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Qui est vraiment le jihadiste français de Tombouctou actuellement jugé à Paris?

Octobre 2012, le nord du Mali est aux mains des jihadistes. Je me rends en reportage à Tombouctou, où Iyad Ag Ghaly, le chef islamiste de nationalité malienne, m’a donné rendez-vous.

A l’ouest de la ville, je tombe sur un homme portant plus une barbichette qu’une barbe en collier, le look le plus actuellement apprécié des jihadistes du nord du Mali. Assis sur un vélo moteur, c’est son accent, un fond d’accent français de France, qui retient mon attention. Pas de Paris, mais de France quand même. Très rapidement, il ne me cache pas qu’il est de nationalité française. Abd El Jalil est son nom de guerre. Beaucoup plus tard, j’apprends sa véritable identité : Gilles Le Guen.

De notoriété publique à Tombouctou, l’homme ne se comportait pas à la manière des jihadistes de la ville de Tombouctou. Il intervenait même pour empêcher les brutalités des maîtres des lieux envers les femmes. Il se déclarait ouvertement contre l’injustice et ne mâchait pas ses mots pour dénoncer « les déviations » de certains moudjahidine. A notre première rencontre, Gilles porte un turban noir. « Depuis trente ans, je fais mon chemin dans l’islam », débute- t-il, en acceptant même de se faire enregistrer. Entre 20 et 45 ans, il est officier de la Marine marchande en France. Lors de la première guerre du Golfe, il naviguait sur un pétrolier de la compagnie Total dans le golfe Arabo-Persique. Il a également travaillé pour l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) en Ethiopie. L’homme, qui a vu le jour le 21 févier 1955 à Nantes, en France, a beaucoup bourlingué. Grèce, pays du Maghreb, Yémen, Turquie, Australie, Japon, partout où il y a la mer. « La cause internationale est ‘’le grand tyran’’, comme le disait le commandant Cousteau, qui va réguler le commerce international. » Suit une diatribe contre les Etats-Unis, Israël. Il rend hommage à feu Ben Laden, « pour ce que Dieu avait mis dans sa main » de son vivant. Il vante l’attaque le 11 septembre des tours jumelles de New York, « symboles du commerce international ». Il tape dur sur l’OTAN, tape sur le président français François Hollande, qui, pourtant, à cette époque n’avait pas pris la décision d’intervenir militairement au Mali. Il m’ouvre finalement, la porte de son domicile situé au n° 43 dans un quartier de Tombouctou. A l’entrée de la bâtisse, deux de ses gamines voilées, un arbre, des cris stridents d’oiseaux. Son épouse, une Marocaine voilée, me tourne tout de suite le dos et disparaît. Les murs de la maison sont défraîchis. Gilles est fils de feu Constant Le Guen et de Monique Gaigeard. Son niveau d’instruction : bac+4. Il parle couramment français, arabe, et manie l’anglais plutôt de manière médiocre. Il vivait dans la région de Tombouctou avec cinq de ces huit enfants avant l’arrivée des jihadistes, en mars 2012. Pour violences, il avait écopé en France, dans les années 90, de dix mois de prison ferme. C’est en 1982 qu’il se convertit à l’islam et qu’il est nommé depuis cette date Abd El Jalil. Se concentrant, il donne des précisions sur son parcours. 1979, fin d’études maritimes. Une société tunisienne sollicite ses services. Il reprend ensuite ses études pour obtenir le diplôme de commandant de Marine marchande en 1985. Il reprend la parole : « C’est en Tunisie que je me suis converti. J’ai profité de ce séjour en Tunisie pour me reconvertir à l’islam et me rebaptiser Abd El Jalil (Serviteur du Majestueux) », explique-t-il. Un détail, il a choisi ce nom musulman parce qu’il ressemble à son prénom de naissance.

En 1986, il décide d’entreprendre un voyage d’études sur l’islam. En arabe, la démarche se nomme « Tawa kel Allah ». Traduit littéralement, il s’agit d’un « abandon à Dieu ». Il se rend à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, où il fréquente assidument les mosquées. Après six mois de séjour, il quitte Djibouti pour se rendre à Sannâ’, au Yémen du Nord. Il fait une halte à La Mecque pour accomplir l’Oumra (le Petit Pèlerinage). Il décroche une bourse d’études et se rend en Mauritanie pour apprendre le Coran. Retour en France, il se marie à N.R., femme de nationalité française, divorcée de son grand frère. 2011, divorce, il prend la direction du Maroc, épouse une Marocaine. Youssef et Selma naissent en moins de trois ans de ce mariage. Yasimine et Oussama suivront, et un cinquième, plus tard, naîtra en Mauritanie. Il lui donnera le prénom d’Ismaël. Il est un père comblé.

