A l’issue du Conseil des ministres du mercredi dernier, le Conseil a adopté un projet de texte consacré à la militarisation de la Police nationale et de la Protection civile. Comment concrétiser ce projet de texte ? Cette militarisation sera-t-elle efficace sur le terrain pour sécuriser les personnes et leurs biens ? Modibo Mao Makalou, économiste livre son analyse. Entretien.
Mali Tribune : quelle analyse faites-vous de la militarisation de la Police nationale et de la protection civile ?
M.M.M : . Le Gouvernement du Mali a adopté le mercredi 5 octobre 2022, en conseil des ministres, un projet de loi portant militarisation de la police nationale et de la protection civile. Selon le communiqué du conseil des ministres, « cette militarisation permettra de déployer les deux unités dans les zones reconquises par l’armée afin d’y assurer la sécurité des populations et de leurs biens et empêcher le retour des groupes terroristes mais aussi de couvrir l’arrière des forces engagées au combat en vue de préserver les acquis et sécuriser l’administration et les populations ” Ainsi, cette militarisation permettra de déployer la police nationale dans les zones reconquises par l’armée afin d’y assurer la sécurité des populations et de leurs biens et empêcher le retour des groupes armés terroristes forces du mal est étendue à la protection civile, c’est-à-dire les sapeurs-pompiers, je pense que c’est une bonne initiative, c’est même souhaitable mais il ne faudra pas occulter les difficultés qui pourraient être associées à sa mise en œuvre. Maintenant la question qui se pose comment réaliser cette réforme majeure en bonne intelligence ? Vous savez la Police a été démilitarisée il y a presque 30 ans (1993). Maintenant la remilitariser va demander une période d’adaptation. Je ne sais pas si la militarisation va résoudre les problèmes sécuritaires auxquels nous faisons face dans notre pays tant au niveau de la crise sécuritaire et humanitaire. Mais, ce qui est important d’après le communiqué du Conseil des ministres du 05 octobre 2022 qui a adopté ce projet de loi c’est que la Police et la Protection civile puissent participer à sécuriser les zones qui seront reconquises par l’armée. La nature a horreur du vide et c’est le devoir de l’Etat d’assurer la sécurité des personnes et leurs biens sur l’ensemble du territoire. Vous savez, il y a une grille unifiée des salaires que les policiers avaient réclamés en septembre. Si la grille est unifiée cela aura des incidences financières mais ce n’est pas tellement ça le problème, il y a les équivalences au niveau des grades qu’il va falloir prendre en compte parce que le travail sera fait de manière commune. Toutefois, la militarisation va permettre aux policiers de bénéficier des mêmes avantages que les autres militaires aussi de faire face aux mêmes risques. Mais le nouveau statut va aussi les priver du droit de grève, d’être syndiqués et de manifester.
Mali Tribune : est-ce que ce projet de texte n’est pas un coup de semonce sur la tête des policiers ?
M.M.M : La question qui me taraude l’esprit concerne surtout la place des forces de police, de la protection civile et des forces militaires au sein d’une démocratie, et sur leur rôle pour assurer la sécurité publique, dans le respect de l’état de droit pendant une crise sécuritaire aiguë sur l’ensemble du territoire. Les séances d’écoute organisées par la Commission défense du Conseil National de Transition à l’endroit des syndicats de police et de la protection civile va permettre d’instaurer un climat de.confiance par rapport aux objectifs de la réforme de la défense et.de la sécurité. La situation est alarmante au Sahel et il va falloir que nous changions un peu de stratégie et que nous allions vers des résultats un peu plus probants, parce qu’il y a des zones où l’insécurité est en train de grandir même si elle diminue aussi dans d’autres zones mais l’on constate dans certaines grandes villes le grand banditisme est en train de s’étendre avec des bandits surarmés. La militarisation de la Police est une bonne approche vers un meilleur maillage sécuritaire du territoire national mais faudrait-il que dans la manière de réaliser soit assez lisse pour pouvoir permettre d’avoir des résultats assez efficaces sur le terrain.
Mali Tribune : en recevant Faure Gnassingbé, médiateur en chef dans le dossier de 46 militaires ivoiriens, Alassane Ouattara a affiché son optimisme pour un dénouement heureux de cette crise. Se dirige-t-on vers un épilogue ?
