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Problématique de l’emploi au Mali : La jeunesse interpelle les candidats à la présidentielle

Au Mali, le chômage prend de plus en plus d’ampleur et d’importance. C’est un fléau qui frappe la plupart des jeunes diplômés à la fin de leur cycle. Malgré les promesses des candidats à l’approche de chaque élection pour appâter la couche jeune qui est un énorme réservoir électoral, les soi-disant efforts de l’Etat, la présence de beaucoup d’ONGs et d’investisseurs dans le pays, ce phénomène ne cesse de s’accroitre aux dépens des jeunes qui voient de plus en plus leur rêve brisé et leur avenir incertain. Or, ne dit-on pas que la jeunesse constitue le pilier et l’avenir de toute Nation ? Quel avenir pour une jeunesse sans emploi ? Alors, que nous proposent nos candidats cette fois-ci, notamment à l’occasion de la présente campagne électorale ?          

De nos jours, au Mali, le chômage constitue le principal facteur du calvaire des jeunes diplômés. Après avoir consacré la majeure partie de leur vie à étudier, ils finissent par passer tout le temps à dormir à la maison, regarder la télé, faire du thé sous les arbres ou se retrouver dans les marchés pour se débrouiller, disent-ils. S débrouiller, un terme bien gentil pour dire qu’ils sont réduits à squatter les environs des marchés en tant que revendeurs de camelote ou pour jouer aux intermédiaires afin d’escroquer les gens. Et c’est encore moins grave que pour ceux qui tombent dans les filets d’une mafia, prompte à exploiter leur détresse en leur miroitant des lendemains meilleurs auxquels ils pourront accéder rapidement par le trafic de drogue ou le crime organisé dans ses multiples aspects. C’est ainsi que certains d’entre eux finissent dans les rangs des organisations terroristes.

Après leurs études, certains passent quatre (4) à six (6) ans, voire plus, sans trouver un emploi, non sans avoir cherché en vain. D’autres, pour survivre, s’adonnent entre temps à de petits métiers et au fil des ans, y finissent leur vie professionnelle, malheureusement. Il y en a aussi qui choisissent les chemins dangereux de l’émigration clandestine. En effet, chassé par le chômage, beaucoup de jeunes, filles et garçons, tentent la traversée de la Méditerranée avec des embarcations de fortune et on n’a plus besoin de rappeler la suite…

Déboussolés, se sentant abandonnés par la société, des chômeurs sombrent dans la déprime, si ce n’est la prise de drogue pour se cacher derrière un rideau artificiel afin d’échapper au regard lourd et inquisiteur de la société qui les marginalise, tandis que d’autres choisissent la facilité, en devenant tout simplement des voleurs, surtout voleurs de motos qu’ils écoulent chez des revendeurs sans scrupules et qui ont pignon sur rue dans places bien connues des services de sécurité, parce que lieux de prédilection du recel d’objets en tous genres. C’est ainsi aussi qu’ils deviennent des agresseurs en commettant des vols à main armée pour détroussent de paisibles citoyens de leurs biens, une fois qu’ils les croisent à certaines heures de la nuit.

Pour expliquer ce phénomène de chômage qui tend à devenir endémique, on évoque l’expérience professionnelle qu’exigent les entreprises dans les avis de recrutement ; les filières de formation qui ne concordent pas beaucoup avec les profils recherchés sur le marché de l’emploi, surtout les matières enseignées dans les facultés restées généralistes. Autant de blocages de l’accès à l’emploi par les jeunes diplômés, auxquels il faut ajouter l’élément relationnel :  les recrutements se faisant moins sur la base des compétences que des liens de parenté. Une triste réalité à laquelle il faudra s’attaquer sérieusement si l’on veut construire un Mali prospère et performant dans lequel le mérite est mis en avant.

A l’occasion de cette campagne électorale, les chiffres volent très haut en matière de création d’emplois. Comme toujours d’ailleurs en pareille circonstance. Mais les candidats à la présidentielle, mesurent-ils suffisamment la gravité de la situation, avant de chercher à jouer, avec la détresse de la jeunesse.

M.K, 30 ans, diplômé sans emploi : « Le chômage a anéanti tous mes espoirs »

