L’Armée de libération nationale algérienne a mené la guerre sur 3 fronts :un front intérieur et deux fronts extérieurs. L’un au Maroc et l’autre en Tunisie. Donc, il faut dire rapidement que sur le plan stratégique, il manquait un troisième front, c’est-à-dire le front sud. Il ne pouvait pas être créé parce que le Mali n’était pas indépendant et c’était l’occupation étrangère.
Mais, à partir du moment où le Mali a pris son indépendance, dans les conditions que l’on connaît, c’est-à-dire l’éclatement de la Fédération du Mali, il était évident pour les observateurs que les stratèges algériens allaient chercher à créer le front sud. Les Français, eux–mêmes, ne se faisaient aucune illusion dans ce cadre. C’est ainsi qu’en 1960, avec le commandant militaire de la région de Gao, un chef de bataillon, j’eus le dialogue suivant.
Il me dit : M. Diallo, si vous décidez de prendre votre indépendance, c’est votre droit. Le Général De Gaulle le veut ainsi. Ce que je vais vous dire, c’est que, nous ne partirons jamais de Tessalit. Nous avons une guerre en Algérie et nos arrières à surveiller. Nous avons perdu la guerre d’Indochine, mais l’Indochine n’est pas l’Algérie et nous ne sommes pas prêts à perdre la guerre d’Algérie. Vous devinez bien que je n’ai pas cru devoir accepter d’engager avec cet officier sur cette question, un quelconque dialogue.
Après que Modibo eut demandé l’évacuation définitive de toutes les bases militaires françaises installées au Mali, ils ont été obligés d’évacuer également Tessalit. Effectivement, Tessalit, par rapport à la guerre de libération d’Algérie, était un point très important. J’ai personnellement assisté à l’évacuation de cette base. Je vous assure que c’était très émouvant. J’ai assisté à la descente du drapeau français et à la montée du drapeau malien. J’étais avec le ministre de la Défense du Mali à l’époque, Mamadou Diakité.
La première mission que j’ai reçue à Gao pour préparer l’arrivée des éléments du front sud, était accompagnée par Franz Fanon, à l’époque ambassadeur du FLN à Accra. Fanon était accompagné par un lieutenant de l’ALN. À l’époque, l’armée française n’avait pas évacué les bases qu’elle occupait au Mali. Force était donc pour nous agir dans la plus grande discrétion. Ainsi, j’ai logé ces cadres algériens dans ma résidence, dans les appartements réservés aux hôtes de marque.
L’objet de cette mission était la reconnaissance de la frontière algéro-malienne. Sans tarder, je me suis donc mis à préparer cette mission que je devais confier au chef de la circonscription administrative qui, à l’époque, était dirigée par un cadre malien d’origine arabe, Mohamed Ould Najim. Néanmoins, j’ai mis dans cette mission mon propre adjoint qui était alors le frère Tidjani Guissé qui, d’ailleurs, fut le premier ambassadeur du Mali en Algérie indépendante.
La mission Fanon resta quelque 3 jours avec moi à Gao dont j’ai gardé des souvenirs inoubliables. Nous avons passé des nuits entières à causer sur les problèmes africains et sur les problèmes politiques en généal. J’ai été très impressionné par l’officier algérien qui accompagnait Franz Fanon, qui discutait d’égal à égal avec ce célèbre auteur sur tous les sujets, tant politiques que philosophiques.
J’ai dit plus haut que l’armée française était toujours sur ses bases maliennes. Il faut observer également que l’organisation militaire française de l’époque était que les troupes françaises qui occupaient ces régions, dépendaient de l’état-major installé à Niamey au Niger. Raison de plus pour redoubler notre vigilance et notre discrétion, car nous n’avions pas les mêmes visions que nos frères Nigériens à l’époque.
Cette mission partit donc sur Kidal d’où elle devait entamer sa mission à partir de Tessalit. Précisément à partir de Borj, à la limite de l’Algérie et du Mali. Il portait les noms d’un sous-officier français que les troupes algériennes qui ont occupé les lieux ont rebaptisé rapidement Borj «Sidi EL Moctar.» J’ai parlé de discrétion, donc le subterfuge trouve était d’habiller Franz Fanon et son compagnon en militaire, c’est-à-dire avec des gandouras et l’armement des goumiers de l’époque. C’est dans ces conditions que les deux cadres algériens et leurs accompagnateurs entamèrent une mission qui a duré dix jours, la frontière s’étendant sur au moins un millier de kilomètres. À leur retour, la mission Fanon est restée encore quelques jours avec moi et a continué sur Bamako et Conakry d’où elle a rejoint Oujdah.
