L’un des avantages des quartiers populaires est la pratique du sport dès le bas âge. La proximité d’un stade ou d’un terrain de sport en constitue également un facteur déterminant. C’est pourquoi, au début des années 1970, les différents clubs de Bamako, toutes disciplines confondues, enregistraient plus de gamins et jeunes issus des quartiers de Medina Coura, Missira, Hippodrome et Darsalam. Notre héros du jour, Yacouba Diarra dit Yacou Pelé, est de ceux qui ont profité du statut de quartier populaire, pour avoir évolué entre Badialan et Hamdallaye. Pelé est le plus grand footballeur de l’histoire et porter ce sobriquet pour un enfant renvoie incontestablement à des qualités largement au-dessus de la moyenne. Pur produit du jardin d’enfant de feu Ben Oumar Sy, Yacou Pelé fait partie du groupe des Blancs de Bamako qui a pris la relève au Stade malien de Bamako après l’exil des Cheick Diallo, Moussa Traoré dit Gigla, Mamadou Keïta dit Capi et autres. A l’époque, il y avait un jeune Nigérien, Moussa Kanfédeny, qui fut un de nos héros dans cette rubrique. Mais hélas, le destin de Yacouba Diarra sera estropié par deux faits : la suspension de l’équipe type du Stade malien de Bamako et une fracture en mars 1978. C’est à son domicile que nous l’avons rencontré dans le cadre de votre rubrique ” Que sont-ils devenus ? “. Yacou Pelé revient sur ses débuts et ses mésaventures.
Natif du Badialan II, quartier situé entre N’Tomikorobougou et Hamdallaye, Yacou Pelé a connu le Stade malien de Bamako après la CAN de Yaoundé 1972. C’est son grand frère, Dramane Diarra, qui l’amena dans la famille blanche. Il y fit un tour, avant de retourner dans les compétitions inter quartiers qui étaient sa passion.
Révélé dans les quartiers
Effectivement, c’est à ce niveau qu’il trace les jalons de sa carrière de footballeur en évoluant dans le club Ceinture noire. Suite à une défaite contre le Benfica d’Hamdallaye, par le score de 7 à 1, son ami Adama Kamissoko dit Kamiss le convainc de transférer au Benfica. Il va plus loin en affirmant que le niveau de Yacou Pelé est supérieur à celui de son équipe. Et tant qu’il continuera à évoluer au Badialan, sa carrière serait comme un pétard mouillé. Yacou Pelé se laissé convaincre et il emporte dans son sillage d’autres joueurs de Ceinture noire, en l’occurrence Issa Kanté, Mamadou Coulibaly, Abdoulaye Gouanlé, Modibo Touré. Ces éléments du Badialan transférés au Benfica font de l’équipe d’Hamdallaye une attraction du terrain de l’école du Marché et de celui du Stade malien de Bamako. Nous sommes en 1969, et Yacou Pelé a 16 ans. L’âge où un jeunot pense que tout est permis pour se faire entendre. Yacou Pelé, très élégant et entreprenant, fera vibrer les cœurs dans les confrontations inter quartiers. Heureusement que son grand frère comprend que Yacou doit intégrer un club. Le jeune Pelé qui a pris goût déjà dans les rencontres de la rue, drainant beaucoup plus de monde, n’est pas très chaud pour quitter cette ambiance des quartiers, au profit d’une nouvelle aventure, apparemment contraignante. A l’impossible nul n’est tenu ! Yacou change de cap et commence les entrainements avec le Stade malien de Bamako. D’autres jeunes de sa génération sont là : Michel Sidibé (actuel directeur de l’Onu-Sida), Koukoune Sy, Modibo Doumbia dit Modibo 10, Kaou Doucouré. Le départ de certains ténors du Stade vers l’Hexagone favorise sa montée en puissance. Quelques mois après, arrive le pied gauche magique du Niger, Moussa Kanfédeny, avec lequel se crée une complicité au niveau de l’attaque stadiste. A présent, ils demeurent des amis, malgré la distance.
Après une intervention chirurgicale de l’orteil qui l’empêche d’être régulier, Yacou Pelé retrouve toutes ses marques. D’emblée, il s’affiche comme un élément indispensable de l’attaque du Stade malien sous la houlette de l’entraineur Charles Jondot.
Et l’un de ses entraineurs, Mamadou Diakité dit Doudou, retient de lui un joueur sobre, discipliné, sérieux, qui a rendu beaucoup de services au Stade et à l’équipe nationale.
Selon lui, Yacou Pelé avait le secret du dribble et des tirs instantanés au terme des chevauchées. Seulement, il n’aimait pas jouer de la tête.
