Il aura été, sans aucune exagération, la tête d’ampoule de la recherche dans notre pays et il s’en est allé sur la pointe des pieds sans que l’équipe de recherche compétitive qu’il a mise en place, le monde scientifique malien et ses admirateurs ne lui rendent publiquement les hommages dus à son rang. Il nous disait un jour dans les confidences d’un entretien que nous avons eu avec lui et le Pr Mahamadou Théra (un de ses assistants) sur les résultats d’une recherche sur un vaccin de statut sanguin : le FMP2.1/ASO2A (falciparum maladtia proteine/adjuvant system 2A) que le jour où il mettra toutes les pièces de son puzzle en place (c’est-à-dire en mettant des bonnes compétences à tous les niveaux de la recherche), il aura la conscience tranquille d’un fils qui aurait rendu une partie de ce qu’il doit au pays. Ce chercheur patriote était vraiment prophète chez lui parce qu’il faisait quasiment l’unanimité.
Il, c’est le Pr Ogobara Doumbo, une tête couronnée de la recherche qui a bousculé la hiérarchie de la recherche à l’échelle planétaire et positionné notre pays parmi ceux à grand potentiel scientifique mais surtout essentiel dans la recherche de solutions contre le paludisme. Depuis l’annonce de sa mort, samedi matin, un vent d’anéantissement moral souffle dans le pays parce que nous venons de perdre une éminence, probablement l’un des plus grands chercheurs sur le paludisme dans le monde comme le disait notre confrère de RFI.
Un enseignant du secondaire illustre bien l’ampleur de cette perte : «ce n’est même pas sûr d’avoir tous les cinquante ans un Ogobara Doumbo parce qu’il était une brillante intelligence mais surtout un scientifique hors-norme». Pour le Pr Bourema Koriba (une sommité scientifique et un modèle de sobriété aussi), le prestigieux scientifique était simplement «un homme bien».
Le Pr Ogobara Doumbo était l’un des plus brillants esprits cartésiens que le monde ait portés. Il avait fait la preuve de sa compétitivité à l’échelle mondiale par la qualité de ses travaux scientifiques.Dogon bon teint, il fit la fierté de notre pays, du continent africain voire de la planète entière. Il impressionnait au premier contact par la densité de son savoir, sa maîtrise des langues de Molière et de Shakespeare mais aussi par sa science de la communication. Tout ce qu’il faisait, était basé sur des évidences scientifiques. L’homme était bien structuré, cultivé, policé, affable mais très rigoureux à tout point de vue. Il enseignait la vertu à ses condisciples et il est resté un modèle pour la jeune garde de scientifiques, notamment de chercheurs. Grace à lui, le Malaria Research and training center (MRTC), un centre de recherche sur le paludisme, basé à la Faculté de médecine et d’odontostomatologie, est devenu une vitrine de la recherche sur le paludisme, notamment dans la recherche mondiale d’un vaccin contre la malaria avec les essais cliniques et vaccinaux.
Pour ce prestigieux parasitologue, le monde scientifique ne devait être que celui de l’excellence et ne laisse de place aucunement à l’à peu près. Parce qu’une croyance ancienne soutenait que les Africains étaient à la traîne en matière de recherche. Mais celui que tout le monde appelait affectueusement «Ogo» y a apporté la preuve du contraire avec le MRTC. Ogobara Doumbo naquit en 1956 à Manteourou dans le cercle de Koro. Fils et petit-fils de thérapeutes traditionnels, il expliquait lui même avoir tout fait pour être comme ses ascendants. Après de brillantes études scientifiques de médecine à la Faculté de médecine d’alors, il poursuivra sa formation dans les universités de Marseille et Montpellier (en France) et Harvard (aux Etats Unis). Il est bardé de diplômes, notamment une maitrise en immunologie et biostatistique épidémiologie et un diplôme d’études approfondies (DEA) et un doctorat en parasitologie, un autre DEA en anthropologie, un certificat d’éthique, entre autres. La liste est loin d’être exhaustive. Il était très à cheval sur le respect des principes d’éthique parce qu’il était convaincu que la recherche permettait de repousser les limites de l’humain mais qu’il fallait avoir la sagesse mais surtout l’éthique de ne pas aller au-delà de «l’humainement acceptable».
Ogo a été médecin chef à Banamba avant de poser ses valises à Selingué où il dirigea le centre de recherche. De cette dernière localité, il partira pour des formations en France avant de venir au MRTC et s’illustrer par ses connaissances, ses initiatives, son entregent, mais surtout sa volonté à mettre en place un excellent pôle de recherche en formant des jeunes. Il compte à son actif la formation des dizaines de PhD et de nombreuses publications scientifiques, notamment dans les revues scientifiques de haut vol, notamment le New England Journal of Médecine. Il ne voulait être apprécié que sur ce qu’il valait réellement et qu’il faisait. Chaque fois qu’on lui posait la question sur le nombre d’enfants qu’il avait, il répétait à satiété : beaucoup comme pour dire qu’il était toujours resté ce fils du terroir qui a toujours gardé attache avec la racine et accueillait à bras ouverts les siens. Ogo a eu plusieurs distinctions internationales. Il a été lauréat du prix Christophe Mérieux et celui du prince des Asturies mais aussi du prix de la recherche en France.
Le décès de Ogobara Doumbo est une perte énorme pour le monde scientifique malien, africain, voire mondial. Mais le MRTC perd plus, notamment un guide, une inspiration et un grand maître tout simplement.
Bréhima DOUMBIA
Essor