En co-organisant la conférence des donateurs au profit du Mali, l’Union Européenne a marqué d’une pierre blanche ses relations avec notre pays. L’Aube est allé à la rencontre de son ambassadeur, chef de la Délégation de l’Union Européenne au Mali, Richard Zink. A bâton rompu avec notre reporter, l’Ambassadeur dit toute sa satisfaction suite à la signature de l’Accord de Ouaga. Il est revenu sur cette conférence de Bruxelles, qui a permis aux partenaires du Mali de mettre à sa disposition plus de 2000 milliards de FCFA dont environ 341 pour la seule Union Européenne. Il a été aussi question des élections, de la formation EUTM et du dialogue entre Maliens.
Une interview exclusive de l’Ambassadeur, chef de la Délégation de l’Union Européenne au Mali.
L’Aube : Quel était au départ l’objectif que s’était fixée l’Union Européenne en co-organisant une conférence des donateurs pour le Mali ?
Richard Zink : L’Europe et le Mali sont partenaires depuis plus de 50 années. Et comme le Mali traverse en ce moment une crise profonde, nous nous sommes engagés ensemble avec les gouvernements du Mali et de la France à mobiliser le support international pour aider les autorités maliennes à sortir de cette crise. Il s’agissait d’aider le Mali à amorcer un retour vers la démocratie et le développement. Comme vous avez pu constater, cette conférence a été un beau succès.
A votre avis les objectifs ont-ils été atteints ?
Cette conférence, intitulée ‘Ensemble pour le Renouveau du Mali’ a permis aux autorités maliennes de présenter leur plan pour la sortie de la crise et pour le retour vers l’ordre constitutionnel. En réponse à ce projet de plan de reconstruction, les partenaires se sont engagés à accompagner le gouvernement à sa mise en œuvre. Ceci se traduit par la mobilisation de fonds conséquents. Du point de vue politique, l’engagement international et notamment des pays de la CEDEAO était très visible, notamment par une forte présence des chefs d’Etat de la région. Au total plus de 100 délégations ont activement contribué au succès de cet évènement. Les participants ont annoncé leur appui au Mali dans les deux prochaines années avec une somme de plus de 2000 milliards de FCFA. Un beau succès pour le gouvernement malien.
Il y a une promesse de dons de 3, 25 milliards d’euros, quelle est la contribution de l’UE ?
L’union européenne a promis 520 millions d’euros. Ce qui fait environ 341 milliards de FCFA.
Y a-t-il des secteurs précis dans lesquels l’UE entend intervenir ? Si oui lesquels ?
Dans l’immédiat, notre action porte sur l’appui au processus de sortie de crise ainsi qu’aux actions humanitaires à destination de la population malienne déplacée. En même temps, nous maintenons nos actions de coopération et de développement sur tout le territoire du Mali.
Ainsi, on a lancé toute une série d’appuis aux forces de sécurité et à la justice (équipement de communication et moyens logistiques) pour faciliter leur redéploiement dans le nord du pays. A cela s’ajoute la fourniture de moyens et d’actions concrètes pour le rétablissement des administrations locales et des services de base (éducation, santé, eau, électricité) dans les zones qui ont souffert de l’occupation par les terroristes.
Parallèlement à ces actions sur le terrain, nous avons alloué 50 millions d’euros (33 milliards de FCFA) au financement de la MISMA sans compter notre contribution de 15 millions d’euros (10 milliards de FCFA) au « basket fund » (panier commun pour les contributions internationales) pour appuyer le processus électoral mis en œuvre par le PNUD.
Une autre action que nous considérons comme importante, porte sur les activités d’aide humanitaire et en premier lieu à destination des déplacés, des réfugiés et de ceux confrontés à la crise alimentaire. Nous avons déjà alloué 54 millions d’euros (35 milliards de FCFA) à ECHO à cet effet.
Au niveau des actions de coopération et de développement, les projets en cours de mise en œuvre couvrent les domaines d’assainissement et d’infrastructure qui se résument comme suit:
– Le projet d’irrigation de proximité doté d’une enveloppe de 27.7 millions d’euros (18 milliards de FCFA) et mis en œuvre par la coopération allemande;
– Le programme d’appui aux collectivités territoriales eau et assainissement (PACTEA) doté d’une enveloppe à hauteur de 30 millions d’euros (20 milliards de FCFA);
– La construction à Kabala de la station d’approvisionnement de la ville de Bamako en eau potable pour une enveloppe de 18 millions d’euros (12 milliards de FCFA).