M.K, 30 ans, diplômé sans emploi, témoigne : « Je suis un diplômé sortant du Cesb. J’ai une maitrise en Histoire. Le chômage a anéanti tous mes espoirs car depuis tout petit j’avais des ambitions. Mais après huit ans de chômage, ces ambitions sont devenues pour moi un luxe. Actuellement, mon souci est d’avoir un travail rémunéré qui me permet de devenir indépendant au lieu d’être toujours exploité par des administrations dont les ministères qui m’utilisent en tant que stagiaire. Depuis tout petit, les parents nous forcent à étudier. Nous y consacrons tout notre temps et notre énergie. Lorsque l’on termine, on est encore confronté au problème d’emploi. Je passe mon temps à postuler au niveau l’Agence nationale pour l’Emploi (Anpe) à chaque fois qu’une offre d’emploi correspond à mon profil. Mais le souci avec notre filière, c’est que l’Etat ne nous recrute qu’à travers le concours de recrutement de fonctionnaires des collectivités en tant qu’enseignants alors que, pour cela, il faut passer par l’Institut de formation des maîtres (Ifm) ou l’Ecole normale supérieure (l’Ensup) où tout le monde n’a pas accès. Ce sont les ONGs qui recherchent souvent notre profil or elles aussi nous compliquent les choses avec leur histoire de deux ans d’expérience au minimum. Comment celui qui n’a jamais accédé à ce genre d’emploi peut-il faire valoir une expérience professionnelle ? Finalement, les écoles privées sur lesquels on pouvait compter pour y enseigner ne nous rémunèrent pas bien et ceux qui nous acceptent, souvent, ne nous payent pas chaque mois. Certains contractuels font même trois mois sans être rémunérés et d’ailleurs ces écoles privées réclament de plus en plus l’attestation de l’Ifm. Souvent je fais des activités comme le commerce, la maçonnerie afin de pouvoir joindre les deux bouts, mais je m’inquiète de plus en plus par rapport à mon avenir. Souvent, il m’arrive de vouloir faire comme ces immigrés clandestins, mais je pense à ce que ma pauvre mère endurerait si elle me perdait. Quand j’entends les candidats, en cette période de campagne électorale, nous exposer leur projet de société qui fait dormir debout, je m’inquiète encore plus sur notre sort. Il est clair qu’en période électorale, les candidats ne nous font avaler que des bonnes paroles dans le but uniquement d’obtenir nos votes ; des promesses qu’ils ne mentionnent plus au cours de leur mandat, à plus forte raison les appliquer. Vraiment, il faudra que les choses changent ».

B.K, 32 ans, sortant de la Flash : « Je regrette d’avoir perdu toutes ces années à étudier »

B.K, 32 ans, diplômé sans emploi, sortant de la Flash dans la filière socio-anthropologie raconte : « Le chômage est mon pire cauchemar, j’ai fini mes études en 2009, mais jusqu’à présent je chôme. Je postule à chaque fois que je le peux, mais mes demandes d’emploi restent sans suite. Pourtant, je rédige bien mes lettres de motivation, mon CV est présentable, mais malgré cela, rien. Une fois, j’ai eu à postuler dans une entreprise. J’ai passé le test et l’entretien que j’ai bien réussi, mais je n’ai pas eu le poste. J’ai été voir leur directeur des Ressources humaines, vu que je ne comprenais pas les raisons pour lesquelles je n’avais pas eu le poste malgré que je fusse 1er au test et que j’avais réussi l’entretien. Ce dernier m’a dit, qu’effectivement, j’ai réussi le test et l’entretien mais que le poste a été donné à un autre parce que ce dernier a plus d’expérience professionnel sur son cv que le mien qui n’est enrichi que par des stages. Cela m’a tellement fait du mal. Ça m’a beaucoup découragé. Je regrette d’avoir perdu toutes ces années à étudier. J’ai tenté avec l’armée, mais sans suite. Ce qui me met hors de moi dans tout ça, c’est quand les entreprises exigent deux à huit ans d’expériences professionnelles à des diplômés sans emploi n’ayant jamais travailler ou à peine mis sur le marché de l’emploi, pour des postes comme animateurs, enquêteurs, coordinateurs… c’est comme s’ils ne veulent pas que les jeunes travaillent chez eux. Imaginez le taux de chômage au Mali, il n’est pas facile de décrocher un stage. Tout est relationnel. S’il faut encore qu’on impose des années d’expériences professionnelles, comment quelqu’un qui recherche un emploi peut-il avoir des attestions de travail ?  Et les stages ne constituent- ils pas des expériences professionnelles ? Vraiment nous souffrons. Au nom de tous les diplômés sans emploi, je lance un appel aux entreprises, je les supplie d’avoir pitié de nous. C’est vrai que l’expérience est importante, mais qu’ils nous laissent la chance de prouver nos capacités au lieu de nous juger en fonction des attestions de travail ou des expériences mentionnées sur un CV. »

D.B, une jeune femme de 25 ans, titulaire d’un master : « Le chômage a brisé mes rêves »

