les auteurs du coup de force se seraient-ils aussi rapidement abandonnés à toutes leurs dérives s’ils s’étaient sentis obligés de composer avec une classe politique assurée de son assise populaire et avec une société civile capable de peser sur le cours des événements ? Sanogo et ses compagnons se seraient-ils convaincus de leur omnipotence et de leur impunité s’ils n’avaient pas été littéralement assiégés par les courtisans empressés, désireux de trouver leur place dans ce qu’ils pensaient être un ordre nouveau ? L’absence de réels obstacles aux projets des putschistes et qui avait permis à une mutinerie de se transformer en coup d’Etat s’est maintenue au cours de la Transition. C’est elle qui explique toutes les effarantes déviations que met aujourd’hui à découvert l’enquête du juge Karambé.

Il ne faut cesser de le répéter, la démocratie au Mali comme dans la plupart des pays africains souffre d’un handicap majeur, l’absence de contrepouvoirs réels qui faciliteraient un fonctionnement satisfaisant des institutions, un comportement éthique de l’administration publique, l’impartialité de la justice et un usage raisonné de la liberté d’expression. Les événements qui ont précédé le putsch et les excès survenus après le coup d’Etat ont démontré à quel point pouvait se révéler dramatique ce manque. Car, comme le disait un auteur grec, le bon droit dépourvu de la force n’est qu’une échelle sur laquelle monte l’arbitraire.

 

DES CHOIX INVALIDÉS PAR LA RÉALITÉ. Cette force s’insuffle-t-elle aujourd’hui ? Nous rejoignons l’opinion exprimée par un confrère et par un juriste interrogé en fin de semaine dernière par l’ORTM : actuellement les simples citoyens suivent beaucoup plus attentivement et commentent beaucoup plus librement le comportement des personnalités publiques. Pour le moment, cette vigilance citoyenne est spontanée, faiblement structurée (de jeunes associations sont au tout début de leurs activités) et délibérément passive.

Mais elle est susceptible d’évoluer et de s’organiser si elle juge nécessaire de faire entendre. Une telle évolution serait profitable à la qualité de notre vie publique. Il faut remarquer que malgré la différence d’époques, des caractéristiques similaires sont mises en évidence par les deux événements survenus chacun un 22 mars. C’est la perte de contact des élites politiques d’avec le pays profond, l’incapacité de ces élites à interpréter les signaux traduisant les mouvements en profondeur de la société malienne et donc le choix fait par elles de la fuite en avant dans des solutions palliatives. L’existence de cet engrenage pouvait s’expliquer en 1991 par la nature du régime lui-même, le parti unique ne favorisant pas la remontée des attentes du pays réel, ni l’expression des voix alternatives, encore moins la recherche concertée des voies de sortie de crise. En 2012, la démocratie offrait en principe toutes ces possibilités de désamorcer la tension, mais celles furent annihilées par le déficit d’écoute des autorités et l’obstination de ces dernières à prolonger des choix invalidés par la réalité.

En cette veille d’anniversaire du 26 Mars, il serait utile de garder à l’esprit que toute société a besoin de ceux que les Anglo-saxons désignent comme les « whistle blowers », les personnalités, les institutions ou les organisations qui sifflent une faute et qui donnent ainsi l’alarme. Ce sont ces veilleurs qui empêchent une démocratie de s’ankyloser, de se dénaturer et donc de s’exposer à un réveil brutal. Les anciens Romains qui savaient mesurer la fragilité des choses (même s’ils ne surent prévenir le déclin de leur empire) aimaient rappeler que la Roche tarpéienne n’est pas loin du Capitole. Dans la Rome antique, le second (qui est une colline) abritait tout à fois le Champ de mars sur lequel les généraux vainqueurs organisaient des parades triomphales et la fameuse Roche à partir de laquelle les condamnés à mort étaient précipités dans le vide. Au moins un général illustre connut la gloire extrême et l’extrême infamie. Le 22 mars illustre à suffisance cet appel à la veille permanente, appel à adresser à la démocratie malienne. A force de ne considérer que le Capitole, cette dernière était en effet sur le point de se faire précipiter de la Roche.

G. DRABO

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