Le trafic ferroviaire entre Bamako et Diboli est à l’arrêt depuis mai 2018. Un plan d’urgence de relance avait été adopté en 2019 pour le ressusciter, mais le projet ne s’est pas concrétisé à cause de certaines entraves. Depuis son installation, le gouvernement de transition diligente la mise en œuvre de ce plan. Dans un procès-verbal de conciliation tripartite signé le 5 février 2021, il s’engage à travailler de concert avec l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) et le Conseil national du patronat du Mali (CNPM) pour que le train siffle à nouveau « à compter du 31 juillet 2021 ». Une date qui représente une lueur d’espoir pour de nombreuses familles de la région de Kayes et des villages riverains des rails, dont la survie est indéniablement liée aux activités économiques autour du train voyageurs.
La grande horloge de la gare de Kayes-Plateau indique 4h03 minutes. Mais, en ce début d’après-midi de samedi où les lueurs chaudes du soleil kayésien sont encore vives, il est en réalité 13h05. Il n’en faut pas plus pour comprendre. Comme pour signifier l’abandon des lieux, autrefois toujours grouillants de monde, l’horloge a cessé de fonctionner. De celui de l’arrivage à celui dédié aux bagages, tous les bureaux sont fermés.
Dans ce grand espace, herbes, sachets plastiques et cailloux ont envahi les rails, laissant entrevoir que ceux-ci ont cessé d’être en contact avec la bande de roulement des roues des trains depuis belle lurette. Un cheminot, visiblement plongé dans ses pensées, le regard hagard, est assis seul devant une concession qui semble être son « chez soi ». Arraché à son « escapade », par notre salutation, il s’empresse de lancer un « M’ba » à la volée et détourne rapidement le regard.
De l’autre côté de la gare, qui fait face à la route bitumée, l’ambiance n’est pas plus gaie. Des boutiques sont ouvertes et, devant elles, tout juste en bordure du goudron, des femmes sont installées devant leurs petits commerces. Awa, la cinquantaine, est visiblement épuisée. Assise devant ses marchandises à même le sol, elle somnole. Sous la bâche qui voile les articles qu’elle vend, on aperçoit quelques feuilles de plantes de médecine traditionnelle.
« Nous ne pouvons pas énumérer toutes les difficultés que nous avons. Depuis l’arrêt du train, tout s’est arrêté. Nous passons le temps à dormir, il n’y a rien. Celui qui réussira à nous ressusciter, parce que nous sommes comme morts, aura beaucoup de bénédictions », confie-t-elle, sur un ton de supplication.
Elle, dont l’activité principale était de vendre des œufs qu’elle commandait à Bamako et qui arrivaient par le train, et qui se déplaçait même sur Lomé pour acheter des marchandises, a vu son commerce s’écrouler.
« Nous fondons beaucoup d’espoirs sur la reprise du train. Cela nous permettra non seulement de vendre, mais aussi d’acheter des marchandises », soupire-t-elle.
À quelques mètres, Madame Niaré M’ba Cissé vient de finir de replacer des oranges sur l’un de ses étals, à côté de bananes et d’autres fruits. « Nous sommes vendeuses à la gare, mais plus rien ne marche. Avec l’arrêt du train, il n’y a plus d’affluence. Nous avons été doublement peinées depuis plusieurs années, parce que nos maris, qui sont cheminots, ne travaillent pas non plus. Nous avons même du mal à nous soigner. Nous vivons vraiment dans la précarité », se lamente celle qui lance également un cri du cœur pour la reprise rapide du trafic ferroviaire.
Une reprise vitale
En 2003 les gouvernements du Mali et du Sénégal ont signé une concession du Chemin de fer Dakar – Bamako à la société Transrail. Cette privatisation, qui n’a pas eu les effets escomptés, notamment la modernisation du chemin de fer et la relance des activités, a entrainé la fin de la concession en 2016.
En attendant de mettre en œuvre une nouvelle réforme institutionnelle, avec la création d’une société de patrimoine ferroviaire dans chacun des deux États, il a été mis en place une société transitoire, Dakar Bamako Ferroviaire (DBF), qui a pris en main la gestion du chemin de fer jusqu’en 2018, date à laquelle le gouvernement malien mettra fin à la phase transitoire en créant la Société de patrimoine ferroviaire du Mali (SOPAFER).
En novembre 2019, six mois après l’arrêt du trafic ferroviaire, cette dernière a tablé dans son programme 2019 – 2020 sur la mobilisation de près de 10 milliards de francs CFA pour la réhabilitation et la relance de la ligne Bamako – Diboli, un segment de la voie Bamako – Dakar.
Ces fonds devraient servir aux travaux de remise à niveau de 586 km de rails, à la réhabilitation de 19 gares ferroviaires et des dépôts et ateliers de maintenance, à l’acquisition de locomotives ainsi que d’outillage pour l’entretien et la maintenance du matériel roulant.
Cette réhabilitation, principal axe du plan de relance d’urgence du chemin de fer, n’était pas arrivée à terme avant la chute du régime IBK, en août 2020. La transition politique a repris le dossier et s’active au redémarrage du train voyageurs.
« J’engage le ministre Dabo à entreprendre toutes les démarches nécessaires pour lever au plus tôt les entraves à la relance de l’activité ferroviaire », a déclaré le Premier ministre Moctar Ouane en marge de l’inauguration du 2ème pont de Kayes, le 27 février.
