Les présidents du Ghana, du Nigeria et du Sénégal sont, ce 5 novembre, au Burkina Faso. Que vont-ils dire au nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Zida ? Moustapha Niasse préside l’Assemblée nationale sénégalaise. En ligne de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Quelles leçons tirez-vous des évènements du Burkina Faso ?
Mustapha Niasse : Vous savez, ce qui s’est passé il y a quelques jours, était quelque peu attendu par les observateurs et les analystes politiques. La question qui se pose aujourd’hui en Afrique, c’est la durée au pouvoir de certains chefs d’Etat. Cela dit, tout dépend des contextes nationaux et des conditions dans lesquelles se déroulent les successions.
Pour ce qui concerne le Burkina Faso, je pense sincèrement que, ayant compris que la situation était devenue intenable, le président Compaoré a bien fait de quitter le pouvoir et aussi sans doute, pour éviter un bain de sang. Mais il se posera toujours le problème de la durabilité des régimes, une durabilité trop longue qui fait que finalement, ce qu’on n’a pas pu faire en 10, 15 ans, on ne peut pas le faire en 30 ans. Cela dit encore une fois, il faut placer chaque cas dans son contexte national véritable, tous les cas ne pouvant pas être assimilés les uns aux autres.
Il est également évident que les militaires au Burkina Faso ne doivent pas profiter du départ du président du Burkina Faso, parce que cette victoire est une victoire du peuple burkinabè. Par contre, si un compromis est trouvé, que l’armée reste dans les casernes et joue son rôle de défense de la sécurité du territoire et des frontières et que ceux qui sont dans l’espace politique dirige la période transitoire de 12 mois je crois, pour organiser ensemble des élections démocratiques transparentes et sous contrôle, à ce moment là, le Burkina pourra repartir du meilleur pied.
Est-ce que vous avez vu, dans ces derniers évènements du Burkina Faso, comme une réplique des manifestations de juin 2011 à Dakar contre les projets d’Abdoulaye Wade ?
Vous savez, ce que nous avons fait, nous de l’opposition démocratique à l’époque, avec les jeunes, les « Y’en a marre », les associations de la société civile, tous les patrons sénégalais s’étaient levés. Ils sont restés sept heures de temps devant l’Assemblée nationale. On était en discussion sur un projet de loi proposé par l‘ancien président pour charcuter la Constitution. Ce qui a fait tache d’huile et a constitué en fait un cas d’école. C’est exactement ce qui s’est passé au Burkina Faso et ce n’est pas impossible que ça se passe demain dans d’autres pays. Alors c’est le peuple qui détient la souveraineté populaire et c’est le peuple, en définitif, qui est l’interlocuteur des dirigeants une fois qu’ils ont été élus par ce même peuple.
« Il n’est pas impossible que ça ne se passe pas dans d’autres pays ». A quels pays pensez-vous ?
Vous savez, en tant que diplomate, j’éviterai bien de citer des pays. Mais je sais qu’il y a des situations dans certains pays, encore une fois, il faut remettre chaque cas dans son contexte précis. Certains dirigeants, qui sont restés un certain temps à la tête de leur pays, réfléchissent. J’en suis sûr parce que j’en connais plusieurs, à comment passer la main et comment organiser en douceur après 15, 20 ou quelques années de plus au pouvoir, passer en douceur le pouvoir public et développer la croissance du pays et surtout régler les problèmes de la demande sociale.
Que pensez-vous des hommes politiques au Congo Brazzaville et au Congo Kinshasa qui veulent modifier la Constitution afin que le président en place puisse se présenter à nouveau, une troisième fois ?
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il faut replacer chaque cas dans son contexte, aucun cas ne me parait quelconque par rapport à un autre. Nous savons que dans les pays que vous avez cités, effectivement, il y a quelques idées qui tentent dans la même direction. Alors ce sont les peuples qui vont voir comment gérer ces idées là avec les dirigeants concernés.
Peut-être avez-vous écouté Zéphirin Diabré mardi ? L’opposant burkinabè dit qu’il ne faut plus que les présidents africains restent au pouvoir plus de deux mandats, car sinon, il se crée chez les hommes d’Etat un sentiment d’impunité ?
Je suis tout à fait d’accord sur le principe de deux mandats de cinq années ou de deux mandats de quatre années chacun. L’idéal devrait être deux mandats de quatre ans, comme aux Etats-Unis ou deux mandats de cinq années en France.
Ce mercredi, doivent arriver à Ouagadougou trois présidents d’Afrique de l’Ouest, dont votre compatriote Macky Sall, ils vont parler avec le lieutenant-colonel Zida, le nouvel homme fort du pays. Quels messages doivent-ils transmettre à votre avis ?
Le lieutenant colonel Zida doit comprendre, tout comme les officiers au rang les plus élevés au Burkina Faso, que si les militaires prennent le pouvoir même pour la période dite de transition, ça va apparaître comme un coup d’Etat militaire parce que la rixe a été menée par le peuple burkinabè. Le président Blaise Compaoré est parti pour éviter, il l’a expliqué, qu’un bain de sang généralisé aboutisse à un chaos, à une situation de chaos au Burkina. Tout pouvoir, à mon avis, doit être géré par des civils. Des civils choisis pour une période provisoire, choisis selon des règles consensuelles, pour aller vers des élections qui permettront de mettre en place un pouvoir institutionnel conformément aux dispositions de la Constitution de la République du Burkina Faso.
Mais cela se passe dans un pays où les militaires sont au pouvoir depuis plus de 30 ans ?
La référence selon laquelle depuis 30 ans le Burkina Faso est sous un régime militaire n’est pas la meilleure des références. Les militaires n’ont pas pour vocation de diriger des états. Le militaire réagit toujours par rapport aux politiques en terme de d’obéissance et d’accompagnement. Le peuple burkinabè aspire, comme tous les autres peuples africains, à la liberté, à la démocratie et au libre choix des dirigeants qui doivent diriger. Chaque peuple et chaque expérience nationale.
Source: RFI