Bakary Diakité est un ancien commandant de bord à Air Mali. Comme tous ses anciens compagnons de cette compagnie que nous avons rencontrés dans le cadre de cette rubrique, il a vraiment aimé les avions et rêvait d’un bureau dans les airs toute son enfance durant. Quand l’opportunité s’est présentée, il a naturellement abandonné ses études au lycée pour s’engager comme pilote. Cet amour pour l’appareil volant s’explique en partie par sa présence tous les jours sur le site de l’ancien aérodrome à Hamdallaye. Il s’y rendait pour vendre les beignets de sa mère. Aussi quand il a été admis au lycée, ses professeurs blancs qui rentraient en France pendant les vacances étaient-ils une attraction pour lui. Cela a décuplé son désir de voyager loin. Le rêve est permis pour tout enfant, mais sa réalisation est une autre paire de manches, dont le Temps est le seul Maître. Autrement dit, le jeune Bakary Diakité, en plus de son amour viscéral pour le voyage en avion, était torturé par d’autres soucis quotidiens comme comment sortir ses parents de la misère, plus précisément sa mère dont le petit commerce le dérangeait ? L’enfant était convaincu que c’était le dénuement même. C’est la raison pour laquelle il avait voulu abandonner ses études au lycée pour s’engager dans un premier temps comme commis auprès de l’administration coloniale. Heureusement qu’il s’en était ouvert à un de ses instituteurs qui lui a conseillé de décrocher d’abord les deux parties du baccalauréat, pour se mettre à l’abri et s’offrir des opportunités d’emplois plus avantageux que celui d’un simple commis. Aujourd’hui, l’homme dit avoir accepté volontiers la proposition de son maître. Il laissera tomber la mauvaise idée pour se consacrer aux études jusqu’à passer la première partie du bac. L’année suivante (1961), l’occasion de réaliser son rêve et surtout d’aider ses parents s’est présentée. Le ministère des Transports a lancé un avis de recrutement pour l’opérationnalisation de la compagnie Air Mali. Au terme des visites médicales et autres test basés sur des critères bien précis, Bakary Diakité est admis et déclaré apte à exercer la profession de pilote. Du coup, l’Etat s’est engagé à assurer une bonne formation à son groupe de nouveaux stagiaires de la compagnie Air Mali. Initialement, le groupe devait partir en Israël, mais, selon Bakary Diakité, les relations du président Modibo Kéita avec la Palestine changèrent la donne. Finalement, ils débarquèrent en Tchécoslovaquie pour une formation de dix-neuf mois. A sa prise de fonction, en octobre 1962, Bakary Diakité fut copilote pendant quelques mois avant d’être intronisé commandant de bord pendant dix-neuf ans. Mais, contre toute attente, il démissionnera en février 1981. Pourquoi ? Ses pérégrinations entre le Mali, la Côte d’Ivoire et l’Allemagne ? Flash-back sur une carrière riche et un cas de désintéressement exemplaire.
L’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” enregistre des faits et des gestes qui, par la force des choses, ont des répercussions positives sur son animateur et son entourage. Il arrive que des personnes contactées soient discourtoises ou réticentes vis-à-vis de notre démarche consistant à les immortaliser.
Nous faisons ici l’économie des cas où à la limite nous avons été purement et simplement éconduits. Mais, tout cela in fine est réconfortant pour nous pour deux raisons. D’abord la motivation et l’encouragement de la direction du journal à notre endroit, ensuite l’intérêt pour la rubrique consécutif aux nombreux coups de fil que nous recevons. Mais ce qui s’est passé en début de cette semaine nous a moralement dépassés. Comment ?
Quand la confraternité et l’insistance des cadres de la compagnie Air Mali nous dirigèrent vers le commandant de bord Bakary Diakité, celui-ci nous a surpris. Domicilié à Moribabougou, il a préféré effectuer le déplacement au siège du journal à l’ACI-2000, parce que, disait-il, notre déplacement pour l’interviewer serait un effort de trop. C’est ainsi qu’il nous a fixé rendez-vous et à l’heure pile, il était dans nos locaux. Une leçon d’humilité, de sagesse et d’abnégation qu’on retiendra pour toujours.