« Nous sommes résolument engagés, au département, à assurer la mise en œuvre du plan d’urgence de relance du chemin de fer Bamako – Kayes dans les meilleurs délais, en vue de redonner espoir aux riverains et aux usagers des rails », a assuré le ministre Makan Fily Dabo, soulignant être conscient que la relance du trafic ferroviaire contribuera non seulement à promouvoir l’économie locale mais aussi à réduire la paupérisation.
« La relance de l’activité ferroviaire est plus qu’une priorité, c’est véritablement une question vitale, aussi bien pour Kayes que pour tous les villages riverains des rails », a-t-il prôné
Selon le procès-verbal de conciliation du 5 février 2021 entre le gouvernement de transition, l’UNTM et le CNPM, une commission sera mise en place pour plancher sur tous les points liés à la relance du chemin de fer, notamment l’aménagement des voies, l’acquisition de locomotives, la libération des emprises du chemin de fer et le paiement régulier des salaires.
Sur l’acquisition des locomotives, à en croire Issa Bengaly, Secrétaire administratif de l’UNTM, après une mission envoyée aux USA pour discuter avec le fournisseur, les experts ont conclu qu’elles n’étaient pas de bonne qualité et que certaines conditions posées par les Américains n’étaient pas favorables.
« Le gouvernement s’est donc tourné vers un fournisseur malien qui doit avoir des locomotives à Abidjan. Les négociations seraient en cours », nous confie-t-il.
Concernant l’aménagement des voies, deux phases ont été déjà exécutées, le débroussaillement et le décapage, en attendant la dernière phase, qui sera prochainement lancée.
Trois mois de salaires des cheminots, sur la période de juillet 2020 à maintenant, sont également en cours de traitement au niveau du Trésor public et attendus « impatiemment ».
Ultimes espoirs
Dans la cité du chemin de fer, à Kayes, chaque jour qui passe est nourri de grands espoirs d’approche du bout du tunnel. Au siège de l’Association des femmes des cheminots, en ce début d’après-midi, elles sont quatre. Visiblement pressées de quitter les lieux pour une rencontre quelque part en ville, elles trouvent le temps de faire part de leur « calvaire » depuis l’arrêt du trafic ferroviaire, il y a bientôt 3 ans. Elles qui ne fondent leurs espoirs de retrouver une vie normale que sur la reprise du train voyageurs.
« Nous attendons vivement le redémarrage du train, même aujourd’hui cela nous ferait plaisir. Le gouvernement a fait beaucoup de promesses », dit Madame Keïta Mariam Keïta, la Présidente.
« Nous n’attendons que le sifflement du train. Tant que nous ne l’entendrons pas, nous ne serons pas rassurées. Cela nous réjouira, parce que nos maris retrouveront du travail, nos enfants seront mieux éduqués et nous aurons des revenus », espère celle qui affirme que, de Diboli à Koulikoro, « tout le monde est fatigué » et que des couples ont été séparés, que des villages ont disparu, que des familles ont été disloquées.
À côté, Madame Dansoko Fatoumata Traoré, visiblement lasse de la situation et très remontée contre les autorités maliennes, n’attend pas que sa camarade finisse avant d’enchainer : « que le gouvernement nouspaye ce qu’il nous doit. Nous avons assez souffert comme cela, nous sommes des mères de famille », crie-t-elle. « Pour l’amour de Dieu, qu’il paye les retraités et les familles de ceux qui sont morts avant de toucher leur dû. C’est de cela et du redémarrage du train dont nous avons besoin », implore la sexagénaire.
Pour Madame Sissoko Mama Sissoko, membre également de l’association, dès que le chef de famille souffre, c’est tout le monde qui en pâtit, femme et enfants. Sur un ton triste, elle explique avoir même été « obligée d’enlever ses enfants des écoles privées ».
« Nous avons été privés d’eau et d’électricité, mais nous nous sommes débrouillés pour les faire rétablir. Chaque jour de nouvelles promesses. Certains hommes sont partis dans d’autres localités pour travailler et subvenir aux besoins de leurs familles ».
Visiblement de nature taciturne, elle ne veut pas au premier abord se confier. Mais les autres finissent rapidement par la convaincre que cela en vaut la peine. Madame Thiam Mafing Coulibaly nous explique alors que son mari électricien et elle vivent dans la cité des chemins de fer, avec « beaucoup de contraintes ».
« Nous encourageons vivement le gouvernement à la reprise du trafic. Ne serait-ce que pour le petit commerce que nous faisons. Si le train circule, cela nous aide beaucoup », indique-t-elle.
De retour à l’intérieur de la gare, Drissa Traoré, entouré d’une dizaine d’hommes, est assis devant l’un des bureaux des divisions fermées. Le Secrétaire général du Comité syndical UNTM Kayes n’en demeure pas moins impacté par l’arrêt du train voyageurs.
Mais il est optimiste quant à la reprise rapide du trafic, pour le bonheur des cheminots, qui tirent le diable par la queue avec les « petits soutiens de frères, sœurs et parents, qui ne peuvent pas être continuels ». « Nous ne pouvons pas rester comme ça, c’est une situation très misérable », déplore-t-il, le regard empreint d’amertume.
Germain Kenouvi
Source : Journal du Mali