Les bras levés, il prend le temps de faire le tour du public, avant de se diriger vers l’estrade dressée au bout de ce vaste terrain vague, principal lieu de célébrations publiques à Am-Timan. Dans cette grosse bourgade du sud-est du Tchad, chef-lieu du Salamat, sa province d’origine à la lisière du Soudan et de la Centrafrique, Mahamat Assileck Halata est en campagne électorale, ce jeudi 2 mai, au profit du général Mahamat Idriss Deby Itno alias MIDI, président d’une transition qui dure depuis trois ans et qui se présente pour la première fois devant les électeurs lundi 6 mai.
L’enjeu officiel de ce scrutin est le retour à l’ordre constitutionnel, rompu le 20 avril 2021 lorsque l’armée a installé au pouvoir ce jeune officier, en remplacement de son père, Idriss Déby Itno, maître absolu du pays durant plus de trente ans, tué la veille au front par des rebelles.
Mais pour celui qui, selon son autobiographie, « De Bédouin à Président », parue en mars, aurait dit aux chefs militaires venus le solliciter « je ne suis pas fait pour être président », il s’agit surtout de légitimer son pouvoir et de s’affranchir de l’héritage de son père.
Devant le « général-président », fort du soutien de plus de 200 partis politiques et associations et qui vise « un premier tour KO », se dressent neuf candidats. Mais un seul semble en mesure de jouer les trouble-fêtes face-à-face lui: le leader du parti des Transformateurs, Succès Masra, 40 ans comme le président sortant, naguère virulent pourfendeur de la « dynastie Deby » et farouche opposant à la transition, devenu Premier ministre en janvier dernier après avoir signé, quelques mois plus tôt, un accord de réconciliation avec le pouvoir.
Tout au long de la campagne électorale, cet ex économiste en chef à la Banque africaine de développement (BAD) passé par Sciences Po et Harvard, a attiré d’imposantes foules, s’imposant comme un prétendant sérieux au fauteuil présidentiel, malgré les attaques d’une partie de ses anciens alliés de l’opposition radicale qui boycotte le scrutin, l’accusant d’être un « traître » qui veut « donner un vernis démocratique » à une élection « jouée d’avance ».
« Je suis rentré dans le cockpit de la transition comme copilote pour m’assurer qu’on n’atterrisse pas à l’aéroport de la dynastie, mais à l’aéroport de la démocratie », s’est expliqué, ce redoutable tribun, un peu faraud, qui prétend, lui aussi, pouvoir gagner dès le premier tour.
« Pour la première fois, le Tchad sera à vous, Tchadiens et Tchadiennes, pour une victoire dès lundi », a t-il harangué samedi à la clôture de sa campagne à l’hippodrome de N’djamena, avec son ton habituel mêlant l’accent d’un pasteur évangéliste illuminé et les éléments de langage modulés des publicistes.
Si dans ses différents discours de campagne, le « général-président » s’est rarement attardé sur « son » premier ministre, se contentant une fois ou deux de moquer « un stage de 45 jours à Harvard qui vous tourne la tête », son entourage semble faire du cas Masra une obsession.
Jeudi à Am Timan, où il vient d’arriver, traversant plus 800 kilomètres de routes chaotiques depuis la capitale à la tête d’une immense caravane électorale de plusieurs dizaines de voitures, Mahamat Assileck Halata, qui fait office de directeur adjoint de la campagne du président-candidat, a consacré une grande partie de son discours au chef des Transformateurs. Vingt minutes de rafales virulentes contre cet adversaire avec lequel il a pourtant, un moment, cheminé lorsque tous les deux étaient installés en France. C’était avant que l’actuel ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Habitat et de l’Urbanisme, passé lui aussi par Sciences Po, mette fin à un exil qui a duré plus de trente ans. Comme beaucoup d’autres Tchadiens, l’ex opposant est rentré au pays en 2022 à la faveur d’un accord signé sous l’égide du Qatar entre le pouvoir et une grande partie de l’opposition, dont le groupe politico-militaire auquel il appartenait et qui avait plusieurs fois, par le passé, tenté de renverser le pouvoir à N’djamena.
« Masra est un sectaire. C’est une menace pour la paix, la stabilité et l’unité du pays. Il veut nous diviser entre Nordistes et Sudistes, Musulmans et Chrétiens. Il veut nous ramener à la pire période de notre histoire », clame-t-il, devant un public manifestement acquis, en référence à la violente guerre civile ayant opposé à la fin des année 1970, le gouvernement alors dominé par les élites chrétiennes et animistes du sud du pays aux nordistes musulmans avant que ce dernier prennent le pouvoir qu’ils contrôlent toujours. Une situation que le sudiste Masra a souvent dénoncée par le passé. Mais l’homme qui depuis son entrée en campagne électorale s’affiche, curieusement, vêtu de la traditionnelle djallabiya des Musulmans, semble aujourd’hui moins enclin à l’évoquer.
Source : Apanews