La seconde mission que j’ai reçue à Gao, pour cette fois-ci, l’installation définitive du front était dirigée par le frère Sy Abd El Kader alias Abdel Aziz Bouteflika. Néanmoins, pour les présentations, ils étaient accompagnés par le frère Taïb Ahmed qui, je crois, était à l’époque le second du colonel Boumediene, chef d’état-major général de l’ALN. Je garde de cet homme -je parle de Sy Taïb-un souvenir intarissable. C’était un homme haut en couleur, très disert surtout sur ses différents voyages dans les pays qui, à l’époque, aidaient nos frères algériens pour l’indépendance de leur pays.
Taïb Ahmed m’a présenté le jeune SY Abd El Kader qui, à l’époque, n’avait pas 25 ans, dans des termes très élogieux. Et je crois qu’il l’a même comparé, quelque part, à Laurence D’Arabie. Je pense qu’il n’a pas tellement exagéré, car à l’époque ce jeune était brûlé par un feu intérieur qui en faisait un militant enthousiasmé, prêt à tout. La mission était composée, outre de Sy Abd El Kader alias Bouteflika, de SY Mohamed Chérif Messadia, Sy Ahmed alias Ahmed Draya et Sy Abdallah alias Belouchette.
La mission se mit tout de suite au travail. À l’époque, nous avons pu mettre à leur disposition une large documentation car les fameux officiers des affaires musulmanes, qui pullulaient alors dans la région et qui dépendaient directement du gouvernement français, précisément du ministère qui était alors coiffé par l’ancien gouverneur général de l’Algérie, avaient, dans leur précipitation, laissé avec nous une large documentation. Elle a, donc, servi Sy Abdel Kader et frères à se faire une première idée. Sur l’importance de la population algérienne qui résidait non seulement dans la région de Gao, Tombouctou, Kidal et à Niamey.
L’importance de cette population algérienne dans ces régions s’explique par l’intensité des relations commerciales qui existaient entre nos régions et le sud algérien, relations facilitées par l’existence d’une très bonne route qui était entretenue par un service que l’on appelait le «Mer Niger».
Il y avait un projet français qui avait pour objet de relier le Maghreb avec les régions de Gao et de Niamey. Ce projet qui partait de colombéchar venait à Gao. Et dans les prévisions, cette route ou même ce chemin de fer devait rejoindre la mer par le territoire marocain dans un port, je crois, appelé Abadia. J’ai parlé de l’intensité des relations commerciales entre ces régions du fleuve Niger et le sud algérien. Elle consistait en ce que nous envoyons à ce pays du bétail (des moutons…) et en contrepartie nous recevons des dattes et des tapis.
Donc la mission dirigée par Sy Abdel Kader avait naturellement une masse humaine sur laquelle elle devait travailler pour l’intégrer dans la lutte que le peuple algérien menait contre les troupes d’occupation étrangères. Mais, avant de m’élargir sur ce chapitre, je dois dire que la mission de Sy Abdel Kader a également entrepris le projet de refaire le travail que la mission Fanon a déjà fait, c’est-à-dire, revoir la frontière algéro-malienne.
Donc à nouveau, nous avons mis à la disposition de cette mission la logistique nécessaire pour lui permettre de faire ce voyage. Contrairement à ce que j’avais dit, le frère Béchir n’était pas dans la mission Fanon. Béchir a plutôt participé dans la mission dirigée par Sy Abdel Kader. Cette mission a rencontré les mêmes difficultés que la mission Fanon. Mais, comme les troupes françaises avaient évacué le Mali, elle a travaillé avec plus de liberté, plus de lucidité. Donc elle est arrivée à corriger certaines erreurs commises par la mission Fanon.
Après ce voyage, les frères algériens sont revenus à Gao, ils n’ont pas duré dans ma résidence, car ils ont trouvé à Gao une population algérienne dirigée par un homme exceptionnel nommé Akacem qui a mis tout en œuvre pour mettre à leur disposition une maison. Et cette maison, qu’on appelle la maison d’Algérie, existe encore à Gao. Sy et ses frères s’étaient mis tout de suite à organiser cette population algérienne, à la conscientiser, à lui faire comprendre qu’elle doit participer autant financièrement que militairement à la lutte que le peuple algérien mène depuis 1954 contre l’occupation étrangère.
Notre mérite a été de leur donner toute liberté de comprendre que l’ALN avait les pouvoirs d’un Etat sur le citoyen algérien sur notre territoire et de ne pas chercher à savoir ce qui se passe, car dans toute entreprise humaine, vous avez des hommes volontaires comme il y en a de moins courageux qui ne se rallient pas vite à la cause. J’ai oublié de dire que la mission de Sy Abdel Kader était arrivée à Gao dans les premiers jours de janvier 1961. D’ailleurs, la nouvelle de la mort du président du Congo belge les a trouvés à Gao et nous avons organisé ensemble un meeting pour dénoncer ce crime. Au cours de ce meeting, moi, j’ai pris la parole et également Sy Mohamed Chérif Messadia en Arabe.
Sy Abd El Kader a quitté Gao dans la deuxième quinzaine du mois de mai 1961. Je me rappelle, précisément, cette date parce que j’ai effectué le voyage Gao-Bamako avec lui dans un vol Air Mali. Nous sommes restés ensemble à Bamako pendant quelques jours, parce que je suis venu à Bamako, convoqué par le gouvernement pour une conférence de circonscription. Pendant notre séjour à Bamako, nous avons arpenté ensemble beaucoup de rues de cette ville à pied.
Nous avons visité ensemble la section de transmission de l’armée algérienne installée à Bamako. Après Bamako, on ne s’est revu qu’en 1963, parce que retenu pour la rencontre de Evian. Mais il est resté avec ses compatriotes à Gao. Tout le monde connaît l’efficacité des services de renseignement de l’armée algérienne. Et il est clair que ces services de transmission à Bamako ont rendu d’énormes services à la lutte de libération nationale d’Algérie. Ce que beaucoup ignorent.
La création du front sud a posé des problèmes aux stratèges français. On fait la guerre avec des unités et une des premières tâches de Sy Abd El Kader a été de constituer des unités. Très rapidement, ils sont parvenus à mettre sur pied une unité combattante. À partir de ce moment, ils ne pouvaient plus rester à Gao. Il a fallu donc leur trouver un endroit à proximité de l’Algérie pour l’aguerrissement des combattants. C’est ainsi que nous leur avons désigné un site à Intadénité qui est un Oued très riche en eau. Là, ils se sont installés de manière confortable, et je crois que jusqu’à présent, leurs traces existent sur les lieux. Si une entreprise, que ce soit militaire ou d’affaires, se solde par un succès, les auteurs sont nombreux. Ce n’est que lorsqu’il y a échec qu’il n’est pas du tout difficile de trouver l’auteur.
En 1914, lorsque la France, en guerre avec l’Allemagne, a refoulé les troupes allemandes à quelques kilomètres de Paris dans ce qu’on appelle la bataille de la Marne- à l’époque l’armée française était commandée par celui qui est devenu le Maréchal Joffre- une polémique s’est engagée à propos de la victoire. Après cette victoire, d’aucuns disaient que c’était Galleini, à l’époque gouverneur de Paris, et qui avait mobilisé ce qu’on avait appelé les «files de la Marne. Devant cette polémique, le Maréchal Joffre a eu ces propos : «Je ne sais pas qui à gagner la bataille de Marne, mais je sais que si cela avait été perdu, je l’aurai perdue».
Donc pour nous, la création du front sud a été un succès dans la guerre de libération de l’Algérie et nous sommes fiers de ce succès. Mais nous savons que nous n’avons fait là, que notre devoir car nous savons le rôle que la guerre d’Algérie à jouer dans l’indépendance des pays africains. Si la France a accepté, décidé d’octroyer l’indépendance aux pays africains au sud du Sahara, c’est pour alléger sa tâche et continuer à mener sa guerre en Algérie. Cette victoire, on ne peut pas dire qu’elle est, seulement une fête du frère Abel Kader, mais indubitablement c’est le frère Abdel Kader qui était le chef, et personne parmi ces gens-là ne contestait sa suprématie, sa direction.
Je veux, hélas, conclure cette contribution que je voulais transformer en une véritable défense et illustration des amis avec lesquels nous avons travaillé à Gao, malheureusement mon âge est venu à bout de cette noble ambition. Les meilleurs juges de l’efficacité de ce front sud, de la valeur des hommes, qui ont animé ce front sud, sont les autorités politiques et militaires de l’Algérie de l’époque. Quelle a été leur position ? Il n’y a qu’à souligner quelques faits.
Déjà, dès la composition du premier gouvernement de l’Algérie indépendante dirigée alors par le président Ben Bella, notre ami, le jeune Sy Abdel Kader siégeait dans ce gouvernement comme ministre de la Jeunesse avant d’être nommé, en 1963, ministre des Affaires étrangères, poste qu’il a occupé, à peu près, pendant plus de 15 ans jusqu’à la disparition du président Boumediene. En second lieu, il faut dire que, immédiatement après l’indépendance algérienne, nos camarades Messadia et Akacem Hamadi ont été élus députés du sud algérien.
J’aurais souhaité consacrer des pages entières à Akacem car il a joué un rôle inestimable dans les résultats obtenus par le front sud. Il appartenait à une famille du sud algérien très noble, très connue. Donc, les résultats du front sud sur le plan politique dans cette région, on les doit à cet homme qui n’est pas seulement connu dans le sud algérien, mais aussi à Gao, à Tombouctou, à Niamey.
Pour continuer sur cette lancée, il faut parler de Belouchette, qui a été nommé par les autorités politiques et militaires algériennes comme commandant des unités militaires du sud algérien. À ce titre, il a eu à subir le choc des troupes marocaines dans leur tentative d’envahir l’Algérie en s’emparant de la région de Tindouf.
Le même Belouchette devait se retrouver après à Blida à la tête des unités blindées de l’Algérie qui étaient la force militaire la plus importante, et Blida, comme Belouchette l’a lui-même expliqué, était le clou qui était là pour défendre Alger. Quant à Mohamed Chérif Messadia, il a été nommé à la tête du FLN comme coordinateur, 2ème personnage de ce parti. Et c’est à notre ami Draya que la tâche de la sécurité a été confiée en Algérie.
Un jour, le frère Ahmed Draya m’a dit ceci. J’étais invité, dans sa maison, à un déjeuner, toute sa famille était là, son épouse et ses enfants. Il m’a dit : «M. Diallo, je vous dois tout, les hommes que vous avez en 1961 à Gao étaient des hommes sans grade. Nous venions de passer devant un conseil de guerre présidé par Boumediene lui-même et nous étions l’objet de sanctions très lourdes, tous des officiers dégradés.
Notre présence au Mali nous a permis de nous racheter, de nous réintégrer.» Je n’arrive pas à me débarrasser de la mémoire l’image de cet homme et chaque fois que cela me revient, je ne peux m’empêcher de parodier Aragon qui, en évoquant Gabriel Péri assassiné par des Allemands, disait : «Je n’ai pas oublié la mémoire de celui qui chanta comme un cygne et semblait un prince fait de cette argile de Phénicie dont on n’a jamais retrouvé le secret de grandeur.» Je pense que Draya était Pétri d’une argile spéciale car cet homme n’a jamais oublié ses amis du Mali. Ils lui demandaient cet hommage et que son âme repose en paix.
Je ne sais pas ce qu’on peut dire après ça. Je ne sais pas ce que valent les mensonges, les critiques des falsificateurs de l’histoire qui, pour des raisons purement électorales que le peuple algérien peut juger, se permettent de dire des contre-vérités sur ce qui s’est passé dans le nord du Mali avec les unités algériennes. J’ai eu avec le président actuel d’Algérie, Abdel Aziz Bouteflika, des relations très intimes pendant mon séjour en Algérie, nous avons beaucoup discuté.
Nous avons eu l’un pour l’autre une estime réciproque. J’ai été frappé par la maturité, la précocité de ce jeune homme, lui aussi a été marqué par ce qu’il a appelé, ma connaissance des problèmes algériens. Ce qui était normal car en tant que chef de la circonscription qui faisait limite avec l’Algérie, je me devais de connaître ce qui s’était passé dans ce pays.
Je n’ai pas dit toutes ces choses-là pour des raisons électorales. Mais je sais que mon ami Abdoul Aziz Bouteflika n’a pas besoin de ça pour se faire élire une seconde fois en République algérienne et, son passé est là, assez éloquent. Ce n’est certainement pas par hasard que ce jeune homme de 23 ans a été désigné pour ouvrir le front sud en République du Mali et ce n’est pas par hasard si, en 1999, après les turbulences vécues par la République algérienne, Aziz a été unanimement désigné par tous ceux qui ont lutté pour l’indépendance de l’Algérie pour se présenter au suffrage des algériens à la présidence de la République.
