L’ancien président Olusegun Obasanjo, qui a introduit la forme occidentale de démocratie libérale au Nigeria, a déclaré que cette même démocratie occidentale n’a pas réussi à fonctionner comme système de gouvernement en Afrique parce qu’elle a été imposée par les puissances coloniales.
Il a fait ces remarques lors d’une conférence sur le sujet “Repenser la démocratie libérale occidentale pour l’Afrique” tenue dans sa bibliothèque présidentielle. L’ancien président a défini la démocratie libérale occidentale comme un « gouvernement de quelques personnes sur l’ensemble du peuple ou de la population » qui néglige les opinions de la majorité. Ce système de gouvernance a été conçu sans prendre en compte l’histoire africaine et les complexités multiculturelles, a-t-il ajouté.
“Nous avons un système de gouvernement dans lequel nous n’avons aucune main pour définir et concevoir, et nous continuons à le maintenir, même si nous savons qu’il ne fonctionne pas pour nous”, a déclaré monsieur Obasanjo, proposant une “démocratie afro-centrée” adaptée aux besoins des citoyens du continent. “Nous devons nous interroger sur les performances de la démocratie en Occident – d’où elle est originaire – et avec nous, les héritiers de ce que nous laissent ces puissances coloniales“, a-t-il insisté.
Nous ne saurions mieux dire. Nous remercions l’ancien Président pour sa sagesse, courage et abnégation, et nous lui souhaitons la bienvenue dans le cercle des illuminés. Nos populations sont aujourd’hui suffisamment édifiées quant aux responsabilités de la situation actuelle et le constat général est sans équivoque – Les actions et décisions prises au nom de cette démocratie néolibérale au cours de ces dernières décennies ont affamé nos peuples, détruit nos tissus sociaux et économiques et mis nos pays dans le chaos actuel. Il est sans doute grand temps d’arrêter l’hémorragie.
Ce modèle de démocratie imposé à nos pays pour des raisons géopolitiques s’est essoufflé. Les révoltes populaires, les rébellions, les scandales politiques, financiers et militaires donnent l’impression profonde que notre façon de faire et de vivre ne conviennent plus. Il faut changer de logique et reconnaître les pensées fausses. Les moments difficiles que nous vivons offrent à nous tous une occasion unique de remodeler les politiques de gouvernance à l’image de notre culture et de notre identité, d’en faire un véritable instrument de changement capable d’améliorer la vie des citoyens de nos nations.
Nous devons nous engager ensemble pour construire des projets de redressement national et régional afin de recréer l’espoir et changer la vie. Nos peuples aspirent à des politiques tournées vers l’avenir et fondées sur une vision capable de porter leurs aspirations pour les cinquante décennies à venir et au-delà. Il nous appartient aujourd’hui, comme d’autres l’ont fait avant nous à travers l’œuvre de Kurukanfuga en 1235, d’entreprendre la construction d’un projet politique et social ancré dans les valeurs qui sont les nôtres et suffisamment fort pour porter les permanences et les nécessaires changements.
Bien entendu, l’actuel gouvernement nigérian a réagi en accusant l’ancien dirigeant d’être responsable du système actuel du pays, affirmant qu’il avait joué un rôle direct dans son adoption. Le chargé de communication du gouvernement a insisté sur le fait que monsieur Obasanjo aurait dû considérer cela comme coûteux et inadapté lorsqu’il gouvernait le pays pendant huit ans.
Notre réponse à cette critique est très claire, chaque humain est rempli de contradictions, bien sûr chacun évolue au fil du temps et selon l’adage, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Mais encore et toujours à cet égard, il est plutôt malheureux de constater que le président Bola Ahmed Tinubu, qui préside actuellement le bloc régional ouest-africain de 15 pays de la Cédéao, se soit engagé à renforcer l’engagement de certains pays occidentaux en faveur de la démocratie néolibérale en Afrique, qu’il a décrite comme la meilleure forme de gouvernance.
Nous avons toujours souligné que l’incompétence et la maladresse de nos politiques face aux problèmes de société ont quotidiennement des conséquences fatales sur nos populations et menacent nos pays dans leur existence. Après ces périodes de turbulences sociopolitiques en Afrique, nous pensons que beaucoup de dirigeants africains ont encore beaucoup à apprendre en ce qui concerne les politiques de gouvernance dans nos pays et les conséquences des politiques mal réfléchies sur nos populations.
Il va sans dire que l’ensemble de ces politiques mal réfléchies seront toujours une menace imminente pour la sécurité de nos nations et un sérieux danger pour leur survie. En effet, les critiques de monsieur Obasanjo surviennent alors que le continent est en proie à une instabilité politique aggravée, alimentée par des révoltes populaires et des coups de forces militaires en réponse aux échecs des dirigeants de ces démocraties abâtardies. Pourtant, notre histoire doit être un repère pour nous tous. Les réussites et les échecs de nos aînés doivent toujours éclairer davantage le présent et l’avenir.
Or, et malgré que les valeurs et mode de gouvernance importés et imposés à nos pays depuis plus de trois décennies aient lamentablement échouées et trahies nos peuples, ces dirigeants catéchisés et abroutis par l’école et la pensée occidentale continuent de vouloir faire payer à nos jeunes la disparition inexorable de nos repères et de nos valeurs ainsi que la lourde facture d’une gestion des affaires publiques calamiteuse depuis nombre d’années.
Cependant, et bien que nos populations souffrent énormément, cette situation catastrophique imposée à nos pays par ces démocrates endoctrinés est fort heureusement entrain de forclore cette parenthèse calamiteuse prétendument démocratique.
C’est à nous maintenant de faire face à nos responsabilités citoyennes en prenant part à l’écriture de notre destin collectif. En effet, les défis auxquels nous faisons face actuellement devraient être une grande opportunité pour nous d’apprendre davantage et de mieux préparer l’avenir. Les grands défis sociaux qui traversent et fragilisent nos sociétés sont autant de sujets vitaux qui réclament des réponses nouvelles et audacieuses. Une chose est sûre, nous faisons face à un choix épique.
Nous vivons des moments inédits qui seront consignés dans l’histoire. C’est pourquoi, nous ne pouvons plus continuer à ignorer les causes de la crise que nous vivons. La construction d’un meilleur modèle de gouvernance adaptée à nos valeurs et aux nouveaux enjeux, d’une croissance économique durable et la renaissance de l’idéal africain font partie des défis qui nous attendent.
Cheick Boucadry Traoré
Mali Tribune