Les avis divergent sur la question même si le groupe Facebook assure que la mise à jour de sa politique n’a aucune incidence sur la confidentialité de nos messages
À partir de ce samedi 15 mai 2021 (sauf nouveau report), les autres entités du groupe Facebook collecteront et partageront sans autorisation préalable les données des usagers du réseau social WhatsApp.
Initialement fixée au 8 février dernier, l’entrée en vigueur de cette mesure avait été reportée face aux réactions virulentes qu’elle avait provoquées chez les utilisateurs à travers le monde. La maison mère Facebook, fondée par Mark Elliot Zuckerberg (milliardaire américain de 37 ans) en 2004, a racheté cette «application mobile multiplateforme qui fournit un système de messagerie instantanée chiffrée de bout en bout aussi bien via les réseaux de téléphonie mobiles que par Internet pour 22 milliards de dollars en 2014».
L’annonce visant à partager nos données avait été faite dans une perspective business visant à monétiser l’application de messagerie instantanée à des fins commerciales. Face à la furie des consommateurs virtuels, WhatsApp avait tenté de rassurer.
«Nous tenons à préciser que la mise à jour de notre politique n’a aucune incidence sur la confidentialité de vos messages avec vos amis ou votre famille», avait-il insisté dans une FAQ, foire aux questions (anglais frequently asked questions) signifiant une liste faisant la synthèse des questions posées de manière récurrente sur un sujet donné.
«En fait, avait-elle ajouté, cette mise à jour comprend des changements relatifs à l’envoi de messages à une entreprise sur WhatsApp, ce qui est optionnel, et fournit également plus de transparence sur la manière dont nous recueillons et utilisons les données».
Selon le chef de la division des affaires juridiques à l’Autorité de protection des données à caractère personnel (APDP), le principal problème que suscite la nouvelle politique de WhatsApp est relatif au non-respect du consentement des utilisateurs. «Il s’agit d’une collecte de données imposée, puisque le consentement n’est pas respecté.
Facebook ne propose qu’une seule option aux utilisateurs du logiciel WhatsApp. Dans ce contexte, le caractère éclairé du consentement n’est pas respecté, dans la mesure où WhatsApp conditionne l’utilisation de son application à l’acceptation de ses nouvelles conditions», explique Mahamadou Aly Haïdara. Pour lui, en droit du numérique, la base légale évoquée par WhatsApp pour la mise en œuvre de ce traitement est l’intérêt légitime. WhatsApp se disant que c’est dans son intérêt de mettre en place ce traitement qui concernera le partage des informations, déduit l’expert.
CONTACTS ET LES INFORMATIONS DU PROFIL- Selon l’entreprise, les données qui pourront être partagées entre WhatsApp et l’écosystème d’applications de Facebook (dont Instagram et Messenger) comprennent les contacts et les informations du profil (dont votre numéro de téléphone). S’y ajoutent des informations sur la façon dont vous interagissez avec d’autres, y compris des entreprises.
Le contenu des messages, qui resteront chiffrés de bout en bout, restera confidentiel. En revanche, l’adresse IP (numéro d’identification qui est attribué de façon permanente ou provisoire à chaque périphérique relié à un réseau informatique qui utilise l’Internet Protoco), qui permet de localiser l’utilisateur, pourra être transmise aux autres entités de Facebook. «Ces données étaient déjà collectées par WhatsApp.
Tout le monde sait qu’on ne peut pas utiliser les réseaux sociaux comme Facebook ou WhatsApp sans donner certaines informations. «La nouveauté est qu’en acceptant les nouvelles conditions, on accepte que WhatsApp partage ces informations avec Facebook, Messenger et Instagram», explique l’expert Haïdara. Pour le spécialiste du droit du numérique, «derrière cette nouvelle politique » se cache une volonté réelle de la part de WhatsApp « de faire de la prospection».
En ce sens que la démarche vise à renforcer les échanges déjà enclenchés en 2018 avec la création de la plateforme «B to B», concerne tous les moyens utilisés pour mettre en relation ces sociétés et faciliter les échanges de produits, de services et d’informations entre elles. Cet outil permet, selon lui, aux petites et moyennes entreprises de mieux communiquer avec leurs clients qui utilisent les réseaux numériques.