Coup d’arrêt prématuré
Des qualités qui lui ont permis de s’imposer au Stade malien de Bamako, avec à la clef une finale de Coupe du Mali en 1975, jouée en deux éditions et remportée par le Djoliba, des championnats inter ligues, des matches de coupes d’Afrique de clubs, un séjour régulier en équipe nationale et ce jusqu’en 1978, année où sa carrière connaît un coup d’arrêt.
Que s’est-il passé ? Avant d’aborder cette page sombre, Yacou Pelé revient sur l’un de ses plus beaux mauvais souvenirs, qui a freiné sa progression : “Lors du tournoi d’ouverture de la saison 1976-1977, le Réal a affronté le COB et le Stade malien devrait en découdre avec le Djoliba. Le règlement était très clair, en cas d’égalité, c’est directement l’épreuve des tirs au but. Cela a été le cas entre Réalistes et Olympiens. Le lendemain dimanche, le duel Djoliba – Stade a été sanctionné par un score nul vierge. Donc, logiquement, les tirs au but étaient automatiques. Mais Tiécoro Bagayoko s’est opposé et a ordonné les prolongations. Il retrouva sur son chemin notre entraineur Charles Jondot, qui nous ordonna de rejoindre les vestiaires. Sa décision était contre notre volonté. Nous lui avons obéi par respect. Tiécoro a certainement vu en cela un désaveu, un défi. Quatre jours après, la sanction tombe. La ligue, au cours de sa réunion du 7 décembre 1976, a décidé d’infliger à tous les joueurs du Stade malien qui étaient sur la feuille de match une suspension de six mois, donc toute une saison”.
En vertu de quoi, la ligue de Bamako, à l’époque, avait-elle pris une décision si lourde ? Difficile de répondre, mais dans sa lettre N°10 en date du 11 décembre 1976 dont nous avons reçu copie, le secrétaire général A. Traoré parle de manque de respect non seulement à l’arbitre, mais encore aux invités de marque et au public lors du tournoi d’ouverture de la saison. La mesure restera de rigueur, malgré la lettre de clémence du président du Stade, Fousseyni Diarra. Seul Moussa Kanfédeny a échappé à cette sanction, parce qu’il était rentré du Niger à la veille du match. A présent, Yacou Pelé a de la peine à aborder cette affaire.
Néanmoins, il continue à s’entrainer pour maintenir sa forme et se faire un bon moral. Au même moment, l’équipe réserviste du Stade est conduite par Moussa Kanfedeny et atteint même les demi-finales de la Coupe du Mali. Yacou Pelé renoue avec les compétitions à la fin de la suspension. Dommage, en mars 1978, lors de la demi-finale de la coupe de la municipalité contre le COB, Yacou Pelé se fracture le pied. Deuxième coup dur de sa carrière, parce qu’il quitte l’équipe nationale à cause de cette blessure. Après des mois de traitement, l’enfant du Badialan n’a plus la motivation nécessaire pour jouer encore au football. Il s’efforce néanmoins de reprendre les entrainements. Mais en 1980, suite à un incident avec Capi à l’internat, Yacou Pelé décide de prendre définitivement sa retraite. Ainsi, se referme l’histoire footballistique d’un génie qui a véritablement manqué de chances.
Le football l’a-t-il nourri ou servi ? Non, répond l’enfant du Badialan. Il a cependant profité des relations du football et se rappelle encore d’un réconfort moral qu’il qualifie de bon souvenir. Lequel ? Yacou Pelé révèle comment il a pu se payer une moto. “En 1973, au cours d’un match contre le Djoliba, j’ai marqué deux buts sur les trois, qui ont permis au Stade de s’imposer. Ce jour-là, j’ai été l’artisan de la victoire du Stade. Très jeune à l’époque, je ne connaissais pas la peur et j’avais hâte de démontrer mon talent pour séduire l’encadrement technique. A la fin du match, des supporters du Stade malien, et même de l’AS Réal, sont venus me retrouver à la maison pour me donner de l’argent. Ceux du Réal ne voulaient pas du tout qu’on les aperçoive avec moi. C’est avec cet argent que j’ai payé ma première moto Vespa”.
Après sa retraite, Pelé est plus actif avec l’amicale des anciens footballeurs. A ce niveau, il a fait le tour de la sous-région avec les Salif Keïta, Moké Diané, Joe Cuba, Ousmane Traoré dit Ousmanebleni. Loin des terrains de football, son quotidien est agrémenté par ses petits-enfants, qui ont même perturbé notre entretien. C’est ça aussi la famille traditionnelle malienne.
O. Roger SISSOKO
Source: Aujourd’hui-Mali