D.B, 25 ans, une diplômée sans emploi : « Je suis diplômée car j’ai un master. J’ai suivi trois formations différentes. J’ai même étudié à l’extérieur. J’ai effectué des stages mais malgré tout ça je ne travaille toujours pas. Je postule à chaque fois au niveau de l’Anpe, Malibaara et LinkedIn, mais sans suite. Je passe souvent des entretiens que je réussis sans être promue pour le poste et on me donne comme motif que mon CV est pauvre en expérience professionnelle ou que le diplôme est supérieur ; j’ai même une fois postulé pour un poste de secrétaire avec ma licence professionnelle de l’IUG. J’ai réussi l’entretien, mais je n’ai pas eu le poste parce que mon diplôme est supérieur au profil recherché. On me demandait le DUT or j’avais la Licence professionnelle. Pourtant j’étais d’accord pour être payée avec le niveau DUT. Jusqu’à présent je n’arrive pas à comprendre ; je pensais qu’avoir un diplôme supérieur était censé être un atout pour avoir un travail, j’ignorais que ça pouvait nous faire rater une opportunité. Toute ma vie on m’a encouragée à étudier. Je ne sais rien faire d’autre que ça. Ni couture ni commerce encore moins coiffure ou d’autres activités. Ce qui m’écœure dans tout ça, ce sont les harcèlements sexuels dont nous les femmes nous faisons chaque fois l’objet lors de nos recherches d’emplois.

Comment consacrer toute sa vie à étudier et qu’en retour on demande d’ajouter le corps de l’intéressée à son CV afin d’avoir un poste ? Je m’excuse du terme, mais c’est la vérité. C’est une difficulté à laquelle nous les  femmes sommes confrontées. Moi, personnellement, j’ai été victime de cela plusieurs fois.  Lorsque tu postules après l’entretien certains chefs te donnent rendez- vous à l’hôtel sous prétexte que si tu acceptes tu seras promue au poste, c’est pareil pour celles qui font des stages, souvent même les femmes mariées ne sont pas épargnées.

Le pire de tous ces problèmes, c’est ce que l’Etat prétend mettre comme moyens pour remédier au chômage. C’est vrai qu’il y a des organismes comme l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (Apej), mais beaucoup n’y ont pas accès. Saviez-vous que la plupart des filières enseignées dans les facultés de Bamako, aux dernières nouvelles, ne font pas parties des profils recrutés lors du concours d’entrée à la Fonction publique malienne ? Les sortants du Cesb (histoire et Géographie), ceux de la Flash avec les filières sciences de l’Education, socio-anthropologie, jusqu’à présent, ne peuvent toujours pas postuler au concours d’entrée à la Fonction publique, sauf ceux qui passent par l’Ensup et les Ifm (qui peuvent tenter le concours des collectivités territoriales) or tout le monde n’a pas accès à ces établissements.

C’est le même problème auquel les diplômés en licence professionnelle sont confrontés, au concours de la Fonction publique, au niveau des secrétaires administratifs, l’Etat ne recrute que 28 ou 35 secretaires sur tout le territoire malien et seuls ceux qui ont le DUT peuvent postuler. Pas les licences professionnelles or c’est ce même Etat qui a fait de la Licence professionnelle une catégorie A aux dernières nouvelles et ce même Etat inclut cette même catégorie A au concours d’entrée sous prétexte qu’il n’a pas les moyens de les payer.

Nos hommes politiques, lors des campagnes, ne font que des promesses de milliers d’emplois, de lutter contre le chômage… des théories qui ne deviennent jamais pratiques lorsqu’ils sont élus.

Les ONGs sur lesquelles nous fondons nos espoirs nous barrent le chemin avec leurs critères exagérées (au moins cinq ans d’expérience, maitriser l’anglais et trois langue locales…). Finalement, que nous deviendrons-nous ? Et nos ambitions et nos rêves brisés ? Qui nous redonnera espoir ? Le chômage m’a brisé mes rêves, mes ambitions. Les gens pensent que nous, les femmes, avions plus de chances d’avoir un travail que les hommes, mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas pour être féministe, mais nous sommes les plus malheureuses et les plus touchées par le chômage. Certains disent que si on n’a pas de travail on peut se marier pour être pris en charge. Mais de nos jours, mêmes les mariages se font par intérêt, les hommes ne voulant plus de femmes qui ne font rien que tendre la main ; de même pour les belles-familles, si tu ne viens pas d’une famille riche ou si tu ne fais pas quelque chose pour contribuer, tu ne seras pas respectée et on sera permanemment sur ton dos, pensant que ton mari te donne tout ce qu’il gagne. Vraiment nous souffrons ».

Ces témoignages en disent long sur le calvaire des chômeurs et les obstacles posés en véritables barricades pour les empêcher d’accéder à un emploi.

Compte tenu de l’impact négatif du chômage sur la vie des jeunes et étant donné que la jeunesse constitue l’avenir d’un pays, nous lançons un appel aux hommes politiques, aux ONGs, au gouvernement, de s’unir pour lutter contre ce phénomène qui pourrit la vie et l’espoir des jeunes, en prenant des dispositions pour y remédier car une jeunesse sans travail est une proie facile pour tous les prédateurs étant donné que le chômage peut entrainer, entre autres maux dans la société, le développement de la délinquance juvénile, l’émigration clandestine, le renforcement des forces terroristes, etc.

Djénéba DIARRA

Source: Aujourd’hui-Mali

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