Mais, ce que je veux dire, c’est rappeler à mon ami Bouteflika, que nous vivons actuellement une époque où l’idéologie n’existe pas. Tout est devenu du mercantilisme, notre génération a travaillé de façon désintéressée pour l’indépendance de nos pays, les générations actuelles ne comprennent pas ces problèmes, les peuples oublient facilement les hommes qui se sont engagés pour eux.
Et ce que l’on peut encore ajouter à ça, c’est qu’actuellement, un nouvel impérialisme pointe son nez dans les relations internationales. Dans ces conditions, un pays comme Algérie avec l’espace qu’il occupe avec ses richesses énergétiques, le sort du pays ne peut indifférer les puissances occidentales, les puissances mondiales actuelles.
Or, il est évident que les gens qui ont été obligés d’abandonner l’Algérie ne pourront jamais pardonner à ceux qui ont été les collaborateurs immédiats du colonel Boumediene, et toutes les attaques que l’on peut adresser actuellement à Bouteflika sont des attaques que l’on adresse indirectement contre l’action du colonel Boumediene qui, après sa disparition, est devenu un genre de monument auquel on ne peut pas parler, préférant l’attaque indirectement.
Je souhaite donc, bonne chance à mon ami et frère Abdel Aziz Bouteflika en lui demandant de continuer à être vigilant, vigilant non seulement au cours de la campagne électorale actuelle, mais vigilant si, comme je le crois, il était élu en avril prochain président de la République algérienne.
Maintenant, je vais aborder un chapitre par lequel j’aurais dû commencer n’eut été les incohérences, les lacunes auxquelles ne peut échapper le travail dicté d’un vieillard de 80 ans : Je veux parler de notre estimé président, le président Modibo Keïta. Inutile de dire tout ce que nous avons fait à Gao. Nous l’avons fait sur les instructions du président Modibo. L’engagement de Modibo dans la lutte pour la décolonisation est connu de tous. Sa position sur le problème algérien était connue.
Déjà en 1959, lors d’un sommet tenu à Monrovia alors qu’il était Président du gouvernement fédéral du Mali, il avait proclamé le droit du peuple algérien à son indépendance, à l’époque cela a été considéré comme un véritable sacrilège par les autorités françaises qui n’admettaient pas qu’on s’immisce dans les affaires algériennes considérées comme des affaires franco-françaises. On se rappelle le mot fameux par lequel l’on a traité les Nations unies de «machin» parce qu’elles ont eu à se prononcer sur ce problème.
Modibo et son parti devaient payer chèrement cette position par le coup d’Etat du 19 novembre 1968 dont l’origine est connue par tous. Modibo devait mourir au cours de sa captivité dans des conditions qui n’ont pas encore été élucidées. Logiquement, c’est conformément à cette position qu’il avait déjà prise en 1959, qu’il a autorisé l’ouverture du front sud, pour permettre au peuple algérien de continuer de façon plus efficace sa lutte contre l’occupation. Quelqu’un a dit que la guerre était une affaire trop sérieuse pour qu’on la laisse dans les mains des seuls militaires. On peut également dire que la guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on la traite sur la place publique.
C’est ainsi que le président Modibo avait fait de cette aide qu’il a accordée à l’ALN, en permettant l’ouverture du front sud, une affaire réservée. Seuls quelques départements tels que le ministère de la Défense, le ministère de l’Intérieur étaient au courant de ce problème. Peu de gens au Mali étaient au courant de la présence des unités combattantes de l’ALN au Nord du Mali.
Pour parler de gens qui étaient sur le terrain, il est agréable pour moi de citer le nom de mon ami le Docteur Abdoulaye Diallo qui, en tant que directeur régional du service de santé de Gao, a été très efficace dans l’aide médicale qu’il a accordé aux unités algériennes. D’ailleurs, nos amis algériens n’ont jamais oublié la participation de cet homme dans leur lutte et chaque fois que j’ai été invité en Algérie, j’ai toujours été en sa compagnie.
Témoignage écrit en mars 2004 par Bakara DIALLO
Gouverneur de la région de Gao 1960-1965
Ancien Directeur de cabinet du président Modibo KEÏTA et ancien Secrétaire général à la Présidence de la République
Source: Le Reporter