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Tribune: Aux origines de la crise malienne

Minusma, Barkhane, G5 Sahel… Malgré les multiples dispositifs mis en place depuis janvier 2013, la situation sécuritaire au Mali reste plus que préoccupante. Quelle sont les finalités des actions militaires menées au Mali ? Quelle est l’utilité de cette présence militaire étrangère ?

Nul n’ignore le contexte du déclenchement de la rébellion qui ébranla le Nord-Mali fin 2012, ni la manière dont des Touaregs de la région de Kidal, puis des groupes extrémistes violents et partisans d’un islam rigoriste (Ansar Eddine d’abord, Al-Qaïda au Maghreb islamique et, plus récemment, le Front de libération du Macina) firent trembler Bamako.

Nul n’ignore non plus que les régions de Kidal, Tombouctou et Gao ont sombré dans le chaos avant que l’opération Serval, conduite par l’armée française à partir de janvier 2013, ne rétablisse un semblant de stabilité et d’accalmie dans le pays.

Mais bien avant cette intervention, il existait des éléments factuels de nature à inquiéter. On peut citer notamment la présence des narcotrafiquants, qui agissaient très souvent avec la complicité de la chefferie locale et d’une certaine hiérarchie militaire.

Le septentrion malien constituait depuis longtemps déjà un terreau favorable à la constitution et au développement de groupes de terroristes et de bandits armés. Ils y régnaient en maîtres, mettant en difficulté un État par ailleurs miné par la corruption et qui, de ce fait, rencontrait d’énormes difficultés à assurer aux populations locales les services sociaux de base.

Un chaos généralisé
Mais la présence d’armées étrangères ne suffit pas à résoudre le problème sécuritaire que posent ces groupes dans le nord, et maintenant dans le centre, du pays. Ceux-ci demeurent très actifs et multiplient les attaques contre les civils et les forces de sécurité. Les milliers d’hommes déployés sous la bannière de Barkhane (qui a pris la suite de Serval en 2014), de la Minusma et de la force du G5 Sahel n’y ont rien fait, ou presque.

Aujourd’hui, les populations locales sont désemparées et apeurées, et l’on peut légitimement s’interroger sur la finalité des actions militaires entreprises au Mali aussi bien que sur l’utilité de la présence de toutes ces forces d’intervention qui, de par leur nombre, peuvent donner l’impression d’un chaos généralisé.

HAPPÉ PAR CETTE FRÉNÉSIE MILITAIRE, ON EN OUBLIE QUE L’INSÉCURITÉ EST D’ABORD NOURRIE ET ENTRETENUE PAR LA CORRUPTION DES ÉLITES

La communauté internationale mise beaucoup sur le G5 Sahel. La France, pour ne citer qu’elle, espère qu’il lui permettra de se désengager de la sous-région, de contrôler les routes de l’immigration clandestine et de sécuriser ses intérêts économiques à moindre coût, tout en se prémunissant contre de possibles attaques terroristes commanditées depuis les confins du Sahara.

Cette force conjointe a déjà mené deux missions expérimentales à la frontière du Burkina et du Niger : les opérations Hawbi (« vache noire », en songhaï), en novembre 2017, puis Pagnali (« tonnerre », en peul), en janvier. Cette dernière a réuni 350 soldats burkinabè, 200 Nigériens, 200 Maliens et 180 éléments de Barkhane.

Frénésie militaire et corruption
Happé par cette frénésie militaire, on en oublie de rappeler que l’insécurité est d’abord nourrie et entretenue par la corruption des élites au pouvoir. C’était le cas avant 2012, et ça l’est encore aujourd’hui. Dans un rapport daté d’octobre 2014 qui avait fait grand bruit, le Bureau du vérificateur général s’interrogeait déjà sur les modalités d’achat d’un aéronef et de matériel militaire.

Trois ans plus tard, il écrit encore que « les défis restent énormes face à la délinquance économique et financière », citant le non-respect des textes législatifs, l’attribution irrégulière de marchés, des dépenses non autorisées, des dépassements budgétaires, l’utilisation irrégulière des ressources financières, etc.

L’OUTIL SÉCURITAIRE DOIT SE DOUBLER D’UNE BONNE GOUVERNANCE ET D’UNE DISTRIBUTION ÉQUITABLE DES SERVICES SOCIAUX DE BASE

L’outil sécuritaire doit se doubler d’une bonne gouvernance et d’une distribution équitable des services sociaux de base. Ajoutons aussi qu’il est inefficace de mettre sous tutelle les forces de défense et de sécurité du Mali : on ne vient pas en aide à une armée souveraine en la laissant sur la touche.

Il faut donc renforcer la coopération militaire entre les forces en présence (car qui dit force conjointe ne dit pas nécessairement coopération effective) et prendre davantage en compte l’ingénierie locale dans l’élaboration des stratégies, tant il est vrai que, par endroits, hiérarchie sociale et logique militaire sont antinomiques. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra instaurer une paix durable au Mali.

Par Aly Tounkara

Enseignant-chercheur à l’université de lettres et sciences humaines de Bamako

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