M.M.M : oui ! c’est ce qu’on espère. Je suis un peu sceptique par rapport à un dénouement rapide parce qu’on a raté le tournant où l’on pouvait avoir une solution politique à ce problème avant la judiciarisation du dossier des militaires ivoiriens. A l’exception des trois personnes qui ont été relâchées pour des raisons humanitaires. je ne vois pas la justice se dessaisir au vu et au su de tout le monde pour des personnes qualifiées de « mercenaires ».
L’Etat malien après avoir envoyé ce dossier devant la justice au meilleur des cas ce serait d’accélérer le traitement de ce dossier par la justice. Ensuite, s’il y a un règlement politique ça ne peut survenir qu’après la décision de justice, par exemple une grâce présidentielle. Mais à mon avis, ce serait assez difficile selon moi de voir l’Etat malien dessaisir la justice en ce qui concerne ce dossier pour régler à l’amiable cette affaire ou lui donner un traitement politique…
Mali Tribune : les États-Unis ont accordé au Mali un nouveau financement de 148,5 millions de dollars soit 101 milliards de F.CFA. Comment vous expliquez cela alors que certains pays continuent de couper leur aide avec le Mali ?
Modibo Mao Makalou : Le 19 septembre 2022, le Mali et les États-Unis d’Amérique ont signé un amendement à l’accord d’aide au développement entre les États-Unis et le Mali, représentant un nouveau financement de 148,5 millions de dollars (soit 101 milliards de FCFA.) Ce montant couvrira le financement de nouvelles activités et celles en cours dans les domaines de la santé, de la gouvernance, de l’agriculture et de l’éducation de base. Ce montant s’ajoute aux plus de 250 millions de dollars (soit 170 milliards de FCFA) que les États-Unis ont accordé au Mali à travers l’USAID au cours de l’année écoulée y compris 90 millions de dollars (soit 61 milliards de FCFA) en aide humanitaire selon l’USAID.
C’est sur une base annuelle que les États-Unis annoncent leurs aides au développement. L’année fiscale des États-Unis termine en septembre donc ils sont en train d’annoncer les programmes signés avec les différents pays dans le monde et c’est uniquement dans ce cadre-là. Le Mali n’est plus un pays sous sanctions économiques doncles États-Unis n’ont aucune raison de retenir leur aide surtout humanitaire qui concerne notamment le secteur de la santé, de la sécurité alimentaire en un mot les besoins vitaux des populations maliennes.
Mali Tribune : dans la lutte contre le blanchiment des capitaux, la BCEAO a annoncé des sanctions disciplinaires et pécuniaires contre trois banques dont une Malienne. Que dit le règlement de la BCEAO en matière de blanchiment des capitaux ? Quelles peuvent être la nature des sanctions infligées ?
M.M.M : La BCEAO, c’est l’Institut de mission qui supervise le secteur financier. Elle s’assure de la liquidité et de la réglementation bancaire. A ce titre, il y a des règles de transparences et d’éthique auxquelles les banques doivent faire face. Parce que, quand la BCEAO donne l’agrément pour pouvoir exercer une activité bancaire, il y a un cahier de charges à respecter. Maintenant, quand ce cahier de charge n’est pas respecté, en ce moment, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest peut réprimander.
Les sanctions disciplinaire et pécuniaire à l’encontre d’une banque installée au Mali ont été énoncées par la Commission Bancaire lors de sa session tenue le 20 juin 2022 à Dakar au Sénégal. La Commission Bancaire a prononcé un blâme à l’encontre d’une banque installée au Mali. Cette sanction disciplinaire est motivée par les insuffisances et infractions aux textes légaux et réglementaires applicables aux établissements de crédit, constatées à l’issue d’une mission de vérification effectuée auprès de ladite banque.
Selon le communiqué de la Commission Bancaire, les insuffisances et infractions ayant motivé la sanction disciplinaire sont relatives à la gouvernance, à la gestion des risques de crédit, de liquidité et opérationnel, aux normes prudentielles, aux relations financières extérieures ainsi qu’à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
En sus de la sanction disciplinaire susvisée, la Commission Bancaire a infligé une sanction pécuniaire d’un montant de trois cent (300) millions de FCFA, à la banque, au regard des infractions susmentionnées relevant des première, deuxième et troisième catégories, conformément aux dispositions de l’Instruction n° 006-05-2018 du 16 mai 2018 fixant les modalités d’application des sanctions pécuniaires prononcées par la Commission Bancaire de l’UMOA à l’encontre des établissements de crédit de l’UMOA.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source : Mali Tribune