Nous avons aussi donné des assurances quant à la reprise des travaux sur la route Goma Koura-Tombouctou. Ces travaux sont interrompus depuis janvier 2012. Cette reprise interviendra dès que les conditions de sécurité seront réunies. En réalité, les Américains avaient entrepris des travaux à Goma Koura, mais n’ont pas pu terminer à cause de la situation politique. Nous allons reprendre ce qui encore à faire sur ce tronçon et ce jusqu’à Tombouctou.
Nous avons également terminé l’étude de faisabilité de la route Bourem-Kidal. Dès que les conditions seront réunies, nous allons soumettre à nos autorités les documents de financement de ces routes jusqu’à Kidal. Nous espérons trouver d’autres partenaires pour connecter éventuellement cette région avec Tamanrasset (Algérie). En d’autres termes, il s’agit de connecter la Méditerranée avec l’Océan Atlantique. La première étape, c’est de désenclaver Kidal.
Enfin, nous avons un programme d’appui à la consolidation de l’Etat pour un montant total de 225 millions d’euros (148 milliards de FCFA). Nous sommes en train de procéder au déboursement de la première tranche de 90 millions d’euros (59 milliards de FCFA) qui devrait être disponible dans les prochains jours.
En tant qu’organisatrice de la conférence de Bruxelles, l’UE veillera-t- elle à ce que toutes les promesses faites soient honorées ?
Nous sommes déjà en discussion avec les autorités maliennes concernant le suivi. Nous allons assurer une bonne communication de nos propres engagements. Le respect du plan de sortie de crise, la tenue des élections présidentielles et législatives vont faciliter la mise en œuvre des appuis promis.
Avez-vous déjà imaginé un mécanisme pour la traçabilité de l’argent promis ?
Nous allons nous assurer qu’il y ait une bonne traçabilité des fonds pour lesquels que nous contribuons pour les actions d’appui et d’accompagnement à la sortie de la crise au Mali. Les citoyens ont le droit de savoir comment les promesses faites à Bruxelles ont été tenues. Et ils ont de droit de savoir comment l’argent a été utilisé et pour quelles activités. Les citoyens veulent vérifier si les promesses ont été tenues ou pas. Les discussions entre les Partenaires Techniques et Financiers et le ministère des Finances et le ministère des Affaires étrangères qui coordonne la coopération au Mali sont en cours. Ensemble, nous cherchons les modalités qui permettront d’augmenter et d’améliorer les mécanismes de traçabilité et de transparence.
L’UE avait suspendu sa coopération avec le Mali au lendemain du coup d’Etat. Aujourd’hui, quel était l’état de cette coopération ?
Oui, nous avions suspendu notre coopération avec le gouvernement suite au coup d’Etat. L’approbation de la feuille de route a permis une reprise de notre partenariat. Sans cette reprise, nous n’aurions pas organisé la conférence ‘Ensemble pour le Mali’ à Bruxelles. Nous sommes dans un dialogue intensif avec le gouvernement sur les objectifs de son plan de reconstruction et le retour de l’état de droit, quel rôle nous pouvons jouer, mais aussi comment améliorer notre appui.
L’Union européenne fait partie de la médiation internationale pour faciliter le retour de l’administration à Kidal – condition essentielle pour la tenue des élections sur toutes les zones du Mali. Comme vous pouvez le constater, notre engagement n’est pas seulement financier. L’organisation de cette conférence de Bruxelles était un effort politique. Mais déjà avant la rencontre à Bruxelles, il y a eu d’autres réunions de haut niveau. Le Commissaire européen au développement, M Piebalgs, avait organisé une séance de travail autour les questions de coopération à laquelle ont participé les ministres maliens des Affaires étrangères et des Finances et les ministres de Coopération européenne des 27 pays. Tout cela montre notre intérêt et engagement au Mali.
Des critiques ont été souvent faites à l’adresse des Européens pour leur non implication dans les opérations pour la libération des régions du nord, laissant la France seule aller au « charbon ». Qu’en pensez-vous ?
L’Union Européenne est fortement engagée au Mali. Nos Etats membres sont très présents à côté de la France avec un important appui dans différents domaines. L’Europe a également monté la mission EUTM, notre ambitieux programme d’appui à l’armée malienne.
Comment ça se passe concrètement ?
Un premier bataillon de 750 personnes a terminé sa formation à la grande satisfaction des participants et des autorités. Ce premier bataillon sera, à partir de la semaine prochaine, affecté au nord du pays. Le deuxième bataillon commencera sa formation le 1er juillet.
Il y a des bruits qui courent et qui disent qu’à la fin de cette formation, l’UE avait versé des primes de formation aux militaires à travers le commandement ?
Des rumeurs, il y en a toujours. Mais nous, nous ne payons pas de primes, nous ne payons pas de fonctionnaires. Et nous ne payons pas parce que quelqu’un a participé à une formation.
Alors, il n’y a pas eu d’argent versé par l’UE au nom des militaires au niveau du commandement ?
Pas du tout !
Quelle sera la participation de l’UE dans l’organisation de la présidentielle ?
Le premier tour de l’élection présidentielle est fixé pour le 28 juillet. Nous saluons la tenue de cette élection et nous la soutenons. Déjà en fin 2012, nous avions financé un audit du fichier électoral. Actuellement, nous contribuons à hauteur de 2 millions d’euros (1 milliard 300 millions de FCFA) pour la sensibilisation des électeurs. Et nous avons alloué 15 millions d’euros (10 milliards de FCFA) pour le « basket fund » avec lequel le PNUD soutient la Ceni et le gouvernement dans l’organisation des élections. En plus, il va y avoir une mission d’observation aux élections et une petite équipe d’observation des membres du parlement européen.
Ils seront combien de membres ?
Une quarantaine de personnes. Cette mission sera menée par le commissaire Louis Michel qui connait bien le pays et qui est bien connu au Mali. D’ailleurs, l’appareil logistique pour cette mission est déjà installé à Bamako.
Au stade actuel des processus, est-ce que vous avez des craintes ?
On sait que le calendrier est très serré. Comme vous le savez les discussions entre les parties prenantes n’ont pas encore abouti à un accord concernant le retour de l’administration malienne à Kidal. Nous partageons l’opinion du gouvernement qu’il faut des élections sur tout le territoire.
Et n’oublions pas aussi qu’on parle maintenant uniquement de l’élection présidentielle, la première étape du processus électoral. Il faut également se préparer aux élections législatives, qui sont encore plus compliquées à organiser. Il sera souhaitable que les principaux candidats s’accordent sur un calendrier indicatif pour la tenue de ces élections. Pour la démocratie, il faut la présidence, mais aussi le parlement.
Hormis la France, il se trouve que l’UE n’avait pas participé à la libération du Mali. Est-ce qu’elle va participer à sa stabilisation en envoyant des troupes dans le cadre de la Minusma?
L’UE est présente dans ce pays depuis plus de 50 ans. Si vous dites qu’elle n’a pas participé à la libération du Mali, ce n’est pas correct. Nous contribuons aux efforts militaires via un grand nombre d’activités comme l’organisation de la conférence à Bruxelles et la mobilisation de sommes importantes.
Il n’y a pas eu de troupes ?
L’armée française a été soutenue par beaucoup d’armées européennes. Ce support s’est traduit par la mise à disposition des moyens logistiques, des avions, du matériel – et des contingents importants pour la mission EUTM. Mais il est vrai que c’est la France qui a mené cette guerre – ensemble avec des troupes des pays de la CEDEAO et du Tchad.
Donc il n’y aura pas de troupes européennes pour accompagner la France ?
La France est en train de réduire ses troupes par ce qu’elle trouve que son travail est terminé. Maintenant, c’est la Minusma qui arrive. Pour la Minusma, il va y avoir également des contributions de pays européens. Mais, cette décision appartient aux Etats membres de l’UE. N’oublions pas que les pays de l’UE contribuent largement au financement de la mission des Nation Unies, la Minusma.
Que pensez-vous de l’Accord préliminaire qui vient d’être signé entre l’Etat malien et les rebelles touaregs?
Nous avons soutenu et avons participé avec notre Représentant spécial à ces discussions. Nous saluons la signature à Ouagadougou de cet Accord préliminaire qui permettra la tenue de l’élection présidentielle sur tout le territoire malien. La Haute Représentante de l’UE Mme Catherine Ashton a déclaré que « cet Accord revêt une portée historique. Il constitue une étape cruciale dans un processus de construction de la paix par le dialogue ». Nous resterons aux côtés des Maliens pour faciliter la mise en œuvre de l’accord dans toutes ses dimensions. Une fois les élections tenues, les Maliens devront trouver entre eux des solutions pour assurer une stabilité pérenne du pays.
Quels sont vos rapports avec la commission Dialogue et Réconciliation ?
Le Mali a vu des crises graves et profondes – des rebellions, un coup d’état, des zones occupées, de terrorisme, l’impunité, un grand nombre de déplacées et de réfugiés. Ces conflits ont aussi montré des fissures dans la société malienne. La commission Dialogue et Réconciliation établie par le gouvernement a comme objectif de surmonter les conflits du passé. Nous appuyons cette commission et souhaitons qu’elle réussisse dans sa mission de réconcilier les Maliens.
Interview réalisée par Idrissa Maïga