En 2009, l’homme quitte le Maroc pour Nouakchott, en Mauritanie, d’où il se rendra au Mali pour la première fois en avril 2011. Quelques mois après son arrivée, il prendra la direction du nord du Mali, dans la région de Tombouctou, où il se lance dans l’élevage de chèvres. En juin 2012, les islamistes contrôlent la ville de Tombouctou, il prend contact avec eux. Il est non pas accepté, mais toléré, parce que considéré comme un espion de la France par certains potentats locaux. Il suit un entraînement militaire, le maniement des armes en particulier. Aucun véritable poste de responsabilité ne lui est confié. La distribution de l’électricité à Tombouctou lui avait été confiée.

En janvier 2013, il participe à l’attaque d’une localité malienne située plus au sud de Tombouctou, du nom de Diabali. Il se souvient que l’expédition est menée par Abou Zeyd, le chef redouté d’Aqmi lui-même, qui sera tué quelques mois plus tard par les forces tchadiennes dans le nord du Mali. Quelques jours après avoir pris le contrôle de la localité malienne de Diabali, les islamistes ne pouvant pas faire face à la puissance de feu de l’armée française battent en retraite. C’est un peu la débandade. Les forces alliées sont aux portes de Tombouctou. Gilles quitte la ville à bord d’un vieux véhicule abandonné par les jihadistes. Avec sa famille, il s’installe d’abord auprès d’un puits situé à 13 kilomètres de Tombouctou, puis dans la localité de Douia (65 kilomètres de Tombouctou) avant de trouver refuge à Agouni Salam (35 kilomètres de Douia). Quarante-cinq jours plus tard, le 29 avril 2013, des hélicoptères français tournent dans le ciel. Il les voit. Il a compris. Il est arrêté sans violence. Il n’était pas en position de combat. Il est transporté à bord d’un hélicoptère de l’armée française. Sa famille est conduite à Bamako, avant d’être exfiltrée sur Paris.

Lors de son séjour à Tombouctou aux mains des islamistes, il a connu tous les chefs jihadistes : les Algériens Yahia Abou El Haman , Abou Zeyd, Abou Talha, les Maliens Iyad Ag Ghaly, Oumar Ould Hamaha, Sanda Ould Boumama, plutôt un pitre. Avec chacun, il avait un type de rapports particuliers. Avec Yahia Abou El Hammam, qui était devenu l’émir d’Aqmi dans le nord du Mali ? Ce dernier le respectait du fait de son âge, de la présence de sa famille à Tombouctou et de ses connaissances religieuses. Il donnait de l’argent à ses enfants. Abou Zeyd ? Il l’a rarement croisé. Abou Talha : un peu sa bête noire, qui le mettra un jour en prison à cause d’une altercation avec un autre jihadiste. Gilles a eu le tort de s’opposer à une mauvaise application de la charia contre les femmes. Sanda Ould Boumama, porte-parole d’Aqmi, à Tombouctou ? Il se méfiait beaucoup de moi et je pense que c’est à cause de lui que Yahia Abou El Hammam ne m’approchait pas davantage. Il était toujours avec ce dernier. C’est lui qui a autorisé et organisé la vidéo que j’avais publiée pour dénoncer les injustices du système commercial, politique israélo-américain. Gilles Le Guen avait donné en mariage ces deux filles, âgées de 8 ans et 7 ans, à deux jihadistes. Une promesse de mariage, donc une alliance qui engage les deux parties pendant longtemps… En âge de joindre le domicile de leurs époux, elles ont quitté celui de leurs parents. Les gendres de Gilles se nomment successivement Oumar Abou Hafs, de nationalité algérienne, et Abou Darda, de nationalité mauritanienne. Le premier s’était installé à la fin des années 90 dans le nord du Mali. Gilles rencontre dans la ville de Tombouctou plusieurs jihadistes étrangers. Il se souvient d’un homme qui ne parlait qu’anglais, Abou Mohamed, originaire du Nigeria, mais de nationalité américaine. Il se souvient également de deux Français d’origine malienne, et aussi de deux Français d’origine algérienne. L’un s’appelait Abdallah et l’autre Abou Daoud, qui sera arrêté au début de l’année 2013 au nord-est du Mali par les troupes françaises. Gilles Le Guen n’était pas un jihadiste fortuné. Il ne recevait pas de salaire. Sa mère, restée en France, lui envoyait 450 euros par mois ! L’argent transitait par le canal du fils d’un notable représentant local du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

SERGE DANIEL, DANS « LES MAFIAS DU SAHEL », trafics et terrorisme dans le Sahel, éditions Descartes, en vente notamment à la librairie Bah du Grand Hôtel

Source: autre presse

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