Toutefois, les nouvelles conditions diffèrent entre l’Union européenne et le reste du monde. Dans le cas de l’UE et du Royaume-Uni, elles ne seront utilisées que pour développer les fonctionnalités offertes aux comptes professionnels WhatsApp Business, avait expliqué l’entreprise à l’AFP. «WhatsApp ne partage pas les données de ses utilisateurs en Europe avec Facebook dans le but que Facebook les utilise pour améliorer ses produits ou ses publicités», avait assuré un porte-parole de la messagerie, cité par l’AFP. Autrement dit, ces informations serviront à développer la relation client via la plateforme.
Selon Mahamadou Aly Haïdara, cette exception peut s’expliquer par le fait que les instances européennes de protection des données se sont unies pour faire face aux géants du numérique pour exiger la protection des informations privées de leurs ressortissants. Il ajoute que la difficulté pour les pays africains de réagir dans ce genre de situations réside dans l’insuffisance de coordination entre les autorités africaines de protection des données.
Pour lui, il serait difficile pour un pays seul de faire face à ces grandes multinationales du numérique. Par exemple, il serait très difficile pour les Maliens d’attaquer WhatsApp, dans ces conditions, affirme-t-il, déplorant le fait que le groupe Facebook ne dispose même pas de point focal en Afrique de l’Ouest.
CONSCIENTS DES ENJEUX ET DANGERS- Le partage des données entre WhatsApp et Facebook n’a réellement aucun incident que les autres réseaux sociaux n’ont pas, parce que les données de l’utilisateur sont exploitées qu’ils le veuillent ou non, nuance Mohamed Diawara. Le directeur général de «General Computech», une entreprise de service numérique, invite à comprendre et connaître la composition du téléphone. «Il existe énormément de choses dans le téléphone qui donnent la position de l’utilisateur. Vous avez beau les désactivé, cela ne vous met pas à l’abri de l’exploitation de vos données.
Ces entreprises sont soumises à des politiques de leur pays, elles sont obligées de partager des documents même si elles vous font signer des politiques de confidentialité», détaille l’administrateur. Pour ce spécialiste en informatique, il est impossible d’utiliser un support électronique (tablette, téléphone, ordinateur) sans être pisté. «Ce que vous voulez cacher, ne le mettez pas sur la place publique. C’est-à-dire ce que tu ne veux pas qu’on découvre ne le mets pas sur les réseaux sociaux, c’est une question de relation entre vous et votre environnement numérique», conseille le patron de « General Computech».
Selon lui, il est illusoire de penser que l’on est plus protégé sur une plateforme qu’une autre. «Vous êtes autant exposé sur WhatsApp que sur une autre plateforme parce que ce sont des plateformes dont les modèles économiques sont basés sur l’exploitation des données. L’utilisateur et son réseau social d’accueil sont en échange de service. Rien n’est gratuit en échange d’un service et ce service c’est d’exploiter vos données», dit-il, avant de confirmer que la plupart des utilisateurs se moquent des conditions d’utilisation de ces plateformes.
En témoignent ces arguments avancés par Mamadou Traoré, enseignant de son état. Cet inconditionnel dit ne pas être prêt à quitter l’application de messagerie instantanée. «Je préfère prendre mes précautions concernant la publication de certains fichiers personnels», confie-t-il, ajoutant qu’il perdra contact avec les membres des groupes qu’il gère. Selon notre interlocuteur, la plupart d’entre eux ne sont pas instruits et n’ont aucune idée de la confidentialité sur les réseaux sociaux. Donc, regrette-t-il, il sera très difficile de les sensibiliser sur la question et de les faire migrer sur un autre réseau social.
D’autres usagers comme Bah Camara sont conscients des enjeux et dangers auxquels ils sont exposés. «Je ne pense pas que laisser WhatsApp et aller sur Signal me sécuriserait. C’est comme quitter un pays pour cause de pluies, pourtant il pleut partout», explique-t-il. Pour lui, les utilisateurs doivent savoir ce qu’ils doivent mettre sur leur page WhatsApp afin d’éviter d’être incriminés un jour. Toutefois, pour Bah Camara, il est hors de question de quitter WhatsApp pour une autre plateforme.
Amadou GUÉGUÉRÉ
Source: L’Essor- Mali