Après dix-neuf ans de service à la compagnie Air Mali, Bakary Diakité contre toute attente a rendu son tablier. En plus du comportement négatif de la hiérarchie, il voulait par ce fait dénoncer les mauvaises conditions de travail, les salaires dérisoires par rapport aux grades et surtout irréguliers.
Mais comment pouvait-il démissionner sans réelle perspective d’avenir si ce n’était d’aller en Côte d’Ivoire pour un saut dans l’inconnu ?
L’ancien CDB répond qu’avec les longues réflexions, il devient très difficile pour un homme de prendre une décision. M. Diakité va donc passer deux ans à Abidjan chez un ami sans pouvoir décrocher un job à sa taille. Malgré tout, il ne retournera pas au Mali, pour la simple raison que cela aurait été une fuite en avant, surtout que les choses n’évoluaient pas positivement.
Marié à une Slovaque et père de trois enfants, Bakary Diakité va rejoindre sa famille en France en mai 1982. L’Hexagone ne sera pas non plus un Eldorado, malgré des emplois temporaires par-ci, par-là. Autre alternative, la Suède où il se rendra par train avec sa famille. Arrivés au Danemark, ils seront refoulés, faute de visa de transit.
Pérégrinations, mutations
Il fallait alors retourner en Allemagne pour se procurer le précieux sésame. Le temps d’entreprendre les démarches administratives, pour rejoindre la Suède, Bakary a fini par demander l’asile politique pour s’installer définitivement en Allemagne. Là au moins il a signé un contrat de travail, dans un laboratoire de langue où il s’occupait de l’interprétation et de la traduction des documents en anglais et en français.
Après avoir pris sa retraite, en 2006, il n’est retourné au pays que deux ans plus tard, à cause de sa mère, très âgée à l’époque. Celle-ci est malheureusement décédée l’année dernière. Depuis lors, Bakary Diakité est installé au Mali avec des visites en Allemagne où réside sa famille. Il est présentement bloqué à Bamako à cause de la pandémie du coronavirus. Il dit n’avoir rien réalisé, hormis les constructions dans sa grande famille pour y loger ses frères et sœurs. Le drame est qu’il a perdu la propriété de tous les terrains à usage d’habitation qu’il avait acquis dans différents quartiers de Bamako et environs.
Comment peut-il être indifférent à cette situation ? L’enfant d’Hamdallaye dit que son départ prématuré d’Air Mali a créé une psychose, à telle enseigne qu’il n’a pas voulu faire d’investissement. Cependant, il a une autre conception de la vie traditionnelle.
A la question de savoir si ses enfants s’occupent de lui comme il se doit dans notre société ? Sa réponse est sans équivoque : “Mes trois enfants sont des majeurs. Ils n’ont pas l’obligation de m’aider. Mes pensions d’Air Mali et du laboratoire en Allemagne me suffisent largement et assurent mon indépendance. D’ailleurs, je leur ai recommandé de s’occuper plutôt de leur mère. Sinon mon premier garçon a 58 ans, le cadet 56 ans, et le benjamin, 49 ans. Vous comprendrez alors qu’ils ont aussi leurs familles”.
Le vieux Bakary Diakité donne l’impression d’une personne qui traîné les séquelles morales d’un coup dur. L’homme est très calme et le temps d’interview nous a permis de comprendre qu’il n’est pas le genre difficile. A son âge qu’est-ce qui lui a fait le plus mal dans la vie et qui continue de le hanter ? La fermeture de la compagnie Air Mali, répond-il sans ambages. Cette compagnie était un rayonnement en Afrique de l’Ouest. Elle assurait également le désenclavement à l’intérieur, la création d’emplois. Bref, Air Mali était important pour le pays. Son départ ne saurait être considéré comme de l’égoïsme vis-à-vis de la compagnie.
Comme mauvais souvenir, il retient la seule fermeture d’Air Mali, et sa satisfaction morale durant sa carrière constitue son bon souvenir.
O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali